TOUT EST DIT

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vendredi 23 décembre 2011

« Acheter grec » pour sortir de la crise?

Des concerts au prix des produits de première nécessité, l'anthropologue et blogueur Panagiotis Grigoriou nous fait vivre, au rythme de ses billets descriptifs, le quotidien d'une Grèce en crise.

Notre petit monde est meublé de bric et de broc. Quotidien défilant, réel en filature. Années de lumière l'avant-crise derrière nous, moments mouvants et menus existentiels devenus trop déroulants. Le futur nous hante. Lundi, sous une pluie battante j'ai poussé par curiosité la porte d'un établissement de type « votre retraite after-sales ». Un ancien commerce ou peut-être bien une épicerie qui a fait faillite dans les quartiers ouest de la ville. Après transformation, on y vend du futur.com et encore. Trois bureaux installés, deux employés et le patron. Et les clients qui ne manquent pas. Grande cohue et triple queue. Le patron, monsieur Meletis, est un ancien directeur à la division retraite de la Sécurité Sociale, à la retraite lui aussi. Les clients sont ceux qui ont cotisé et qui espèrent comprendre quelque chose, lorsque la législation change tous les deux mois depuis que le maudit gouvernement Pasok (P.S.) a eu la … clairvoyance politique, de nous déposer ainsi dans le centrifugeur de la Troïka dès mai 2010.

Le peuple a compris et du coup, il recherche en vain le bon toboggan d'évacuation. Pauvres futurs retraites, vraiment. Âgés entre cinquante et soixante ans, les visages creusés et les corps en courbe, ils veulent obtenir enfin le renseignement efficace pour ainsi atteindre le paradis… de l'austérité juste, c'est à dire quelques centaines d'euros de retraite, supposons pour bientôt. Apparemment les bureaux de la sécurité sociale et la division retraite, n'y arrivent plus à remplir ce rôle, donc vive monsieur Meletis. Les paléo-actifs, recherchent en effet une voie anticipée vers la retraite. Après tout, la toute dernière législation pousse vers la sortie. Délestage pour les vieux et stages pour les jeunes. Non, ils ne sont pas les cigales du sud ces anciens, souvent ouvriers et ouvrières ayant travaillé beaucoup plus, contrairement à ce que laisse entendre le décompte des cotisations de leurs anciens patrons, toujours incomplet. Mais on y arrive parfois. Tel, cet ancien ouvrier dans la réparation automobile, actuellement au chômage, lorsqu'il apprend que désormais il figure parmi les ayants-droit. Après tout, lorsque les salaires avoisinent les six cent euros (par mois) à quoi bon se battre ? Il ressort visiblement si heureux. Le bureau de monsieur Meletis va pouvoir finaliser son dossier. « Cela vous coûtera entre 80 et 200 euros, nous ne pouvons pas être plus précis en ce moment, tout dépend du temps qu'il nous faudra... sous réserve toujours, car les nouveaux décrets tombent comme la pluie ce soir...».
Une dame en revanche, découvre que ses anciens employeurs n'avaient peut être pas rempli toutes leurs obligations, « combien d'années à revérifier auprès des caisses, combien d'années perdues sinon, pouvez vous me le dire? ». « Ah Madame, il faut s'adresser aux bureaux de votre ancienne caisse des imprimeurs pour vérifier ces cotisations datant d'avant 1992, date à laquelle cette caisse a été absorbée par le régime général. Ah, attendez, il y a aussi autre chose, vos cotisations durant la décennie 1993-2003, travaillée en Belgique ne seront pas prises en considération dans le calcul du montant de votre retraite, seulement votre capital-temps est reconnu et compté. Donc vous pouvez certes prendre votre retraite suivant la nouvelle … énième reforme de notre système, dans six ans, amputée de 40% et, sur le montant restant, on vous enlèvera le ratio de vos cotisations belges car pour ces dernières, pour les percevoir, il faut attendre l'age de la retraite suivant le règlement belge. Pour faire court, je pense que vous pouvez espérer à 400 euros de retraite au mieux, après 38 ans de travail puisque vous élevez seule un enfant, encore mineur avant le 31 décembre 2011 ». La dame a compris. Retraite en moules frites …. elle a aussitôt regretté publiquement, son passage prolongée par le boulevard de Berlaimont. Trop tard.
 
Ces gens ne sont pas paresseux mais fatigués. Tous. Chômeurs parfois, ils savent que le monde du travail a retourné sa veste aussi vite que la social-démocratie. Si seulement, ils pouvaient s'en aller tranquillement. Mais à deux doigts de la guerre des étoiles de l'U.E., pour s'en sortir, vaut mieux attendre un nouveau Jedi et encore.

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Mardi matin, je suis tombé sur une autre grande foule au centre d'Athènes. Tous pratiquement jeunes, faisant la queue pour une fois sans broncher. Non pas pour les tickets de rationnement, mais pour les places au concert des Red Hot Chili Peppers, au stade olympique, le 4 septembre 2012. Voilà que fort heureusement, on peut quelque part se laisser encore programmer par le calendrier de l'Avent festif de son choix. Ayant discuté avec certains fans du groupe californien, j'ai réalisé que comme nous vivons souvent au petit mois, à la petite semaine même, ces évènements «lointains» nous aident à structurer notre temps. « On ne sait pas si finalement en 2012 Papadémos et sa bande des 40 voleurs vont-ils proclamer les élections, on s'en fiche peut-être. Mais les Red Hot Chili Peppers seront là le 4 septembre, c'est sûr et certain, ouaou ...»

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Cinq cent mètres plus loin, devant le porche d'une banque grecque appartenant au Crédit Agricole, certains retraités, peu nombreux, crient des slogans derrière une malheureuse banderole: « En bas les mains de nos caisses de retraites ». « C'est la ploutocratie qui doit payer la crise, pas les travailleurs ». Les passants, restent pourtant quasi indifférents face à ces vieux militants du parti communiste. La foule se dirige plutôt vers le grand marché tout proche, les halles d'Athènes. Là au moins, la tonalité est enfin festive. Les marchants vantent la qualité des viandes, des dindes et des poissons. C'est pratiquement le marché le mieux fourni et surtout le moins cher de la ville. Les marchands ont annoncé dans les médias qu'il garderont les prix les plus bas possibles, invitant les athéniens à s'y rendre massivement. La qualité en plus, elle y est. Le maître mot cette année est: « acheter grec ». Nos dindons ainsi, bien avant la farce et les navires des armateurs, battent déjà pavillon grec. Les journalistes de la télévision grecque sont déjà sur place pour confirmer les déclarations et les stéréotypes. Tout le monde finalement en ressort satisfait. C'est exactement cela qui compte. En plus, c'est justement par les échanges dans l'éphémère sociabilité du marché, que nous nous déchargeons. Ces brèves politiques sont bien piquantes, voire salaces. Étiquetage des poissons agrémentés de noms d'oiseaux envers les responsables du monde politique, entre viande et volaille. Souvent les phrases ne se terminent pas, elle restent ouvertes. Tout comme, l'avenir finalement, tel que nous le souhaitons en tout cas.

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Le moment festif tout comme la dérision, sont nécessaires à toute société, sinon, comment se donner un équilibre, sur un tel strapontin, entre le passé et l'avenir. C'était bien flagrant, ce 20 décembre 2011 dans Athènes, même sous la bancocratie, cela a un sens. En tout cas, ce n'était pas la gloire de la banderole du P.C., pas aujourd'hui en tous cas. Dans l'après-midi, le P.C. a organisé des marches de solidarité et de lutte contre le chômage, mais il n'y avait pas grande foule. La ploutocratie ne paiera pas la crise, pas avant Noël, donc passons. Et passons si possible à autre chose

