dimanche 1 juillet 2012
Doudou vaudou : ce téléphone portable qui enflamme les incivilités
Les résultats d'une campagne contre les
incivilités menée par la RATP dénoncent les nuisances liées au portable
comme les plus dérangeantes de toutes. Pourquoi le portable est-il
devenu l'ennemi public n°1 des espaces publics ?
Catherine Legealle
: Les usagers des transports publics comblent le temps-mort que
représente leur trajet de métro ou de RER par l’utilisation de leur
téléphone portable. Quand ils passent des appels, ils choisissent en
général de discuter avec des gens qu’ils aiment bien. Ce réflexe
répond au besoin d’entretenir un lien - que les chercheurs ont appelé
la communication phatique - par le biais d'une conversation qui n’a pas
forcément une utilité immédiate, mais qui apporte simplement un
réconfort.
Ce réflexe s’explique par la
pression qu’exerce la société de productivité, et s'exprime par une
capacité de plus en plus limitée des individus à supporter un temps non
occupé. Auparavant, regarder simplement le paysage défiler sur le trajet
du train représentait en soit une occupation pour eux.
D’autre
part, si les conversations téléphoniques se font sur un volume assez
fort, c'est parce que les usagers n’ont désormais aucun complexe à
exposer leur vie à ceux qui les entourent, car leur présence n’est que
temporaire : elle ne durera qu'une, voire deux stations de métro ou de
RER. La même conversation serait sans doute impossible face aux
collègues de bureau, dont la présence est quotidienne. Dans le métro,
il n’y a aucune impudeur à exposer son intimité sur la place publique.
L’autre est gêné
simplement parce qu’il se sent exclu, ce qui ne serait pas le cas si
celui qui est occupé par sa conversation téléphonique se tournait les
pouces. Ensuite, le murmure incessant de la conversation dérangera, car
il s’insère dans votre sphère d’intimité.
N'oublions
pas que le portable peut aussi être un compagnon des pensées, un
compagnon silencieux car il permet de jouer ou de consulter l’actualité.
Même
si on ne s’en rend pas forcément compte, l’homme a de nombreux moments
de solitude et d’inactivité qui correspondent parfois à des temps
d’attente ou des temps de trajet. Durant ces moments, les
individus se tournent vers les téléphones portables sont directement
accessibles, et permettent de faire passer le temps, tout en se
divertissant. Il permet aussi de ménager la gêne, en nous
évitant de regarder les autres, surtout dans des espaces aussi confinés
que les transports publics.
Au début, il y a une
procédure d’ajustement, on se place par rapport à l’autre, on essaye de
limiter les contacts... Une fois cette étape dépassée, on se retrouve
tout seul, et là le portable intervient : on envoie ou relit ses SMS,
regarde ses photos, intervient sur les réseaux sociaux, ou encore on
joue. Par ces occupations, on peut s'apporter du réconfort avec ce
« doudou » qui contient de nombreux éléments affectifs. C’est un peu le
même principe que celui du coffre à jouets : un enfant que l’on
congédie dans sa chambre, on le force à vivre un temps-mort qu’il occupe
grâce à son coffre à jouets, à ses jouets. C’est le rôle que tient le
portable dans la vie d’un adulte.
Je
suis très optimiste sur cette question. Si en cas de solitude le
portable est un réconfort, en société, il enrichit le lien social et
renforce la notion de partage. Il alimente les discussions grâce à un
accès immédiat à certaines données : une musique, la bande-annonce d’un
film ou tout simplement une information qui a été lue ou entendue par un
des membres du groupe.
S'il est vrai que le
portable est un compagnon de solitude, mais n'en demeure pas moins, dans
un contexte collectif, un membre à part entière du groupe.
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