samedi 21 juillet 2012
« Pschitt » dans l’affaire “Piss Christ”
Il va falloir redéfinir les poursuites contre les quatre prévenus
accusés d’avoir dégradé, le 17 avril 2011, une, ou deux « œuvres »
d’Andres Serrano dans le cadre d’une exposition organisée par la
collection Lambert à Avignon. La première convocation de Pierre Colinge,
Rémi Crassous, Benjamin Michelet et Gaël de Crepy, âgés de 20 à 29 ans
(tiens, l’AFP donne leurs noms…) a été
purement et simplement annulée par le tribunal correctionnel sur
interpellation de Jérôme Triomphe, l’un des quatre avocats présents. Les
jeunes hommes ont été convoqués à nouveau pour le 19 novembre, date à
laquelle on leur signifiera, a fait savoir le procureur, de nouveaux
motifs de poursuites…
L’audience qui s’est déroulée jeudi après-midi au palais de justice
d’Avignon aura été marquée par un double coup de théâtre. Me Triomphe a
d’emblée fait remarquer le flou de l’acte de poursuite : les quatre
prévenus se voient reprocher la « dégradation d’un bien culturel ». Un
seul. Alors que la collection Lambert en invoque deux : le tristement
célèbre Piss Christ, une provocation photographiée d’Andres
Serrano montrant un crucifix en plastique plongé dans ce que Serrano
affirme être sa propre urine, et une photo des mains d’une religieuse
sur le fond blanc de sa robe : Sœur Jeanne Myriam.
Plus grave encore : la première photo produite par la collection
Lambert est dans un état bien plus dégradé que lors de l’attaque du
11 avril 2011 : c’est un détail qui a son importance, car les peines
encourues ne sont pas du tout les mêmes selon que l’œuvre est simplement
endommagée ou au contraire cassée.
Alors que la collection Lambert réclame aux quatre prévenus smicards
400 000 euros de dommages et intérêts – dont 32 000 pour son seul
avocat, Me Agnès Tricoire – Me Jérôme Triomphe, auquel se sont joints
Me Jacques Trémolet de Villers, Me David Dassa Le Deist et Me
Pierre-Marie Bonneau, a dénoncé le fait qu’il ne savait pas sur quoi il
devait défendre son client, et que les juges eux-mêmes ne pouvaient
savoir de quel fait ils étaient saisis. Le vice-procureur Laurent
Couderc a abondé en son sens.
« La partie civile croit pouvoir réclamer 400 000 euros à nos
clients, c’est-à-dire pour des jeunes Smicards 40 années de Smic, ça
s’appelle la ruine tout simplement. Quand on demande de condamner
quelqu’un à être ruiné, je crois qu’il faut le faire dans les règles et
qu’on dise exactement ce qu’on leur reproche », a plaidé Me Triomphe.
Les juges se sont retirés, ont délibéré pendant cinq minutes et donné raison aux avocats des prévenus.
Un de nos lecteurs, présent dans la salle d’audience, nous signale
que Me Tricoire n’invoqua alors que la présence des quatre prévenus à la
manifestation de rue qui avait eu lieu la veille de l’attaque du ou des
œuvres (ou de « l’objet », ou de la « chose » comme le dit la
convocation annulée) pour démontrer leur culpabilité. C’est bien peu…
D’autant qu’ils nient toute participation à l’attaque au marteau ou au
pic : un acte commis « en réunion » selon les poursuites mais enfin un
seul marteau a agi, cassant le verre de protection de Piss Christ
et abîmant le centre de cette épreuve photographique. C’est alors que
le garde cherchait à maîtriser celui qui tenait l’outil que la vitre de
protection de Sister Jeanne Myriam a été étoilée par un impact involontaire.
Bref, des dégâts qu’on ne peut qualifier d’importants et qui même – à
l’aune de l’art conceptuel – ont ajouté à la valeur des œuvres qui ont
vu leur transgression couronnée en quelque sorte par la réaction brute
du béotien. Ce n’est pas comme si on avait perforé un Van Gogh ou un
Rembrandt…
400 000 euros, voilà pourtant la somme réclamée.
Mais la procédure aboutira-t-elle jamais ? Outre le doute sur la
responsabilité des quatre prévenus, l’impossibilité de dire qui a porté
les coups, et malgré la valeur sacrée que notre monde et sa justice
accordent aux productions de l’art contemporain, il reste le deuxième
coup de théâtre de l’audience de jeudi.
Pour la première fois depuis le 11 avril 2011, en effet, les
photographies d’Andres Serrano ont quitté la collection Lambert pour
être produites devant la justice. L’audience ayant tourné court,
Me Tricoire est repartie vers la salle des pas perdus avec ses tableaux
et les y a enfin déballés pour les exhiber à la presse, présente en
grand nombre. C’est donc là que les avocats des prévenus les ont vus
pour la première fois. Me Jérôme Triomphe a immédiatement constaté, et
fait remarquer qu’il manquait deux morceaux de la photographie Piss Christ,
ce qui n’était pas le cas au soir du 11 avril 2011 – comme en attestent
les nombreuses photographies parues alors dans la presse. Les mêmes
photos figurent au dossier des poursuites : elles ne correspondent pas à
l’œuvre que la collection Lambert exhibe aujourd’hui.
Pourquoi ? Qui ? Comment ? Il n’appartient pas aux avocats des
prévenus de conjecturer. Ils ne peuvent que constater le fait. Et
souligner que depuis un an et quatre mois, le Piss Christ qui a déclenché ces poursuites est resté en possession de la collection Lambert sans jamais être remis à la justice.
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