Il y a des hasards éclairants du calendrier qui amènent des mères de familles méritantes à l’Elysée un vendredi d’octobre, quand les hérauts de la droite tancent ces autres familles qui ne tiennent pas leurs enfants et les exposent aux dangers des manifs.
D’un côté, Hortefeux, Copé, Pécresse rivalisaient d’évidences pour rappeler que la rue est périlleuse et les parents devraient le savoir. De l’autre, Nicolas Sarkozy souriait à des mamans prolifiques qui lui souriaient en retour, les décorait de la médaille de la famille, et les remerciait au nom de la République et de la transmission des valeurs "le travail, l’effort", sans lesquelles "la société s’effondre".
C’est le monde selon la droite: les bonnes familles qui nous garantissent et nous prolongent; contre les mauvais parents qui démissionnent et laissent leur progéniture menacer la société, laquelle doit bien se défendre, fût-ce à coups de flash-ball et de lacrymos? La séquence serait cocasse de vérité idéologique si le réel n’était pas odieux: la surprenante violence d’une répression policière face à des gosses descendus dans la rue malgré tout, et l’ineffable inconscience des autorités, découvrant que le flash-ball aussi est dangereux pour les enfants, après qu’un lycéen de Montreuil a été défiguré…
Il y a des constantes, dans le cynisme des valeurs, quand une droite gouverne et des jeunes manifestent. En 1986, un gosse mourait après avoir été tabassé par des voltigeurs de la police et Robert Pandraud, ministre de la Sécurité, n’avait trouvé qu’une épitaphe injurieuse pour Malik Oussekine et ses parents: "Si j’avais un fils sous dialyse, je ne le laisserais pas faire le con dans la rue." Brice Hortefeux, lui, en appelle simplement aux "responsabilités" des parents et veut désormais retenir, heureusement, sa police. Mais le fond est le même. Des automatismes idéologiques, un faux bon sens qui interdit le remords et masque les responsabilités du pouvoir dans la montée de la tension: la construction méthodique, depuis des mois, d’un discours transformant les policiers en victimes, et les jeunes (de banlieue, mal blanchis, mal élevés, mal intégrés) en agresseurs et en ennemis. A Montreuil, l’ennemi avait 16 ans.
Les invariants idéologiques existent aussi à gauche et ne sont pas forcément plus reluisants. Quand le lyrisme monte, quand on se repaît des martyrs juvéniles, quand on entraîne les gosses dans la rue sans avoir les moyens de les protéger d’eux-mêmes, des voyous, de la police. La gauche est moins coupable d’encourager les manifs que d’être incapable de les encadrer. Les "orgas" de jeunes - FIDL, UNL, Unef - aux leaders verbalement structurés et aux slogans savamment révoltés n’ont ni la carrure, ni la légitimité, ni les services d’ordre pour qu’on leur confie tranquillement des adolescents.
Dans un pays où la police sert une stratégie de la tension à droite, la gauche devrait savoir que la fausse naïveté est une faute ou un crime politique. Hélas, toujours impuni.
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