TOUT EST DIT

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samedi 21 juillet 2012

Dessous des cartes : cette aimable Belgique qui cache si bien son jeu historique d'affaiblissement de la France

La Belgique célèbre en ce 21 juillet sa fête nationale, alors que le pays traverse une période politique complexe sur fond de question unitaire. Voici un petit retour historique sur notre voisin qui ne s'est pas toujours comporté comme un ami...
Il existe deux façons de comprendre la Belgique.
La façon officielle d’abord. Celle qui prévaut chaque 21 juillet, où des avatars de Stéphane Bern racontent comment, depuis 180 ans, une famille ducale allemande (les Saxe-Cobourg Gotha) a porté à son front la couronne de Belgique, à l’issue d’une révolution démocratique, et a guidé le bon peuple belge vers la prospérité. Ceux-là ajoutent que, grâce à sa position centrale et sa neutralité constitutionnelle, la Belgique s’est naturellement imposée comme le centre de l’Europe, et Bruxelles comme sa capitale consensuelle.
Dans cette légende, le premier roi des Belges, Léopold Ier, occupe le beau rôle. Et ses descendants aussi.
Mais il existe une version moins racontable, quoiqu’un peu plus objective, de l’histoire de Belgique.
Cette histoire commence avec l’avancée des troupes romaines durant l’Antiquité. Celles-ci, dans leur progression vers le nord de l’Europe, s’arrêtent au Rhin. Les légions de César butent sur le fleuve et n’arrivent pas à le franchir durablement.
En l’an 9, Auguste, qui n’imagine pas d’empire qui ne soit de taille européenne, décide d’ingurgiter le monde germanique dans son espace politique. Il envoie trois légions, avec le général Varus, pour mater les peuples de la forêt. La bataille de Teutoburg, où les Germains se sont rassemblés sous l’autorité d’Arminius, s’achève par une immense déroute romaine.
Commence alors une période de dix-huit siècles où le Rhin délimite monde latin et monde germanique. Et où les territoires de l’actuelle Belgique hésitent en permanence entre domination franco-latine et influence germanique. Statistiquement, la Wallonie, francophone, est sous influence allemande. Et la Flandre sous influence française jusqu’en 1600.
En 1815, après le douloureux épisode bonapartiste, le Congrès de Vienne décide de créer un glacis au nord de la France pour protéger l’espace germanique contre toute espérance d’invasion. Ce glacis s’appelle le Royaume-Uni des Pays-Bas. Il regroupe ce qui devint en 1944 le Benelux.
En 1830, les territoires francophones du Royaume-Uni portent le fer contre la domination hollandaise, et la Belgique naît. Le Congrès démocratiquement élu propose le trône au fils de Louis-Philippe, Louis d’Orléans, duc de Nemours. C’était une façon commode pour les Belges de demander leur rattachement à la France, ou, en tout cas, d’entériner leur retour dans la zone d’influence française.
Mais l’Europe a basculé sous domination germanique. Son centre de gravité n’est plus à Paris, mais à l’est du Rhin, entre Vienne et Berlin. La famille d’Orléans refuse d’affronter cet ordre établi et décline la proposition du Congrès belge. Celui-ci est contraint de solliciter un petit prince allemand, Léopold de Saxe-Cobourg, beau-frère du tsar, qui vient de refuser la couronne de Grèce.
L’indépendance de la Belgique ne peut s’entendre que dans une Europe à domination germanique.
Les thuriféraires de la famille royale belge oublient régulièrement d’en rappeler la francophobie naturelle et même institutionnelle. Sait-on par exemple, en France, qu’en septembre 1939, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne, le roi Léopold III déploie immédiatement ses troupes le long... de la frontière française? Pour éviter un mouvement militaire français hostile à l’Allemagne.

Si la famille royale belge avait accepté une intervention franco-anglaise préventive sur son sol, dès 1939, les troupes allemandes n’auraient pas réussi leur percée de Sedan, et la face de la guerre en eut été changée.
Cette histoire-là est inconvenante. On ne la raconte pas dans les manuels scolaires.
Ce qui nous embarrasse aujourd’hui, c’est que le petit marché commun étriqué qu’on nous présente abusivement comme la réalisation la plus aboutie d’un projet européen démocratique, s’inscrit parfaitement dans cette conception d’une Europe dont le centre de gravité se situe à l’est du Rhin.
Le choix de Bruxelles comme capitale européenne, par exemple, ne tient pas qu’au hasard de la géographie. N’oublions jamais qu’en 1516, Charles Quint y fut sacré roi d’Espagne, et qu’il y abdiqua de son titre d’empereur en 1555. En réalité, le rayonnement européen de Bruxelles a toujours été lié à la constitution d’un projet impérial en Europe sous domination germanique, en opposition à la domination française.
Et comment ne pas voir que la construction communautaire qu’on imagine vierge de tout héritage historique n’a pas, au moins inconsciemment, endossé cette conception de l’ordre européen en choisissant de prendre ses quartiers officiels dans l’ancienne capitale de Charles Quint?
L’Europe d’aujourd’hui est fondamentalement germano-centrée, et fondée sur une représentation de la France faible, amputée et mise sous contrôle permanent de ses voisins. Que la France essaie de construire une Union méditerranéenne pour vivre son destin séculaire de puissance maritime et l’Allemagne la bloque. Que la France essaie de négocier une politique monétaire accommodante... Et l’Allemagne la bloque. Que la France essaie de promouvoir une défense européenne indépendante des Etats-Unis, et la Grande-Bretagne la bloque.
Le vrai sujet que les Français doivent poser sur leur table le 21 juillet, c’est celui du bénéfice historique ultime que nous retirons d’un ordre européen où nous jouons par nature les seconds rôles. D’un ordre européen construit à Bruxelles, articulé à des logiques de marchés financiers où la City domine, à des logiques de compétitivité industrielle où l’Allemagne domine. Tout cela sous le gentil habillage belge avec son humour absurde et sa générosité qui sent la bière et les frites grasses.
Mais si nous osions une autre Europe, affranchie des complexes de 1815 ? Une Europe dont l’objectif ne se limite pas à assurer la prospérité des financiers londoniens et des industriels allemands.


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