TOUT EST DIT

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dimanche 26 septembre 2010


Jacques Julliard, l'argent et le pouvoir

Jacques Julliard a toujours rêvé d'être Bernanos, Péguy ou Georges Sorel. Les saintes colères du premier, les nobles fulminations du deuxième, les fulgurances intermittentes du troisième le fascinent et le façonnent. Elles légitiment sans doute à ses yeux sa vocation de polémiste furieux et féroce, elles autorisent, elles encouragent même non seulement ses réquisitoires mais aussi ses injustices et ses falsifications. Ainsi, dans un long article intitulé " Les riches, le pouvoir et la droite " qui fait la couverture du Nouvel Observateur du 2 au 8 septembre, me prend-il à partie pour une chronique parue dans Le Point sous le titre " L'argent-diable " (n° 1972). J'avais tenté de comprendre l'allergie spécifique des Français à l'argent du voisin, à l'argent comme symbole social. Pourquoi aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Italie ou en Espagne, ces nations latines, ou encore au Japon et maintenant en Chine, admire-t-on volontiers les capitaines d'industrie et les réussites matérielles, classe-t-on avec soin les grandes fortunes, regarde-t-on l'argent comme un critère certes non exclusif ni toujours dominant mais positif, alors qu'en France la détestation, l'exécration l'emportent rituellement, innervant la littérature et le théâtre, submergeant le débat public ?

Que n'avais-je pas écrit ? Brandissant sa plume aiguisée comme une faucheuse, Julliard me métamorphose sans appel en domestique des puissants, en majordome des grandes fortunes, en ennemi du peuple, en persécuteur des pauvres. J'avais eu beau prendre en compte la violence du capitalisme financier, les cruautés de la mondialisation, les dérèglements du système financier, les responsabilités des banquiers anglo-saxons ou de spéculateurs de tout poil, l'indécence de l'affaire Woerth-Bettencourt, l'extrême maladresse du Fouquet's, le danger d'incarner dans notre douce France l'alliance du pouvoir et de l'argent, cela ne suffisait pas. Nous sommes en 1793, Fouquier-Tinville a besoin de coupables. Au Nouvel Observateur, il y a Jean Daniel pour l'altitude et pour la rectitude, notamment vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme lui, et il y a Jacques Julliard pour l'étoupille et les mousquetades, le plaisir de tirer l'emportant grandement sur l'utilité de viser juste.

Ce qui est dommage avec les pamphlétaires, surtout quand ils ne manquent ni de culture ni de profondeur, c'est qu'ils détruisent le débat au lieu de le stimuler. Jacques Julliard a été dans ses vertes années l'un des piliers de la " deuxième gauche ", presque son intellectuel organique. Il conseillait Edmond Maire ou Michel Rocard. Il incarnait une forme de modernisme mais aussi de réalisme par rapport à la gauche traditionnelle, au grand courroux de François Mitterrand, qui, à son sujet, pestait contre les éternels embarras des catholiques de gauche. Voilà qu'il considère aujourd'hui que la " deuxième gauche " court le risque de la compromission, voire de la soumission aux lois du marché. Il juge que la social-démocratie, elle, est déjà tombée dans le traquenard partout en Europe. Il appelle désormais à une social-démocratie de combat, refusant tout compromis avec un libéralisme qu'il définit comme une " vaste entreprise d'asservissement de l'homme à son gagne-pain, de l'ouvrier à son emploi, du consommateur à son pouvoir d'achat ". Il appelle en France à un grand rassemblement contre le néocapitalisme, de l'extrême gauche au centrisme. C'est politiquement assez candide, l'extrême gauche récusant par principe le réformisme et les centristes n'entendant absolument pas rompre avec le capitalisme. Derrière ces thèses, il y a la conviction d'une dérive définitive et tragique du capitalisme dont la France serait, avec le sarkozysme, l'allégorie caricaturale. Cela vaudrait au moins discussion. La " France-fric ", c'est son expression, cette quintessence supposée de l'égoïsme et de la cupidité, consacre tout de même 54 % de ses ressources aux dépenses publiques et de solidarité. Il n'y a pas cinq pays au monde où le bouclier social demeure aussi complet.

Julliard ne croit pas à la capacité du système à tirer les conséquences de ses crises, de ses dérives, de ses outrances. Pourtant, les Etats-Unis de Barack Obama et l'Union européenne, la semaine dernière, se sont justement dotés d'instruments de surveillance, de contrôle et de pilotage. A partir de novembre, le G20 va pendant un an tenter de les compléter, de les renforcer sous la houlette de cette France que Julliard voit aujourd'hui hideusement défigurée. En fait, derrière les bûchers que dresse violemment Jacques Julliard, il y a l'éternelle nostalgie d'une nouvelle et introuvable utopie, l'espérance de contribuer personnellement à son invention et la poursuite d'un combat sans fin contre les élites françaises, chargées de tous les péchés du monde et dont il voit l'emblème scandaleux dans les visages de Nicolas Sarkozy, d'Eric Woerth et de la famille Bettencourt. Jacques Julliard aimerait tant devenir l'alchimiste d'une troisième gauche enfin morale, enfin généreuse, une fée capable de surmonter par enchantement les contradictions du possible et du souhaitable, une fée réconciliant les espérances populaires et les contraintes gestionnaires. Mais pourquoi ces idéalistes démontrent-ils si souvent leur amour de l'humanité par la haine de leurs adversaires ?

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