L’affaire DSK a trouvé un écho dans le monde du travail. Les blagues graveleuses et les pressions hiérarchiques à connotation sexuelle n’ont certes pas disparu, mais les machos sont désormais sous surveillance et la parole des victimes se libère.
Aujourd’hui, Philippine se perd en conjectures sur ce qui se serait passé si elle avait répondu favorablement aux avances de son chef. Une embauche sans doute, accompagnée d’un profond malaise. Qu’elles soient modestes employées ou executive women, la majorité des femmes salariées garde en elles des histoires de cette nature. Pour certaines, l’anecdote se résume à une remarque déplacée sur le physique, des appels téléphoniques trop répétés. Agaçant, mais pas trop grave.
D’autres peinent à oublier la scène dégradante qu’elles ont vécue, une insinuation sexuelle ou une main baladeuse. Et certaines se rendent tous les jours au travail le ventre noué, car elles ne savent pas comment se dépêtrer d’une situation de harcèlement caractérisé de la part de leur chef.
Difficile d’avoir des chiffres précis sur ce sexisme trop ordinaire, à la frontière de la goujaterie et de l’abus de pouvoir. Selon une enquête de l’Insee de 2008, 40% des femmes déclarent avoir souffert de caresses, baisers et autres gestes non désirés ; et, dans 25% des cas, ce fut sur le lieu de travail. Autres données plus anciennes, fournies par l’institut Louis Harris en 2000 : 63% des femmes indiquaient alors qu’elles avaient souffert de propos et de gestes douteux, et 60% avouaient avoir été victimes d’avances répétées malgré leur refus, dont 12% assorties de chantage.
L'impunité reste souvent la règle pour les don Juan de la machine à café
Le fait nouveau, c’est qu’avec les affaires DSK et Tron le machisme et ses manifestations les plus outrancières ne peuvent plus sévir en toute bonne conscience. La blague lourdingue ne passe plus. Témoin ce journaliste d’une grande radio nationale bafouillant récemment des excuses à ses collègues après cette sortie : «Ah non, on ne va pas interviewer celle-là, elle est vieille et moche. Je préfère Sophie B., elle, au moins, elle est bonne.» Surtout, la parole des femmes semble enfin se libérer.
Laurence Parisot a donné le ton, dans une interview au «Parisien» le 27 juin dernier. «Après l’affaire Strauss-Kahn, rapportait-elle, nous étions un petit groupe de femmes, ici même, au Medef. Nous nous sommes raconté des choses que nous ne nous étions jamais dites sur nos propres expériences.» Et de relater son premier entretien d’embauche. Le patron avait insisté pour que la rencontre ait lieu au cours d’un dîner ! «Très difficile à gérer. J’ai été recrutée, mais j’ai aussitôt organisé la résistance.»
Pour les don Juan de la machine à café, tout cela ne porte pas à conséquence. Au pire confessent-ils un manque de tact, un soupçon de misogynie. Ils se sentent d’autant plus à l’aise que l’impunité reste souvent la règle. Selon l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), 98% des victimes renoncent à engager des poursuites judiciaires. Par peur des représailles ou faute de pouvoir apporter des preuves matérielles. L’arsenal juridique existe pourtant.
Depuis 1992, le harcèlement sexuel est entré dans le Code pénal et le Code du travail. Une directive européenne de 2002, transposée par la France en 2008 seulement, sanctionne un environnement de travail sexiste et considère le harcèlement au travail comme une discrimination. Reste à faire valoir ses droits, et ce n’est pas si simple. Où finit la drague, où commence le harcèlement ? La réponse tient en trois lettres : «Non», résume Catherine Le Magueresse, juriste spécialisée dans ces questions. «Dès que la personne signifie qu’elle ne veut pas répondre aux avances, si le dragueur insiste, la ligne jaune est franchie.» Et attention, précise-t-elle, «céder n’est pas consentir».
Partie intégrante des conditions de travail, le harcèlement est en règle générale plus courant dans les PME et TPE, où les syndicats sont peu présents. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les rares affaires qui ont fini à la barre d’un tribunal correctionnel : 78 en 2009, selon les dernières statistiques du ministère de la Justice. Très peu donc, mais suffisamment pour identifier le profil type du prédateur. Il s’agit la plupart du temps d’un supérieur hiérarchique. Un chef d’équipe dans une société de nettoyage vosgienne effeuille sur un chantier un calendrier de femmes nues tout en disant à l’une de ses employées «toi aussi, je t’aurai». Il a été condamné à un an de prison avec sursis.
