TOUT EST DIT

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jeudi 1 avril 2010

A la recherche de l'impôt juste

Au moment où le bouclier fiscal suscite des discussions de plus en plus vives, un philosophe, un sociologue et un économiste expliquent dans « La Croix » ce que serait à leurs yeux un système fiscal plus juste
«Seul l'impôt profitant à l'ensemble de la société est juste»
Serge-Christophe Kolm, philosophe et économiste

«Trouver un consensus autour d’un impôt juste s’avère extrêmement complexe. Pourquoi ? Tout simplement parce que la justice en matière de redistribution dépend du corpus de valeurs de chacun. Un ultralibéral, par exemple, considère que les revenus tirés de son travail sont sa propriété. À ses yeux, le prélèvement d’une partie de son salaire à des fins redistributives constitue une forme d’expropriation. À l’entendre, l’imposition est intrinsèquement injuste.

Selon d’autres, à l’inverse, nos revenus découlent en grande partie de nos capacités intellectuelles, de nos origines sociales, de notre éducation, etc. Bref, de paramètres globalement aléatoires. Envisagés sous cet angle, les revenus semblent arbitraires et peu corrélés au mérite. Dans cette perspective, il est souhaitable et juste de taxer très fortement les hauts revenus. C’est ce que promeuvent, par exemple, les partisans de l’égalitarisme.

L’idée que l’on se fait d’un impôt juste découle donc de la façon dont on définit les notions de propriété individuelle ou de mérite personnel. Inutile de dire que les libéraux et les égalitaristes divergent sur ce point. C’est d’ailleurs souvent notre position dans la société qui nous fait adhérer à l’un de ces deux grands systèmes.

Nous optons, en fait, pour le modèle répondant le mieux à nos intérêts personnels. On trouve certes ça et là des individus très aisés partisans de l’égalitarisme mais, en général, ils apporteront plutôt leurs suffrages aux tenants du libéralisme. En face, les plus démunis auront tendance, eux, à dénoncer l’arbitraire de leur position sociale et à réclamer une forte redistribution par l’impôt.

Il faut, selon moi, dépasser cet antagonisme. Comment ? En amenant chacun à faire abstraction de ses intérêts particuliers, tâche ardue ! , et à se poser la question suivante : “Quel est l’impôt juste, non pas pour moi mais pour l’ensemble de la collectivité ?” En effet, seul l’impôt profitant à l’ensemble de la société peut être qualifié de juste.

À partir de là se posent deux questions complémentaires. La première consiste à se demander s’il existe des besoins de base auxquels il est impératif de répondre. Si tel est le cas, on peut estimer que tout impôt permettant de financer ces besoins sera juste. L’autre question est celle de savoir à partir de quel niveau d’imposition les individus risquent d’être désincités à créer de la richesse, au motif qu’il leur semble injuste d’être aussi fortement taxés. Un tel désengagement s’avérerait contre-productif pour la société. »

«L'impôt juste est celui qui prépare l'avenir»
Michel Wieviorka, sociologue

«Avant même de réfléchir à la manière dont il est prélevé, on pourrait se poser la question de la justesse de l’impôt en fonction de son poids. Un impôt lourd n’est pas forcément un impôt juste. Il y a des États qui prélèvent peu mais qui ont une affectation juste et inversement. Donc, le fond du sujet n’est pas que celui du volume.

Techniquement, il y a des impôts qui évoluent plus ou moins selon les revenus des ménages. Je pense pour ma part que l’impôt progressif ne suffit pas, et qu’il faut tendre vers un impôt vraiment proportionnel. Je pense de ce point de vue que la TVA est un impôt injuste, mais c’est là une question de philosophie politique.

Au-delà de ces considérations, la question de fond est moins celle du poids ou du mode de prélèvement de l’impôt que celle de son usage. Si l’on considère que le modèle de société souhaité est celui d’un monde où le meilleur gagne en s’appuyant sur ses seules forces individuelles, on n’aura pas la même conception de l’impôt que si l’on aspire à une société de solidarité avec les plus démunis. L’impôt est là pour répondre à des attentes.

Mais que constate-t-on ? Les Français ont le sentiment de ne plus savoir où va leur pays. Et ils ont le sentiment d’une perte de sens du politique. Ils ne savent plus très bien à quoi servent les élections régionales, s’il faut être pour ou contre l’Europe… Pourquoi tant d’angoisse, tant d’incertitude dans cette société contemporaine ? Parce que, au fond, la France n’a pas encore terminé sa lente sortie de l’ère industrielle qui dure depuis maintenant quarante ans. Tous nos repères traditionnels ont vacillé.

Dans un tel contexte d’inquiétude, je pense qu’un impôt juste est celui qui contribue à la reconstruction d’un avenir. Prenons l’exemple de l’industrie automobile. Si je prélève des impôts pour sauver l’emploi et protéger l’industrie telle qu’elle est, il y a de fortes chances pour que vous le trouviez injuste. En revanche, si je prélève l’impôt pour préparer autrement la mobilité dans l’espace, l’urbanisme, l’utilisation de l’énergie, je contribue à redonner du sens à un projet collectif.

Un programme de gauche comme de droite qui commencerait par dire : “Voilà la fiscalité que je propose” passerait donc à côté de l’essentiel. La fiscalité est un moyen au service d’une vision et non l’inverse. Il porte un projet qui s’adresse aux citoyens d’aujourd’hui mais qui prend aussi en compte les générations à venir. »

«Il faudrait rendre le système plus simple et plus homogène»
Jacques Le Cacheux, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

« Pour définir un impôt juste, les économistes distinguent deux dimensions. La justice horizontale, d’abord, consiste à dire : à situation identique, traitement identique. Ce qui, en matière fiscale, revient à appliquer un même impôt aux personnes qui ont un niveau de vie comparable.

La justice verticale, elle, consiste à prélever plus les personnes les plus aisées et moins les personnes les plus modestes, de façon à assurer une redistribution des revenus. Ce critère est plus subjectif car, si toutes les sociétés modernes considèrent qu’il est normal de pratiquer une justice verticale, le degré de redistribution acceptable est sujet à des jugements de valeur.

Hélas, la fiscalité française ne répond plus ni à l’un ni à l’autre de ces deux critères. Concernant la justice horizontale, elle ne traite pas pareil les personnes qui ont des situations économiques comparables. Elle taxe ainsi différemment les revenus du capital et ceux du travail. Et, dans les revenus salariaux, le salaire fixe et les heures supplémentaires ne sont pas imposés de la même façon. Les niches fiscales aggravent encore ces disparités.

Concernant la justice verticale, l’impôt sur le revenu est devenu de moins en moins progressif avec la réduction du nombre de tranches et la diminution des taux marginaux, ce qui a rendu le barème moins « pentu ». La TVA est aussi par nature non redistributive. Ensuite, le bouclier fiscal, qui plafonne l’impôt à 50 % des revenus, limite clairement la justice verticale. Enfin, dernier exemple, la CSG, créée dans les années 1990, qui est appliquée avec le même pourcentage quel que soit le revenu, et sans quotient familial, est moins progressive que l’impôt sur le revenu.

Pour rendre la fiscalité française plus juste, il faudrait arrêter de réformer morceau par morceau, comme on l’a fait ces dernières années, mais regarder les impôts comme un tout pour tenter de rendre le système plus simple et plus homogène. On pourrait, par exemple, fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG en un impôt global fonctionnant avec les mêmes règles.

Une autre réforme consisterait non pas à supprimer toutes les niches fiscales, dont certaines ont des justifications économiques, mais à y mettre bon ordre. Il s’agirait d’éliminer celles qui sont contraires à l’équité sans être très efficaces économiquement. Je pense aux incitations immobilières, comme la déduction fiscale sur les intérêts d’emprunts ou les dispositifs Scellier ou Robien, qui parviennent plus à défiscaliser qu’à orienter l’investissement. »
Recueilli par Marie BOËTON, Bernard GORCE, et Nathalie BIRCHEM

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