Car le palais Farnèse n'est pas un musée et les conservateurs sont plutôt frileux lorsqu'il s'agit de prêter. Il fut ainsi impossible d'expliquer à la Morgan Library que des salons de 8 mètres sous plafond ne peuvent pas être climatisés. Intraitable, le musée new-yorkais refusa de prêter le livre d'heures Farnèse - dont le fac-similé est tout de même exposé. Et que dire de l'imbroglio territorial ? Le palais Farnèse appartient à l'État italien mais jouit de l'extraterritorialité en tant que siège diplomatique. Qui, de la France, organisatrice de l'exposition, ou de l'Italie devait offrir sa garantie aux assurances ? "Ce fut l'Italie... explique l'ambassadeur. Toutes ces difficultés ont été dépassées, car le projet a enthousiasmé les autorités italiennes, qui ont vraiment joué le jeu..." Ainsi, les musées napolitains, principaux détenteurs de la collection Farnèse, ont accepté de se vider pour confier pratiquement toutes leurs oeuvres. "On ne peut pas leur reprocher d'avoir gardé un Titien", concède, non sans un fil de regret dans la voix, Eléonore Assante di Panzillo, la responsable de l'exposition.
Le Louvre, le Prado, Chambord, le musée de la Renaissance d'Ecouen, le Chrysler Museum, les Offices de Florence , le musée des Beaux-Arts de Budapest, le Vatican ou la Royal Library ont également accepté de prêter des oeuvres.
"Musée farnésien"
Manquent à l'appel l'Hercule Farnèse, l'Hercule latin et les deux Flore Farnèse : les quatre antiques monumentales qui ornaient la cour du palais à son âge d'or. Conservées à Naples, elles sont désormais fragiles et intransportables. Elles ne seront pas absentes pour autant. Un jeu de lumières en 3D projetées sur des plaques sérigraphiées les fait revivre, recréant ainsi ce que les visiteurs du XVIe siècle appelaient le "Musée farnésien".
L'Apollon en porphyre fait, lui, son grand retour au palais. Mais il fallut renoncer à l'exposer dans le grand salon. Ses cinq tonnes risquaient de faire s'écrouler le plancher et il a trouvé sa place dans une loggia de la cour. "En présentant une partie de la collection in situ, explique l'ambassadeur, l'exposition raconte l'histoire du palais, de la dynastie Farnèse, des rois, des artistes et des ambassadeurs de France dont les destins se sont croisés dans le lieu."
Grandes familles ruinées
Dès 1493, le jeune cardinal Alexandre Farnèse commence à acheter des terrains pour construire un palais monumental, destiné à devenir le siège d'une dynastie familiale, et la demeure privée du pape qu'il devient en 1534 sous le nom de Paul III. Homme de pouvoir épris de culture antique, Alexandre collectionne les statues grecques et romaines découvertes dans les thermes de Caracalla, au Palatin ou à Tivoli. Il fait appel aux plus grands artistes de son temps : Michel-Ange pour embellir la façade du palais, le Greco, Raphaël, Sebastiano del Piombo ou Titien. Il achète livres et manuscrits anciens aux grandes familles ruinées. Dans le cabinet Farnèse, il conserve sa collection de pièces et de camées.
À la mort en 1549 du grand pape mécène, l'inventaire du palais Farnèse compte pas moins de 300 oeuvres d'art. Ce sont alors les deux petits-fils de Paul III, Alexandre, dit Alexandre le Grand Cardinal, et Ranuccio, cardinaux à 14 ans, qui reprennent l'héritage culturel de leur grand-père. Ils terminent la construction du palais, complètent les collections et font réaliser la décoration de la salle des Fastes farnésiens à la gloire de la famille. L'ambassadeur de France en a fait son bureau, le plus beau de la République.
Sixtine bis
Le sceptre du mécénat Farnèse saute une génération et passe au cardinal Odoardo, qui a le grand mérite de prendre à son service les frères Augustin et Annibal Carrache. Les peintres bolonais réaliseront de nombreuses toiles, les camerini, et la galerie qui porte aujourd'hui leur nom, considérée comme l'égale de la chapelle Sixtine. La collection Farnèse, la plus importante de son temps, est à son apogée.
Plus pour très longtemps. En 1714, Elisabeth, dernière héritière de la dynastie, épouse Philippe V d'Espagne et transmet les possessions de sa famille à Charles III, fondateur de la maison royale des Deux-Siciles, qui envoie les antiques à Naples.
Ce sont en tout 150 oeuvres qui sont retournées au palais Farnèse pour l'exposition qui s'ouvre le 17 décembre. Une occasion rare, y compris pour les Romains. Depuis sa réalisation, la galerie des Carrache n'a été ouverte au public que vingt-quatre heures. C'était en 1870, et on en parle encore.
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