TOUT EST DIT

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lundi 5 septembre 2011

Grèce : la France «généreuse» et l'Allemagne «égoïste»

Solidarité oblige, le coût de l'aide à nos partenaires de la zone euro ne fait pas réellement débat en France. L'Allemagne voit les choses autrement. 

Du jamais vu sous la République. Les députés examineront demain un projet de loi de finances comportant côté face une aide de la France à la Grèce, de 15 milliards d'euros, et côté pile un plan de rigueur de 12 milliards d'euros pour les contribuables français. Ce télescopage de la générosité envers autrui et de l'austérité pour soi-même est beau comme l'antique. Les soutiens français à la Grèce, à l'Irlande et au Portugal, qu'ils prennent la forme de prêts ou de garanties, s'élèveront à 47,4 milliards d'euros, soit 730 euros par Français. C'est l'ordre de grandeur des emprunts russes accordés à la Russie des tsars qui représentaient 15 milliards de francs or en 1917 (50 milliards de nos euros). Mais comme le professait François Mitterrand, «la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir».
Les sondages le montrent invariablement, les Français cultivent l'esprit de fraternité. «Au nom de la solidarité européenne, votre pays doit-il aider la Grèce?»: à cette question posée en juin par l'Ifop au nom du Mouvement pour la France, 59% des Français répondent oui, contre seulement 41% pour les Allemands et 73% les Italiens. Serait-on d'autant plus porté à s'entre-aider qu'on gère plus mal ses propres comptes?
Outre-Rhin, on ne cache pas ses réticences. Ainsi le projet d'«eurobonds», les «euro-obligations» émises collectivement par l'Europe au nom de ses États membres. Du Prix Nobel d'Économie Joseph Stiglitz à Jean-Claude Juncker, le Luxembourgeois président de l'Eurogroupe, les bons esprits y voient l'arme absolue pour éradiquer la crise des dettes souveraines. En créant un émetteur unique, à l'instar du Trésor américain, l'Europe, dont les comptes consolidés sont deux fois moins déficitaires que les États-Unis, pourrait obtenir des financements aussi avantageux.
Angela Merkel s'oppose farouchement à une telle solution soutenue par le Parlement européen, qui en a voté le principe le 6 juillet 2011. Berlin a justifié sa position fin août, chiffres à l'appui. Selon une étude du ministère des Finances, rapportée par l'hebdomadaire Der Spiegel, les eurobonds contribueraient à alourdir de 2 à 2,5 milliards d'euros par an la charge de la dette publique de l'Allemagne, une facture de 20 à 25 milliards sur dix ans. Dans la mesure où ils seraient inévitablement émis à des taux supérieurs aux Bunds actuels, les eurobonds pénaliseraient les contribuables germaniques. La facture paraît pourtant dérisoire: 2,5 milliards d'euros, c'est moins d'un millième du PIB annuel de l'Allemagne. Une peccadille comparée à ses pertes si l'Europe devait entrer dans une sévère récession. Les Allemands seraient-ils non seulement «égoïstes», pour reprendre un stéréotype fréquent, mais aussi peu clairvoyants?

Avantages superficiels

La réalité est plus complexe. Il y a d'abord les leçons du passé. «Depuis que la communauté européenne a un budget, ce qui remonte à 1971, les Allemands ont été contributeurs nets à hauteur de 200 milliards d'euros, alors que la France, par exemple, ne verse plus d'argent qu'elle en reçoit de Bruxelles que depuis trois ans environ», nous fait observer Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman. Or il ne s'agit plus de redistribuer des fonds dans le cadre d'un budget européen limité a priori -1% du PIB actuellement- mais d'envisager des transferts infiniment plus massifs.
Ayant elle-même une structure fédérale, l'Allemagne «est très à cheval sur le principe de subsidiarité et sur l'intégrité des règles de fonctionnement à l'intérieur de sa propre fédération», rappelle le professeur René Lasserre, directeur du Cirac (Centre de recherche sur l'Allemagne contemporaine). Après 1945, le pays s'est construit sur le principe de «l'ordo-libéralisme», définissant de façon très minutieuse la liberté et la responsabilité de chaque acteur public ou privé, entre la Fédération et les Länder (régions). La sacro-sainte indépendance de la banque centrale, la Bundesbank puis la BCE, résulte de cette philosophie politique.
Instaurer des eurobonds, autrement dit un ministère des Finances fédéral européen ayant la capacité de s'endetter, sans avoir défini auparavant les règles du jeu entre les États de la zone euro, «reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs», admet Sylvain Broyer, économiste de Natixis à Francfort. Parmi les préalables, ce dernier met en avant l'instauration d'une «règle d'or» inscrivant dans la Constitution de chaque pays le principe d'équilibre. Mais également l'harmonisation des taux d'imposition, en particulier sur les sociétés, et l'instauration d'un mécanisme de secours pour les États en situation de faillite, comme c'est d'ailleurs déjà prévu pour 2013. Sur cette base, il serait alors possible de construire un budget fédéral et des instruments d'endettement communs, les euro-obligations.
Une telle approche peut sembler rigide. C'est la seule façon de ne pas réitérer les erreurs commises lors de la création de l'euro. En France, on n'avait voulu y voir que les avantages superficiels -plus de dévaluations- sans comprendre que la monnaie commune allait automatiquement accroître la concurrence au sein du marché intérieur européen. Grave oubli! «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes», disait Bossuet, il y a trois siècles, pour dénoncer pareille inconséquence.

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