Pendant la guerre froide (1947-1990), les priorités des diplomaties européennes étaient simples. Il fallait maintenir la garantie de sécurité américaine face à la menace soviétique, tout en existant face à Washington (essentiellement pour la France). Les relations transatlantiques l'emportaient.
Tel n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la disparition de l'URSS et la montée en puissance des pays émergents, dont la Russie, la relation Europe - États-Unis n'est plus aussi centrale. D'autres dossiers sont devenus tout aussi prioritaires. Mais les pays européens semblent découvrir de manière dispersée, sinon individualiste, les nouvelles priorités de leur politique étrangère. Face à la Chine, l'Inde, la Russie ou le Brésil, y a-t-il le début d'une action, sinon d'une réflexion commune européenne ?
Jusqu'ici, les pays européens n'ont fait que prendre conscience du phénomène. Et ils se sont contentés d'un chacun pour soi mercantile. « Comment puis-je m'attirer les faveurs des nouveaux riches de la croissance, et traiter avec eux avant et mieux que les autres ? ».
Les pays émergents ne sont pas dupes de ces « discours amoureux ». Ils y voient de la faiblesse, voire de la naïveté ou de l'amateurisme. Il serait facile d'établir une comparaison entre les débuts de la diplomatie de la France de Nicolas Sarkozy face à la Chine, et ceux de la diplomatie britannique de David Cameron face à l'Inde. La France avait envoyé un message contradictoire à Pékin, mélangeant référence aux droits de l'homme et considérations commerciales. La Chine, consciente de la faiblesse des positions de Paris, n'allait pas manquer de « cibler » notre pays pour faire passer un message de fermeté à l'ensemble du monde occidental : « Vous avez besoin de nous, laissez-nous traiter nos problèmes comme nous l'entendons. »
De la même manière, David Cameron, lors de sa première visite en Inde, en a trop fait, s'alignant, peut-être avec justesse sur le fond, sur les critiques de Delhi à l'encontre du Pakistan. Il a dû faire amende honorable en recevant, peu de temps après et avec égards, le président pakistanais à Londres.
Dans cette course individuelle aux faveurs des pays montants, les pays européens ont tout à perdre. Si nous ne faisons pas de démarche ensemble, nous risquons de perdre ensemble.
Bien sûr, il faut tenir compte du poids des pays émergents. Près de 80 % de la croissance mondiale, entre 2010 et 2050, proviendra de leurs besoins et d'après un rapport de la Banque mondiale, la classe moyenne de ces mêmes pays représentera un milliard deux cents millions d'habitants en 2050 : une augmentation de 200 % par rapport à 2005. Cette classe moyenne sera plus importante que la population totale de l'Europe, des États-Unis, du Canada, en y incluant même le Japon !
Mais c'est précisément parce que le moteur de la croissance économique mondiale se trouve dans ces pays émergents que l'Union européenne, si elle veut être prise au sérieux, doit définir au plus vite une réflexion commune.
L'Union européenne est en train de se doter d'un service diplomatique commun. L'une de ses priorités doit être la définition d'une diplomatie commune à l'égard des pays émergents, avec des règles du jeu et une vision stratégique. Seule, en effet, l'Union en tant que telle a quelque chance d'être prise au sérieux par Pékin, Delhi, Moscou ou Brasilia...
(*) Conseiller spécial à l'Ifri (Institut des relations internationales).
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire