TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

jeudi 12 août 2010

Immigrés aux États-Unis et en France

La fâcheuse tournure prise par le débat sur l'identité nationale et les amalgames suscités par le rapprochement entre délinquance et immigration brouillent la réflexion utile sur ces questions.

Peut-être faut-il partir de quelques notions de base. Est immigrée toute personne née de parents étrangers, à l'étranger, et qui réside sur le territoire français. Certains immigrés deviennent Français par acquisition de la nationalité française, les autres restent étrangers : « Tout immigré n'est pas nécessairement étranger, et réciproquement », rappelle l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), dans ses enquêtes de recensement.

Deux termes sont souvent confondus, qui reposent sur des philosophies différentes. La notion d'insertion est la moins marquée : tout en étant reconnu comme partie intégrante de la société qui l'accueille, l'étranger garde son identité d'origine et ses spécificités culturelles sont reconnues, dès lors qu'il respecte les règles du pays où il vit. L'intégration, autre notion, exprime davantage une dynamique d'échange, où l'adhésion à ces règles n'interdit pas le maintien des différences. Ici, il est intéressant de comparer le modèle « libéral » américain et le modèle « républicain », influent en France.

Aux États-Unis, on distingue nettement domaine public et domaine privé. Depuis les lois des années 1960 sur les « droits civiques », chacun est tenu comme l'égal de l'autre et la loi s'applique de la même manière à tous. En revanche, dans la sphère privée, c'est le principe d'autonomie qui l'emporte : chacun est libre de ses choix et décide de son genre de vie. Semblables au regard de la loi, les Américains peuvent être extrêmement dissemblables dans la vie privée. Ils ne trouveront nullement choquant que des populations différentes vivent dans des quartiers séparés, que des jeunes filles musulmanes portent le voile à l'école et que fleurissent les mosquées. Ce modèle tolérant n'est pas très producteur de solidarité et prend son parti des distinctions sociales et ethniques.

Le modèle français d'intégration républicaine repose sur des bases très différentes. Certes, il est attaché au principe d'égalité, mais il se refuse à dissocier public et privé. Il accepte mal la constitution de ghettos et il voit dans la « mixité sociale » une solution à la ségrégation urbaine. Il reste attaché à un modèle strict de laïcité et, de même qu'il redoutait le port du voile dans les écoles, il s'apprête à « encadrer » celui de la burqa. Au fond, il faudrait que Français et immigrés, semblables au regard de la loi, le soient également dans la vie privée, et que s'estompent tous les signes qui mettent à mal le caractère indivisible de la République.

Nombre d'immigrés préfèrent sans doute le modèle nord-américain. Ils attendent, d'abord, de l'État qu'il les protège contre les discriminations sociales et qu'il respecte leurs traditions, notamment religieuses. Ils ne considèrent pas la République comme une « communauté de citoyens » dont ils devraient intégrer les valeurs et les rituels, mais comme un cadre leur apportant des protections juridiques et sociales que leur pays d'origine serait bien en peine de leur offrir. Si une minorité d'entre eux, à l'image de Rama Yade ou de Malek Boutih, est totalement acquise à la cause républicaine, la majorité s'accommoderait sans doute mieux d'un système à l'américaine.


(*) Professeur de science politique à l'Université de Rennes 1.

0 commentaires: