TOUT EST DIT

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samedi 21 juillet 2012

La ministre qui s'ennuyait


Vous ne la connaissez pas, et qui que vous soyez, elle ne vous connaît pas non plus : Michèle Delaunay est ministre déléguée aux personnes âgées et à l'autonomie. Elle n'a jamais fait parler d'elle. Elle n'intéressait personne, pas même ces quidams dont elle avait théoriquement la charge. La presse n'avait même pas besoin de chercher l'orthographe de son nom, elle lui était étrangère. Alors Michèle a décidé de faire comme Cécile Duflot qui n'existe que grâce à ses boulettes : elle a inventé un synonyme d'âgé.
Pour la ministre qui s'ennuyait, plus rien n'était aussi pressé que de sortir l'une de ces consternantes bêtises qui assurerait quelques minutes de gloire dans quelques papiers d'une presse quasiment en vacances, quelques tweets rigolos sur la toile, et l'un ou l'autre billet de blogueur en pause estivale. Elle a donc souhaité officiellement qu'on n'utilise plus le terme "vieillir" mais qu'on lui substitue "avancer en âge".
C'est, bien évidemment, du plus haut crétin. On imagine sans mal les circonlocutions improbables que devront employer les pauvres fonctionnaires de ses services pour parler des vieux et de la vieillesse dans leurs habituelles et barbantes productions ministérielles. D'ailleurs, le site du ministère dédié à leurs ébats médiatiques doit absolument être remis au goût du jour. Voici à ce propos ma modeste contribution :
Évidemment, tenter de faire une telle modification du langage est apparu, pour pas mal de commentateurs, blogueurs et tweeteurs, comme une incursion décontractée dans le domaine de la novlangue si chère à Orwell et ne sera probablement pas suivi d'effet tant le synonyme choisi par la ministre est lourd et lui-même chargé d'une connotation désagréable : une personne avancée en âge, cela fait tout de même furieusement penser à l'un de ces yaourts dont la date est très avancée et qui finira à la poubelle afin d'éviter une bactérie si dangereuse aux santés fragiles de nos anciens. Et puis la longueur même de la locution choisie pour remplacer "vieux" ou "âgé" est parfaitement rébarbative. On comprend que cette misérable tentative constructiviste d'une ministre en pleine vacance intellectuelle est d'emblée vouée à un échec cuisant, et c'est tant mieux.
Maintenant, il ne faut pas oublier que derrière cette quasi-pochade de Delaunay se cachent deux choses, bien plus inquiétantes.
L'une, évidente, est cette tendance répétée à travestir la réalité par des mots calibrés pour détourner les yeux du problème sans le régler. On ne compte plus les euphémismes niais et les circonlocutions idiotes que les autorités mettent en place tous les jours pour camoufler ce qui gène nos élites, impuissantes à les résorber vraiment : personnes à mobilités réduites, mal voyantes, mal entendantes, bientôt mal comprenantes, à beauté amoindrie et à verticalité contrariée ou que sais-je encore, tout ce fleurissement stérile de termes douillets épargne essentiellement les sensibilités chatouilleuses de ces penseurs, administrations et institutions qui en définitive ne supportent pas la différence, la difformité ou le handicap. On retrouve d'ailleurs exactement les mêmes réactions épidermiques chez les associations "d'utilité publique" (et lucratives sans but) de la même trempe boboïde lorsqu'elles partent en guerre contre les stigmatisations fantasmées dans lesquelles les méchants individualistes osent noter de façon insolente que les gens n'ont pas tous les mêmes couleurs de peau ou de cheveux, les mêmes comportements ou les mêmes capacités. Pourtant, sapredieu, tout le monde sait que nous naissons égaux et que les éventuelles différences, mineures, seront toutes gommées par la force légale, à coup de talons dans la gueule s'il le faut, enfin, voyons !
Quant à la seconde tendance derrière la saillie ridicule de la ministre, c'est celle qu'on retrouve, finalement, derrière tous les politiciens : c'est celle, puissante, quasi-reptilienne, qui les pousse irrémédiablement à tenter toutes les avanies, toutes les bêtises, toutes les méchancetés, toutes les bassesses pour se faire voir, mousser, connaître, remarquer. Tout doit être fait pour qu'on les entende, qu'on parle d'eux, en bien, en mal, mais qu'on parle d'eux.
Tous ces politiciens, de Delaunay à Hollande en passant par les actuels clowns pitoyables du gouvernement, les pantins hystériques de droite et les bouffons suffisants de gauche, tous réclament leur part d'attention médiatique et sont prêts, pour cela, à se comporter avec brutalité, absence de respect, négligence, sans pitié.
Oh, certes, on entend toujours l'un ou l'autre groupie nous sortir qu'Untel, en privé, est charmant, qu'il est adorable, humain, abordable, câlin, gentil voire drôle et j'en passe. La réalité, bien sûr, est que l'écrasante majorité de ces politiciens sont si habitués aux égards et honneurs, aux déférences et autres marques d'attention obligatoire de toute une caste de personnes sous leurs ordres qu'ils ont appris à mépriser la piétaille tout en flattant l'admirateur sincère. Ce sont d'excellents acteurs qui savent cacher leur côté psycho- ou socio-pathologique, sinon ils ne seraient pas parvenus à ces postes. Mais tous ont, intrinsèquement, acquis le goût immodéré du pouvoir et cet appétit de la domination.
Il n'est qu'à lire la façon dont, par exemple, Hollande aura fait poireauter les pilotes d'Alpha-Jets de la Patrouille de France pour comprendre l'absolu mépris à la fois des règles élémentaires de timing, de sécurité et de respect envers des hommes qui risquent leur vie pour d'autres, ce que jamais un parvenu comme Hollande ne fera.
Il n'est qu'à se rappeler des reconversions miracles de tous ces élus, traînant des casseroles et autres condamnations lourdes et infamantes, pour comprendre qu'ils sont tous drogués au pouvoir et devenus des attention-whores impossibles à soigner. Regardez ce minable Jospin, qui nous avait promis de se retirer de la vie politique, y revenir pourtant avec délectation dans le cadre d'une obscure commission dont on connaît déjà l'inutilité et la teneur des rapports, qui ne seront lus que par cette poignée de journalistes qui, justement, jouent le jeu de ces bouffis d'égo. Regardez ces Juppé, Emmanuelli, Fabius et tant d'autres qui, bien que condamnés, continuent de se pavaner sous les ors républicains en claironnant, dans la plus parfaite hypocrisie, qu'il faudrait une République irréprochable.
Delaunay, finalement, avec ses lubies de vocabulaire, montre toute l'étendue de son ambition. Là où Moscovici n'hésite pas à tordre la réalité pour faire oublier ses accointances sulfureuses avec DSK, enfin pestiféré, là où Montebourg froufroute son incompétence et son inutilité poudrée à la face des caméras, la ministrette nous propose seulement de bricoler du verbe pour faire parler d'elle. On comprend qu'elle n'ira sans doute jamais plus loin que ce sous-ministère parking pour fin de carrière pépère, et c'est d'autant mieux ainsi.
Mais par contraste, cela montre toute la toxicité des autres ministres.

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