vendredi 30 septembre 2011
Grèce : « l’union sacrée », vraiment ?
Un grand « ouf » de soulagement a salué la large approbation par la Bundestag, jeudi, de la mise en œuvre du plan de sauvetage de la Grèce. L’Union européenne jubile. On parle du sens des responsabilités et du poids du « G2 » franco-allemand : Mme Merkel affiche sa satisfaction de ne même pas avoir eu besoin de votes de son opposition pour emporter l’adhésion, Sarkozy a chaleureusement « félicité » le chancelier allemand, et sa propre garde rapprochée a mis en évidence le rôle crucial joué par la France pour obtenir cette « union sacrée » (l’expression est de Jean-François Copé). C’est un bien fâcheux détournement de ces mots qui nous renvoient au sacrifice indicible de la jeunesse française pendent la Grande Guerre contre l’Allemagne.
L’approbation du plan par 13 pays de l’UE à ce jour – dont le poids lourds des poids lourds qu’est aujourd’hui l’Allemagne – s’annonce bien comme devant s’étendre à l’ensemble des 17 pays membres de la zone euro pour obtenir l’unanimité requise, même si la Slovaquie traîne des pieds et a remis le vote de son Parlement au 25 octobre. Il porte sur un élargissement de la capacité de crédit du FESF à 440 milliards d’euros (Fonds européen de stabilité financière) dont on sait déjà aujourd’hui qu’il ne suffira pas à combler les besoins des différents pays dont les difficultés deviennent de plus en plus manifestes – l’Italie, le Portugal, l’Espagne.
Ceux-ci, et d’autres peut-être, car pourquoi refuser à l’un ce que l’on fait pour l’autre, vont peser à leur tour sur le processus de sauvetage de l’euro. De nouveaux scénarios s’échafaudent déjà pour accorder plus de fonds, de pouvoirs et de droits au fameux FESF. La spirale infernale – ou le tonneau des Danaïdes, comme vous voudrez – a de beaux jours devant elle.
Pour reprendre une image glanée sur le blog de Harry Dent – financier américain qui a établi une intéressante corrélation entre les périodes de récession et le vieillissement des populations – : « C’est comme un vote approuvant l’achat d’un deuxième navire de guerre dont les militaires ont déjà établi qu’il ne suffira pas à la tâche, parce qu’il vous faut une flotte entière. A quel moment acceptera-t-on que la guerre ne sera pas gagnée, que la Grèce, et d’autres peut-être, ne seront pas “sauvés”, et que les tentatives successives vont seulement réussir à entraîner la chute des membres les plus forts de l’euro ? »
Quant aux plus pauvres, mais qui cherchent à assainir leurs finances, ils seront bien vite aux prises avec leurs propres difficultés politiques devant l’impopularité de la mise sous perfusion de la Grèce. L’Estonie est devenu jeudi soir le 13e pays de la zone euro à approuver le plan d’élargissement du FESF, mais non sans une opposition bruyante même au sein du Parti de la Réforme au pouvoir. Pour Igor Grazin, qui en est membre, la cause est absurde : « Je ne peux pas comprendre comment le FESF va sauver l’Europe et la Grèce. Comment Harry Potter bat Voldemort est quelque chose que chacun peut comprendre mais comment le FESF va sortir l’Europe de la crise c’est un conte de fées. (…) Le FESF ne résout pas les problèmes, il prend juste de l’argent », a-t-il lancé devant le Parlement.
Le petit pays balte devra contribuer de 1,995 milliard au fonds, ce qui a fait dire à Mailis Reps, député du Parti du Centre : « Quand on regarde les salaires des professeurs, le soutien de l’Etat pour les enfants, etc., tout est beaucoup plus réduit ici que dans les pays que l’Estonie va devoir aider financièrement. »
D’autant que tous ces « sauvetages » successifs ont essentiellement pour but d’assurer aux pays en difficulté – le Grèce, mais aussi l’Italie qui a bénéficié de rachats de ses créances par la Banque centrale européenne – la possibilité d’emprunter encore, d’emprunter toujours, mais à des taux dits « raisonnables » d’environ 5 % : une stratégie de court terme. Et de « rassurer les marchés », dont le seul objectif est de gagner de l’argent et dont la nervosité aggrave les conditions imposées aux pays défaillants… de fait. Leur nervosité s’explique, cela dit, par la cacophonie des responsables politiques et le manque absolu de crédit qu’on est prêt à accorder à leurs déclarations.
Renouer avec la croissance, comme ils le promettent régulièrement, est-ce concevable pour la Grèce ou l’Italie ? Faut-il vraiment parier sur un assainissement de leur situation quand ils n’ont plus de ressources de croissance, avec une natalité désastreuse depuis 30 ou 40 ans qui en elle-même annonce à la fois la contraction de l’économie et l’alourdissement continu des charges liées à la vieillesse ?
D’ailleurs la Grèce rechigne, traîne des pieds, remet à plus tard des réformes qui vont peser contre ceux qui créent encore des richesses dans ce pays. La troïka (UE-FMI-BCE) est retournée jeudi en Grèce après avoir claqué la porte au début du mois de septembre pour reprendre son inspection des comptes. Il va falloir notamment déterminer le poids de la fonction publique dans le budget, car nul en Grèce ne sait aujourd’hui combien il y a de fonctionnaires et combien ils sont payés. Du travail de la troïka dépend le versement des prochaines tranches de milliards de sauvetage décidés en mai, et la mise en place de la nouvelle rallonge de 159 milliards décidée le 21 juillet.
Mais si tout cela était essentiellement politique ? L’enjeu, c’est bel est bien une confiscation de la souveraineté grecque, et au-delà un contrôle des budgets, l’unification de la fiscalité européenne au nom de l’euro et de ce fait la fin de la liberté et de l’indépendance des Etats membres. L’« auto-détermination » ? Un vieux souvenir…
Si vous n’y croyez pas, écoutez Alain Juppé, qui est, tout de même et malgré Bernard-Henri Lévy, ministre des Affaires étrangères et voix autorisée du gouvernement Sarkozy. Multipliant les intimidations face à ceux qui envisagent de sortir de l’euro – « conséquences négatives », « danger mortel », « irresponsable » sont quelques-uns de ses mots choisis –, il a affirmé que les Européens sont en train de « franchir une première étape » dans la constitution d’un gouvernement économique européen ». Et il pense « surtout qu’il faut aller plus loin ». « Je suis favorable à une véritable fédération européenne. »
On s’en doutait un peu.
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