Comportement insupportable, mais au moins explicite. Car, souvent, nos graveleux procèdent par «touches» successives. Ainsi ce secrétaire général d’une chambre de métiers qui a commencé par envoyer à sa cible une pub pour des chocolats aphrodisiaques, puis une autre faisant l’éloge de l’infidélité. Etape 2, il a sollicité à plusieurs reprises son employée pour avoir des relations sexuelles. Jusqu’au jour où celle-ci a trouvé un mot sur son bureau : «Quand me remets-tu ta démission ?» En l’occurrence, c’est lui qui a pris la porte, tout en écopant de six mois de prison avec sursis.
Les sans-grade, les CDD et les précaires constituent bien sûr des victimes idéales. Sur le site Ledire.org, les témoignages de jeunes stagiaires malmenées abondent. Une diplômée d’une grande école de commerce raconte ses débuts dans un cabinet de conseil en management, à 23 ans. Un manager HEC, qui la note sur sa mission, lui propose une bonne appréciation contre une nuit à l’hôtel ! «Après mon refus, j’ai été saquée et, sincèrement, je n’ai pas pensé à contre-attaquer.»
Plus de règles écrites dans les grands groupes que dans les PME
Dans une agence de pub parisienne, cette jeune diplômée voit son profil Facebook piraté par un collègue, qui y publie des photos pornos. Ingénieure dans un grand groupe industriel, Sophie raconte quant à elle avoir accepté longtemps «l’humour lourd» d’un collègue qui lui adressait des «T’as de beaux seins» ou des «J’ai un beau saucisson, tu veux goûter ?», par e-mail. Il a fini par être mis à pied, puis licencié pour faute grave. «Je n’étais en effet pas la première, et la DRH avait des traces», précise-t-elle.
«Dans 87% des cas, les auteurs de violence ou de harcèlement sexuel sont des récidivistes. Et il ne faut pas hésiter, dès les premiers signaux d’alerte, à prévenir l’inspection et la médecine du travail, que l’on soit victime ou témoin. Cela fera des traces pour des procès futurs», conseille Catherine Le Magueresse. Dans les grandes entreprises, la situation est, disons, moins pire. La plupart des grands groupes inscrivent ce sujet dans leurs chartes éthiques, mais dans le cadre plus large du harcèlement moral. Le code de conduite d’Alcatel-Lucent France, par exemple, indique que l’entreprise «s’engage à maintenir un environnement de travail multiculturel, exempt de toute forme de discrimination, harcèlement et représailles».
Mais le volet sexuel n’est pas explicitement évoqué. Chez Accenture, comme dans maints groupes américains, on n’hésite pas, en revanche, à appeler les choses par leur nom, voire à mettre en place des hot lines. «Il faut créer un environnement bienveillant pour faire en sorte que les victimes parlent», souligne Armelle Carminati, DG capital humain et diversité d’Accenture monde. Les syndicats bougent aussi, à l’image de la CFDT, qui forme ses équipes depuis deux ans. «Nous nous appuyons sur la législation, qui fait obligation aux employeurs d’assurer la sécurité psychologique de ses salariés», assure Christophe Dague, secrétaire général adjoint de la CFDT Paris.
Le bureau, toujours un lieu privilégié de rencontre amoureuse
Faut-il alors déclarer le bureau et l’usine zones franches sentimentales ? S’interdire toute séduction entre collègues. Personne ne le souhaite ? Le boulot reste en effet un lieu de rencontre amoureuse privilégié. Selon une enquête d’OpinionWay, réalisée en juin dernier pour les Editions Tissot, un Français sur trois a vécu une aventure sentimentale ou sexuelle avec un collègue ou une relation de travail.
L’Amérique puritaine n’est pas en reste : 20% de couples y ont pris leur envol dans un cadre professionnel. Et c’est chez Disneyland que nous a été rapporté une affaire de harcèlement contre… un homme. Gérard, c’est son nom, a été licencié en 2006 par sa supérieure hiérarchique parce qu’il rejetait ses avances. La dame avait poussé le vice jusqu’à afficher dans les ateliers et les douches des images de son chef d’équipe torse nu. Toujours en avance, ces Américains.
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