vendredi 22 juin 2012
Explosion de la “bulle de la normalité” : les hebdos déjà lassés de François Hollande ?
Les hebdomadaires français se
seraient-ils donné le mot cette semaine - comme souvent ? Le Point,
L'Express, Le Nouvel Observateur et Marianne ont brusquement retourné
leur veste, à l'unisson, pour vilipender un François Hollande qu'ils
soutenaient plutôt jusqu'ici. Jean-François Kahn revient sur ce
phénomène de "panurgie" et le malaise de la presse de gauche...
Jean-François Kahn : C’est
une réaction, d’une part à l’affaire touchant celle que j’appelle
Valérie « Tweetweiler », un incident inconcevable. Et d’autre part au
fait que la gauche au pouvoir va être confrontée à la nécessité de
prendre des mesures, en particulier de réduction des dépenses publiques,
des coupes sombres qu’ils n’avaient pas annoncées dans leur programme.
En cela les journaux font leur boulot ! Et c’est très intéressant que
parmi les plus incisifs il y ait deux journaux réputés de gauche, à
savoir Marianne et Le Nouvel Observateur. Ils font leur travail. La
question qu’il faut se poser aujourd’hui est pourquoi ce travail n’a pas été fait il y a 5 ans par rapport à Nicolas Sarkozy ?
On peut prendre deux exemples. Tout
d’abord l’affaire « Tweetweiler » est absolument comparable à celle de
Cécilia Sarkozy en 2007. Les histoires de Disneyland surviendraient
aujourd’hui avec Hollande, la presse s’en donnerait à cœur joie, et elle
aurait raison. Pourquoi n’y a-t-il pas eu des débats à la radio, à la
télévision, à l’instar de ce qu’il s’est passé ces jours-ci ? C’est une question que tout esprit libre devrait se poser.
De
la même façon, la presse a raison de fustiger les coupes sombres dans
les dépenses qui étaient imprévues, voire exclues par un programme
électoral qui annonçait l’inverse. Elle a raison de mettre en lumière le
caractère inapplicable du programme de François Hollande, qu’il doit
lui-même reconnaître aujourd’hui. Cependant, quand Nicolas Sarkozy a
creusé les déficits en arrivant au pouvoir, la presse aurait pu dire
« Vous faites fausse route, vous creusez les déficits » ! La presse de
droite aurait pu s’en charger… Dieu sait que la presse de gauche
m’énerve très souvent, mais il faut reconnaître qu’en l’occurrence, le
Nouvel Observateur et Le Monde, en tête, font leur boulot avec ces
critiques, ce que Le Figaro n’a pas fait pendant 5 ans !
Non,
l’exception est vraiment Nicolas Sarkozy. Tout d’abord parce qu’il y a
eu un engouement et une dynamique extraordinaires pour ce dernier, qu’on
ne retrouve pas pour François Hollande aujourd’hui. Par ailleurs,
Nicolas Sarkozy s’occupait de la presse, y intervenait : pour ses
problèmes sentimentaux, il a quand même fait virer le patron de Paris
Match, et des sanctions ont été prises contre le journaliste du Journal
du Dimanche qui avait affirmé que sa femme n’avait pas voté pour lui.
Imagineriez-vous des sanctions contre un journaliste qui se moque de
l’affaire Trierweiler ? Heureusement non…
L’autre
raison est que le rapport de la presse, de droite et de gauche, à un
gouvernement, de droite ou de gauche, est différent. Je ne partage
aucune des deux démarches : la presse de droite considère déjà
que la droite doit légitimement être au pouvoir, et dès lors qu’elle est
au pouvoir, cette presse défend l’idée que la cohérence, le sens de
l’Etat et le patriotisme exigent qu’elle la soutienne. Tandis
que la presse de gauche, qui met souvent l’accent sur la fonction
critique du journaliste, a un malaise par rapport au soutien au pouvoir.
Ils ont un esprit oppositionnel qui fait qu’ils sont gênés d’être dans
cette situation de soutien au pouvoir. Ils soutiennent un candidat et
son arrivée au pouvoir, et dès que celle-ci s’est produite ils cherchent
à s’en démarquer, en raison de ce malaise, mais également pour des
raisons de vente. Pourtant, les lecteurs du Figaro trouvent cela normal
que « leur » journal soutienne Sarkozy lorsque celui-ci est au pouvoir !
Au Nouvel Observateur, on a bien vu qu’en 1981 ils soutenaient le
gouvernement et ont subi une dégringolade de leurs ventes un an après.
Le Monde avait été considéré comme trop favorable à la gauche et avait
subi le même sort. Le journal Le Matin, qui avait pourtant bien démarré,
n’y avait d’ailleurs pas résisté. Prenant conscience de cela, la gauche a tendance à se démarquer d’un pouvoir qu’elle a soutenu…
Le
problème est que la presse de gauche française n’est peut-être pas
idéologiquement indépendante, mais du moins elle n’est pas une presse de
parti. A l’inverse, le Mirror en Angleterre est quasiment l’organe du
Parti travailliste. En France, la presse est plus indépendante des
partis constitués.
Oui.
C’est la Une que faisait Marianne... Pour illustrer mes propos, je
voudrais vous rappeler que l’un des journalistes les plus engagés dans
l’anti-sarkozysme radical était Edwy Plenel avec son site Mediapart. Le
même Edwy Plenel, lorsqu’il était à la tête de la rédaction du Monde,
fut le tombeur de Mitterrand, celui qui avait eu les attaques les plus
saillantes, notamment sur la polémique des écoutes ou l’affaire
Bérégovoy. C’est leur culture...
Autant je trouve
normal qu’un journal de droite soutienne un gouvernement de même couleur
politique, autant je ne m’explique pas comment Le Figaro a pu soutenir
certains aspects de la politique de Nicolas Sarkozy qui allaient contre
leurs convictions. Il a laissé se creuser des déficits, il a rétabli
l’étatisme et la politisation des médias, et Le Figaro aurait dû,
normalement, s’y opposer. D’un autre côté, cette posture de la
presse de gauche qui consiste à dire « On a voulu ce gouvernement, on
l’a mis au pouvoir mais ce n’est pas bon pour nos ventes de le
soutenir » me parait critiquable.
Il est de toute façon évident qu’il y a un problème de panurgie extraordinaire dans la presse… Je suis choqué par les soirées électorales du 2ème
tour, au cours desquelles on écrase les vaincus : le plus bel exemple
est celui de Nadine Morano. On l’invitait dans tous les débats, elle
était la vedette politique. Aussitôt qu’elle est battue, elle devient
une serpillère qu’on piétine, qu’on lacère, brusquement. Il en va de
même pour Jack Lang. Cette tendance à effectuer un véritable lynchage du vaincu est un peu choquante. De la même manière, il suffit qu’un journal annonce une « vague rose » pour que tous reprennent en cœur,
alors qu’il suffit d’étudier les chiffres pour s’apercevoir que le
système électoral démultiplie le succès socialiste. En réalité il n’y a
pas de vague rose, tout juste un 49 % / 51 %... Les Unes des hebdos de
cette semaine suivent exactement ce schéma.
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