Hervé Gattegno, rédacteur en chef au "Point", intervient sur les ondes de RMC du lundi au vendredi à 8 h 20 pour sa chronique politique "Le parti pris".
Nicolas Sarkozy a critiqué mardi la primaire socialiste, en estimant que "la Ve République ne peut être l'otage des partis politiques". Pour vous, le chef de l'État commet un contresens qui en dit long. Pourquoi dites-vous cela ?
Je crois que l'analyse de Nicolas Sarkozy est doublement fausse - institutionnellement mais aussi politiquement. Suggérer, comme l'a fait Nicolas Sarkozy, que la primaire socialiste porterait atteinte aux principes de la Ve République, ça revient à confondre un indéniable progrès démocratique avec un bouleversement institutionnel. Dans cette réaction, il y a l'expression d'une crispation, sans doute même d'une inquiétude. Non pas pour la menace que représenteraient les primaires pour l'orthodoxie gaullienne, mais plutôt pour la modernité qu'elles apportent à notre système politique.
Mais est-ce que Nicolas Sarkozy a tort de penser que de Gaulle aurait été hostile aux primaires ?
C'est vrai que de Gaulle a conçu la Ve République contre ce qu'il appelait "le régime des partis" et que l'élection présidentielle suppose "la rencontre d'un homme (ou d'une femme) avec le peuple", selon le cliché habituel, qui n'est pas tout à fait faux. Mais c'est une erreur d'en déduire que les primaires seraient une hérésie. De Gaulle a inventé l'élection présidentielle par le peuple pour donner au président une légitimité supérieure. C'est le raisonnement qu'ont suivi les socialistes pour instaurer un processus de sélection qui donne à leur candidat une légitimité populaire. Je ne vois pas en quoi on combattrait mieux le régime des partis si le candidat était choisi par l'appareil ou par les militants... Au passage, rappelons que la primaire (interne) est inscrite dans les statuts de l'UMP !
Est-ce que l'attaque de Nicolas Sarkozy n'est pas surtout destinée à empêcher la tentation des primaires de gagner son propre camp ?
Évidemment. C'est pourquoi il ne faut pas prendre l'argument de Nicolas Sarkozy au pied de la lettre. Il s'agit pour lui de remettre de l'ordre dans ses rangs, où l'on a senti comme une sorte de jalousie, de frustration, face au succès des primaires - et à l'attention qu'elles ont suscitée, quand on se souvient du bide du débat de l'UMP sur l'islam et la laïcité... L'autre objectif, c'est d'attaquer le PS sans se mettre lui-même en position de candidat : donc en se drapant dans la toge du défenseur des institutions, en continuateur du gaullisme éternel. Le problème, c'est que, sans lui faire injure, la pratique sarkoziste du pouvoir que les Français connaissent ne se conforme qu'assez peu aux canons gaulliens... Si Nicolas Sarkozy a un général pour modèle, c'est sans doute plutôt Bonaparte...
Est-ce que la sortie du chef de l'État peut se retourner contre lui ?
N'exagérons rien. Tout le monde va la juger pour ce qu'elle est : une demi-habileté politicienne et l'expression d'une inquiétude de Nicolas Sarkozy pour lui-même. Ça ne le rendra pas plus impopulaire qu'il ne l'est. Ce qui frappe, c'est que la contamination progressive des dirigeants de l'UMP par l'effet des primaires confirme qu'à droite même beaucoup se situent presque déjà dans l'après-Sarkozy. Et que la majorité envisage à voix haute la succession de son chef avant la fin de son premier mandat, ça, pour le coup, ce n'est pas le fonctionnement classique de la Ve République...
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