TOUT EST DIT

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ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

dimanche 17 juillet 2011

Welcome, Fillon

Monsieur le premier ministre, je n'ai pas d'autre choix que de vous saluer en anglais, car c'est la langue que nous parlons de plus en plus dans nos maisons. Je m'explique. Depuis que vos consulats distribuent plus que chichement les visas d'entrée dans votre pays à nos enfants, nous n'avons plus d'autre choix, pour leur faire faire de bonnes études, que de les envoyer au Ghana, en Inde, ou aux Etats-Unis et au Canada pour les plus fortunés d'entre nous. Dans ces pays, comme vous le savez, on parle plus souvent l'anglais que le français. Depuis quelque temps donc, nous sommes obligés d'apprendre quelques mots d'anglais, pour pouvoir converser avec nos enfants qui nous font croire, lorsqu'ils reviennent en vacances, qu'ils ont oublié la belle langue de Molière dans laquelle nous autres, leurs parents, avons grandi.

Comme vous le constaterez vous-même lors de votre séjour, notre système éducatif est dans un tel état qu'il faut vraiment détester son rejeton pour le laisser étudier ici, si l'on a les moyens de le faire partir à l'étranger. Pendant les dix dernières années, nous étions occupés à la noble tâche de libérer notre pays, que dis-je, toute l'Afrique, de la colonisation française. Vous savez ce que c'est que la guerre de libération. Vous en avez connue une dans votre pays entre 1939 et 1945. Alors nous avons transformé nos écoles, primaires et secondaires, universités, et même notre palais de la culture en poudrière, nous avons créé des "agoras", "parlements" et "Sorbonne" pour bien enseigner la haine à nos jeunes gens, car pour faire une bonne guerre, il faut bien haïr l'ennemi, nous avons fait de nos étudiants des miliciens et des tueurs, et nous étions bien partis pour libérer l'Afrique, du Cap Bon en Tunisie au Cap de Bonne Espérance en Afrique du Sud, lorsque des hélicoptères venus de votre pays ont traitreusement arrêté ce grand dessein. Passons.

Akwaba, Monsieur le premier ministre Fillon.

Là, je parle une langue de chez nous. Ça signifie la même chose que welcome. Depuis que votre pays nous a empêché de libérer notre continent, et pourquoi pas les continent voisins (il n'y avait pas de raison que nous nous arrêtions en si bon chemin si notre premier objectif avait été atteint), nous avons revu nos ambitions à la baisse. Nous voulons maintenant tout juste libérer notre pays. De la pauvreté, de la malnutrition, des maladies, de l'obscurantisme, des prophètes illuminés, des sorciers en tous genres. Nous voulons développer notre agriculture, notre système de santé ; donner un peu de dignité à notre système éducatif afin que nos enfants n'aillent plus fatiguer vos consuls à demander des visas qu'ils n'auront que très rarement ; réparer nos routes ; avoir de l'électricité et de l'eau courante un peu partout, et surtout bâtir une vraie démocratie.

Rassurez-vous. Nous n'attendons pas de vous que vous fassiez tout cela pour nous. Je voulais tout juste vous dire que, passé le temps de la folie furieuse des quatre premiers mois de l'année 2011, nous avons retrouvé notre lucidité et voulons entretenir avec votre pays des relations d'amitié basées sur le respect mutuel et dépouillées de tout complexe. Des voix plus autorisées que la mienne vous diront ces choses mieux que moi, mais le simple citoyen que je suis voulait vous dire cela à sa façon. Et je peux vous assurer que de très nombreux Ivoiriens qui ont échappé à la folie collective qui s'était emparée de certains de nos compatriotes pensent la même chose. En témoigne la manière dont votre ministre des affaires étrangères et votre président ont été ovationnés lors de l'investiture de notre chef d'Etat à Yamoussoukro.

Certes, votre pays a colonisé le nôtre et vos grands parents et parents ont botté les fesses des nôtres. Ce n'était pas bien. Mais nous sommes conscients qu'il est impossible de refaire l'histoire, et nous autres, de ma génération, qui n'avons en réalité pas connu cela, n'avons pas à bâtir notre avenir et celui de nos enfants et petits-enfants sur la rancœur légitime de nos parents et grands-parents. Il n'est cependant pas question d'oublier, mais plutôt de partir de cette histoire douloureuse pour en écrire une nouvelle avec l'encre de l'amitié, de l'entente, de la franche coopération.

Le père fondateur de notre pays eut l'intelligence de comprendre que le pays dépourvu d'infrastructures, de cadres et de techniciens qu'il avait à bâtir avait tout à gagner en coopérant avec celui qui, malgré tous les méfaits de la colonisation, l'avait tout de même ouvert sur la modernité. Il y a sans doute eu des abus de la part de votre pays qui a profité de notre naïveté, de notre inculture en matière financière et technique, et sans doute aussi de notre cupidité et notre absence de sens de l'Etat. Notre souhait est de repartir sur des bases plus saines, que la France nous permette d'accéder à son savoir technique et scientifique. Nous sommes conscients que nous avons notre part de sueur à verser pour que notre pays occupe sa place de leader de notre région. Oui, nous devons travailler beaucoup. Et bien. Pour accéder à notre rêve de développement.

En attendant que vous discutiez de tout cela avec les autorités compétentes, permettez-moi, monsieur le premier ministre, de vous dire, comme mon fils qui fait ses études en Inde, "welcome in Ivory Coast, Mister Prime minister."

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