Jean-Marc Ayrault prononce aujourd’hui son discours de politique générale. Selon le rapport de la Cour des comptes remis lundi au gouvernement, il faudrait trouver entre 6 et 10 milliards d’euro pour que la France tienne ses engagements internationaux en terme de déficit budgétaire cette année. Pour 2013, ce sont 33 milliards d’euro qu’il faudrait trouver par des mesures supplémentaires. Comment le gouvernement va-t-il parvenir à cet objectif ? A quoi ressemblerait un "réalisme de gauche" ?
Marc Touati : La solution est relativement simple. Elle consiste à réduire drastiquement les dépenses de fonctionnement de toute la puissance publique. Depuis dix ans, ces dernières augmentent en moyenne de 10 milliards d'euro par an, soit une gabegie de 100 milliards d'euro en dix ans. Pour ce faire, il faudra notamment enlever quelques tranches du mille-feuilles de la puissance publique française : Élysée, Matignon, les ministères, l'Assemblée, le Sénat, le Conseil économique et social, les régions, les cantons, les agglomérations de communes, les communes, les délégations départementales...
Les hausses d'impôts ne seront donc pas suffisantes pour atteindre l’équilibre budgétaire ?
Marc Touati : Il faut être clair, la pression fiscale de la France est déjà l'une des plus élevées du monde (comparativement au PIB). Si le gouvernement l'augmente encore, il va casser le peu de croissance qu'il reste et réduire davantage la compétitivité de nos entreprises.
Agnès Verdié-Molinié : Il faut mettre de côté les hausses d'impôt, car nous sommes déjà au maximum de la pression fiscale possible. Autrement dit, quelle que soient les hausse d'impôts décidées, les recettes fiscales supplémentaires seront très faibles, car nous avons déjà atteint le maximum de la courbe de Laffer.
Aurélien Véron : Comme l’a indiqué la Cour des comptes, notre fiscalité figure parmi les plus lourdes de l’OCDE. Elle pénalise notre compétitivité, donc l’emploi et la croissance du pays. Un chômage fort et une croissance faible tendent à diminuer nos recettes fiscales structurelles. Augmenter la pression fiscale revient donc à renforcer nos handicaps, et donc nos recettes fiscales futures, ainsi que l’a très bien démontré le prix Nobel d’Économie Arthur Laffer.
En bref, plus le pouvoir socialiste montera les impôts, plus nous nous éloignerons de l’équilibre budgétaire. Le plus efficace consiste à instaurer une fiscalité qui ne handicape ni notre économie, ni l’initiative privée. La recette universellement admise, ce sont des bases fiscales larges et des taux très bas. Rien ne dit que les socialistes auront le bon sens d’aller dans ce sens et de privilégier l’intérêt général à l’électoralisme primaire.
Sophie Pedder : Le gouvernement va devoir réaliser des économies. Le rapport de la Cour des comptes de 255 pages est parfaitement chiffré et détaillé. Il précise clairement que la moitié de l'effort devra être réalisé sur les dépenses. Les hausses d'impôts ne suffiront pas.
Pourtant, c'est sur ce dernier point que François Hollande s'est fait le plus entendre pendant sa campagne. Il s'est montré relativement discret sur les baisses de dépenses...
Selon Les Echos, les lettres de cadrage envoyées aux ministères prévoient une stabilisation des dépenses de personnel de l'État. Le gel des salaires des fonctionnaires va-t-il être reconduit par le gouvernement socialiste ?
Marc Touati : Il faut sortir du clivage gauche-droite en matières de dépenses publiques. Il ne s'agit plus de marketing ou de politique politicienne, mais de bon sens et de responsabilité a l'égard de nos enfants. Si les dirigeants des vingt dernières années avaient été un peu moins dogmatiques et un peu plus pragmatiques, nous ne serions pas dans le marasme actuel.
Agnès Verdié-Molinié : Nous avons chiffré qu'en gelant l'avancement des personnels (en plus du gel du point d'indice), il était possible d'économiser entre 2 et 3 milliards d'euros par an pour les trois fonctions publiques.
Mais il faut faire attention à tous les postes de dépenses, des dépenses de personnels qui ne sont plus assumées directement par l'État peuvent être seulement "déplacées", le gouvernement précédent a certes supprimé 150 000 postes en 5 ans au niveau de l’État, mais il a aussi laissé se créer beaucoup de postes dans les opérateurs de l’État (organismes contrôlés et financés par l'État et dont les missions sont fixées par celui-ci, ndlr). On le retrouve dans le montant des subventions versées par l’État aux opérateurs : elles étaient de 15 milliards en 2008 et sont passées à 25,8 milliards d'euros en 2012.
Aurélien Véron : Attendons la confirmation de ce gel des rémunérations. Et n’oublions pas que les seules mesures comptables sont douloureuses et n’ouvrent pas de perspectives motivantes. Ce qu’il faut espérer du gouvernement socialiste, c’est un projet de modernisation de l’État et des services publics. Aura-t-il le courage de recentrer l’État sur ses missions régaliennes et de mettre fin à ses engagements superflus ? Aura-t-il le courage d’aligner le statut des fonctionnaires sur celui de droit privé pour valoriser les fonctionnaires individuellement, et casser le mur qui séparer l’univers public du secteur privé ? L’enjeu réside dans les réformes structurelles, dans la refondation d’un État moderne, bien plus que dans des indices salariaux.
L’austérité oblige la majorité à affronter ses contradictions. Le Parti socialiste ne peut éternellement rester un parti de synthèses rassemblant le chaud et le froid, les anti-européens qui ont voté « non » lors du référendum sur le TCE, et les pro-européens qui ont défendu le « oui » avec ardeur, les anticapitalistes autour de Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, et les socio-libéraux comme Pierre Moscovici et Manuel Valls. Chaque jour, il est un peu plus évident que le gouvernement a besoin de manœuvrer avec une ligne claire face à l’incendie des dettes souveraines et de l’Europe. Sommes-nous au seuil d’une crise identitaire du PS similaire à celle de l’UMP avec Patrick Buisson et Guillaume Peltier ?
Sophie Pedder : Ce n'est pas impossible en soit. Mais la maîtrise de la dépense sociale et publique sera difficile pour un gouvernement qui a été élu avec un promesse de création de 60 000 postes dans l'enseignement.
François Hollande n'est-il pas finalement plus en pointe sur la rigueur budgétaire que ses prédécesseurs ? Va-t-il réussir là où tous les précédents gouvernements ont échoué ?
Marc Touati : Certes, ce sont souvent les pacifistes qui font la guerre et les guerriers qui font la paix. A l'instar de Gerhard Schröder, il y a plus de dix ans outre-Rhin, François Hollande pourrait, lui aussi, moderniser le pays et réduire les dépenses publiques tout en étant de gauche.
Agnès Verdié-Molinié : Il est encore trop tôt pour se prononcer. Mais il est vrai qu'annoncer une baisse de 7% des dépenses de fonctionnement et des dépenses d'intervention est assez fort, aucun des derniers gouvernements n'a ni annoncé ni tenu un tel objectif sur un an.
Aurélien Véron : La gauche aura certainement plus de facilité à violer les principes de ses partenaires politiques et syndicaux que la droite, aussi archaïques soient-ils. Mais si le gouvernement se contente d’une austérité comptable et fiscale sans réformes structurelles, l’échec est garanti.
La France a besoin de refonder son modèle économique et social. Les taux d’intérêt ont beau être historiquement bas, le montant des seuls intérêts de la dette dépasse le budget additionné de la Défense nationale et de la Justice. Et l’absence de croissance ne laisse pas augurer d’amélioration, même lointaine. Le véritable enjeu pour le gouvernement n’est pas de faire passer la rigueur, mais de mettre en œuvre les réformes qui permettront au pays d’éviter la faillite et de renouer avec une croissance forte et durable
Sophie Pedder : Cela reste à confirmer, puisque outre les annonces du discours de politique générale, le budget pour l'année 2013 ne sera dévoilé qu'au mois de septembre. Le principal problème sera politique, car François Hollande, tout comme Nicolas Sarkozy d'ailleurs, n'a pas suffisamment préparé les Français à un plan de rigueur lors de sa campagne.
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