TOUT EST DIT

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vendredi 16 septembre 2011

La dette de la Grèce… ou de l’Europe envers la Grèce ?

Les barbares sont dans la cité et dans ce chambardement où l’on marche désormais sur la tête au rythme des tambours guerriers de la finance internationale, de ses marchés et de ses agences de notation, on finit par perdre le sens même de la valeur. Les gangsters de la spéculation mondiale ont imposé l’idée saugrenue qu’ils s’en font.

Un mépris de la Grèce venu d’Allemagne

Dans leur inculture savent-ils même à qui ils se sont attaqués en premier pour ruiner l’Europe ? N’importe, le choix de la Grèce ne pouvait être plus judicieux. Leurs thuriféraires ne cessent depuis des mois de moquer ce pays. Que n’entend-on pas en Allemagne sur ces Grecs paresseux qui ne paient pas d’impôts ? Le premier ministre grec Papandréou a fort justement rétorqué que la paresse n’est pas plus inscrite dans les gènes des Grecs que le Nazisme dans ceux des Allemands !

D’autres voix arrogantes, venues toujours d’Allemagne, suggèrent aux Grecs de mettre à l’encan quelques îles pour réduire leur dette. À quel prix au juste ? Comment évaluer une île grecque et ses vestiges archéologiques par exemple ? En mètres carrés constructibles pour y élever hôtels et marinas où viendra se dorer au soleil méditerranéen la chair blanche et blonde germanique ?

La statuaire grecque, combien ?

L’idée, toutefois, est excellente car elle conduit à réviser la notion de valeur en incluant dans le patrimoine économique grec sa géographie et son histoire. Chiche ! Pourquoi les Grecs ne mettraient-ils pas aux enchères leur patrimoine culturel qui remonte à la plus haute antiquité : Christie's ou Sotheby’s, ces sociétés internationales de vente aux enchères d’œuvres d’art, pourraient très bien organiser la vente. On commencerait par exemple par la frise du Parthénon et la Caryatide enlevée à l’Érechthéion de l’Acropole d’Athènes, aujourd’hui exposées au British Museum de Londres ; on poursuivrait par la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo qu’on admire au Musée du Louvre ; on pourrait aussi brader l’Aurige du musée de Delphes, l’Hermès de Praxitèle au musée d’Olympie, le Poséidon et le masque d’or d’Agamemnon au musée archéologique d’Athènes ou encore la Victoire attachant sa sandale du musée de l’Acropole, si besoin était.

Mais aurait-on même besoin de tous ces chefs-d’œuvre pour rembourser la dette de la Grèce auprès des marchés financiers ? Un seul d’entre eux n’y suffirait-il pas. Il est à craindre qu’aucune de ces fortunes, acquises malhonnêtement mais légalement par spéculation, ne puissent s’offrir un seul de ces vestiges de la naissance de l’Europe elle-même. Car il est littéralement sans prix : tous les spéculateurs du monde réunis qui aujourd’hui jouent la ruine de l’Europe, ne disposeraient pas d’assez d’argent pour s’offrir ce joyau.

La création architecturale grecque, combien ?

Or, que représente-t-il dans tout le patrimoine culturel de la Grèce ? Si peu ! Comment évaluer, par exemple, la création architecturale que les Grecs ont offerte à l’Europe. Il n’est que de se promener de Londres à Berlin en passant par Paris, Rome, Vienne ou Madrid : d’où viennent tous ces frontons triangulaires, ces colonnes cannelées, ces chapiteaux doriques, ioniques ou corinthiens ? Qui s’est jamais promené dans Munich, peut-il avoir oublié Königsplatz avec ses Propylées et ses deux temples grecs se faisant face ? À qui le Parlement autrichien doit-il son architecture en bordure du Ring à Vienne ? À combien peuvent revenir ces brevets architecturaux ?

La pensée grecque, combien ?

Et ce n’est pas fini ! Qui ignore que la pensée grecque a irrigué l’Europe ? Sans elle, même les incultes de la finance internationale n’existeraient pas ? Les Grecs peuvent mettre aux enchères les droits d’auteur de ses écrivains : Homère, par exemple dont l’Iliade raconte une folle guerre pour l’amour d’une femme, Hélène, et l’Odyssée, les dix années d’errance d’Ulysse ensuite avant de retrouver sa fidèle Pélénope à Ithaque, Héraclite qui a soutenu qu’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve et que tout coule, Pindare conjurant son âme de ne pas aspirer à la vie immortelle, mais d’épuiser le champ du possible, Sophocle et sa merveilleuse Antigone qui prétend être de ceux qui aiment et non de ceux qui haïssent pour justifier sa désobéissance à un pouvoir injuste. Sera-t-il nécessaire de mettre à l’encan Socrate, Platon et Aristote ? Un seul livre de ces deux derniers génies ne devrait-il pas couvrir toutes les dettes de la Grèce d’aujourd’hui et de demain ?

Quel pays a donné à l’Europe plus que la Grèce ? Et on vient lui chercher des poux dans la tête. Certains songeraient même à la rejeter de l’Europe ? Qui ne voit dans ce délire une manifestation de « l’ubris », la démesure, dont les Grecs ont appris à la pensée européenne à se garder sous peine d’encourir la foudre des dieux, comme Xerxès, le roi mède, qui fit fouetter la mer pour s’être agitée à son passage et avoir rompu son pont de bateaux sur le Bosphore quand il s’apprêtait à envahir la Grèce moins de 10 ans après l’échec d’un premier débarquement médique à Marathon en -490 ?

« On recherche nouveau Thésée pour terrasser nouveau Minotaure ! »

Et si ni la statuaire, ni l’architecture, ni la pensée ne suffisaient à la Grèce pour rembourser sa dette aux incultes de la finance mondiale, il resterait encore sa Mythologie, cette sublime représentation de l'univers qu’elle a offerte au monde entier et qui reste toujours d’actualité pour peu qu’on sache la lire. On se permet justement d’y puiser et de voir dans le monstre de la finance internationale un nouveau Minotaure qui exige son tribu de chair fraîche en garçons et filles chaque année. On recherche donc un nouveau Thésée capable de terrasser la bête qui ruine le peuple et une nouvelle Ariane qui puisse le guider de son fil pour sortir du labyrinthe où se terre le monstre et ses manigances financières, une fois qu’il l’aura abattu.

Ce n’est pas la première fois que les Grecs connaissent le mépris de leurs voisins. Les Romains eux-mêmes ne les traitaient-ils pas de « Graeculi », les petits Grecs ? Ils avaient bonne mine, ces Romains aux mœurs originelles un peu rustres, au point qu’ils se sont empressés d’imiter leurs modes de vie et de pensée si raffinés, à l’exception, il faut l’avouer, de celui qui conduisait à la Démocratie. Les Grecs ne s’en sont pas formalisés : la civilisation finit toujours par vaincre le barbare. C’est un Romain, Horace, qui a reconnu la défaite de Rome devant la Grèce qu’elle avait colonisée : « Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti Latio », « La Grèce, conquise, a conquis son farouche vainqueur et a porté les arts au Latium sauvage. » Les incultes de la finance internationale feraient bien de se méfier. La dette qu’ils réclament à la Grèce, n’est que grain de poussière à côté de celle inextinguible que l’Europe et le Monde doivent à la Grèce. Pour méditer cette évidence, qu’on tende l’oreille à cette musique de la compositrice grecque contemporaine Eleni Karaïndrou :

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