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Ceux qui le peuvent encore, préparent une escapade. Souvent entre famille ou invités chez leurs amis. Sortir de la ville c'est aussi renouer avec l'air et les horizons. On sait déjà qu'en dehors des grandes villes du pays la catastrophe semble relativisée. Durant une heure de grande écoute hier soir (mardi), l'épouse argentine de Stéphanos, demeurant à Marathon, nous le rappelait encore, sur les ondes de radio 9. « Durant la crise et la faillite en Argentine, c'était moins grave dans nos campagnes, entre la poule du voisin et les tomates du jardin...». Le journal radiophonique de 20 heures, fut décalé de dix minutes pour ne pas interrompre cette rare invitée, venue des antipodes, pourtant du même monde. Après avoir vécu la crise de 2001 en Argentine, elle s'est installée en Grèce durant les J.O. de 2004, année faste pour nous et aussi pour les juteux contrats à l'occasion des grands travaux, Siemens, Sofitel, Bouygues, par exemple. Cette femme épousera donc aussi la faillite grecque. Quand on aime … Le standard de la radio a explosé d'appels. Nous lui étions si reconnaissants pour son témoignage. Buenos Aires – Marathon, tranches de vie.

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Il est vrai que nous entrons en ce moment Grèce dans une forme d'aporie. Pour le plus grand nombre, cette aporie est synonyme de désespoir, pour d'autres, pas nécessairement. Mais il y a chez nous, une grande peur collective qui fait désormais tache d'huile. Ce qui est en jeu, à part notre situation économique, c'est l'explication du monde. Cette dernière, telle qu'elle nous a été léguée, déjà insuffisante, elle nous paraît tout autant chaotique et surtout barbare. Du coup, notre mémoire collective se trouve également brouillée. L'ancien monde demeurera durablement mourant sous le Parthénon et bien au-delà. Cet univers était de droite, tout comme notre imaginaire, nos stéréotypes comportementaux, nos petites et grandes manières consommatrices, à présent vidées de sens et vidées tout court.
Sur cette aporie collective j'ai le sentiment que la gauche (institutionnalisée ou pas) n'apporte pas d'exégèse porteuse de concret. En tout cas pas encore. Le temporel historique à l'échelle d'une vie c'est tout simplement, ici et maintenant. D'où sans doute notre grande peur, ce décalage entre nous, et l'eschatologie de la gauche, puisant dans un arsenal idéologique du temps des pantoufles. En Grèce, certains militants et sympathisants sincères de la gauche et de l'extrême gauche, faisaient et refaisaient allègrement le monde, pendant que leurs salaires ou leurs retraites tombaient tous les mois des années durant. Pourquoi pas. Sans évoquer évidement, les promesses électorales et autres inepties de la social-démocratie ou de la droite, extrême droite comprise. «Nous apporterons une gestion plus juste et nous réduirons les excès de l'État». Jamais celles des banques ou des institutions eurolandaises, foncièrement antidémocratiques de surcroit, et pour l'instant germanisées (sans que le peuple allemand puisse voir les «bons» fruits non plus dans cette situation car il subit également une variante certes, plus sournoise du néo-capitalisme). La métadémocratie du banquier en Grèce en tout cas, a broyé les repères. Y compris celles du temps des pantoufles à gauche car cette dernière, n'a plus le luxe de refaire le monde à crédit temps illimité, comme avant. Les solutions doivent s'imaginer en synchronie avec les faits car les salaires ne sont plus versés et les solutions individuelles ne sont pas mirobolantes pour autant. Donc, une fois n'est pas coutume il faudrait réinventer réellement, peut-être tout.
A présent donc le futur nous hante comme jamais. Futur proche, très proche même. Entre temps, les bazars et autres initiatives de marché parallèle citoyen ou pas, se multiplient dans nos villes. Je viens de recevoir une invitation de la part de mes anciens confères au CNRS grec, section histoire et anthropologie. Du 19 au 22 décembre, ses éditions sont … en grand bazar, tous les livres scientifiques à 50%. Braderie ou exégèse ?

« Acheter grec » pour sortir de la crise?
Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

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