TOUT EST DIT

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dimanche 9 mars 2014

L’homme qui ne pouvait pas gouverner


Ayrault paiera l’addition pour avoir trop ressemblé à François Hollande. Sans avoir eu ni l’autorité ni les moyens d’être un vrai premier ministre.
Jean-Marc Ayrault n’est ni usé ni fatigué, il est « totalement disponible » (le Parisien du 2 mars). C’est un bon résumé de sa situation de premier ministre : dire qu’il est disponible signifie qu’il est non seulement à la disposition du président de la République, conformément aux institutions, mais qu’il est prêt à examiner toute nouvelle proposition. Celle-ci ne saurait plus tarder. Comme il faut un motif de séparation, son sort sera scellé au lendemain des élections municipales. Il sera rendu responsable de l’abstention qui exprimera le désarroi de l’électeur de gauche devant le bilan désastreux de ces deux années. Sera-ce vraiment sa faute ? Son principal handicap aura été de trop ressembler à François Hollande (l’humour en moins) et comme celui-ci n’a pas l’intention de se sanctionner lui-même, c’est lui qui paiera l’addition.
A-t-il jamais été premier ministre ? Une fois sans doute, quand il a demandé la tête de Delphine Batho, alors ministre de l’Écologie, qui n’était pas contente de son budget : elle fut démise de ses fonctions le jour même de ses déclarations et elle est, depuis, retournée dans l’anonymat. Acte d’autorité ! Il est vrai que Mme Batho n’avait aucun poids politique, à la différence de Mme Cécile Duflot. Quand, l’autre samedi, la ministre du parti vert applaudissait bruyamment à la manifestation contre l’“Ayrault-port” de Nantes et comprenait la tristesse actuelle du militant de gauche, la moutarde est montée au nez du premier ministre, mais après un éclat de colère, il s’est vite calmé : la majorité socialiste n’est pas en mesure de faire l’impasse sur l’appoint que représente le groupe vert à l’Assemblée et dans les collectivités.
En pleine révolte fiscale à l’automne dernier, Jean-Marc Ayrault intervenait auprès des éléments les plus suicidaires du groupe socialiste pour les empêcher de déposer des amendements en faveur de la progressivité de la CSG : « Mauvaise idée », plaidait-il. Un mois plus tard, le 19 novembre, il lançait la “grande initiative” du moment en annonçant la remise à plat de la fiscalité. Remise à plat qui allait disparaître lorsque le président de la République présentait son “pacte de responsabilité”, lequel devenait du même coup la “grande priorité”. De la remise à plat, il reste des “groupes de travail” et le retour de l’idée d’une CSG progressive dénoncée il y a six mois… Ayrault avait voulu reprendre la main sur Bercy, Bercy est resté impavide.
Le 2 février dernier, La Manif pour tous réussissait une nouvelle démonstration de force à Paris et à Lyon ; à l’Élysée, on se rendait compte qu’à maintenir le projet de loi de Mme Bertinotti sur la famille on se préparait un “printemps pourri” qui pourrait faire sombrer le pacte tout juste annoncé. Il fallait donc d’urgence retirer le projet. Qui l’annonçait ? Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, qui se croyait déjà à Matignon. Ayrault se contenta d’un communiqué laconique quelques heures plus tard pour expliquer qu’en raison de l’agenda parlementaire, « aucun projet de loi sur la famille » ne serait discuté en 2014. L’hypocrite nous dit maintenant (le Parisien) qu’il n’y avait « pas de projet rédigé »
Ce ne sont que des exemples. Jean-Marc Ayrault a-t-il donné la moindre instruction à Laurent Fabius, Manuel Valls, Christiane Taubira, Cécile Duflot ou Vincent Peillon ? Ils protesteront tous de leur “travail en étroite collaboration” avec lui — mais pour faire exactement ce qu’ils veulent, sous la seule contrainte des directeurs de Bercy. Le premier ministre n’a ni autorité ni moyens parce que tout remonte à l’Élysée. Et quand la présidence ne sait pas ce qu’elle veut parce que François Hollande n’a pas de convictions, l’initiative revient à chaque ministre : à Vincent Peillon l’idéologie introduite dans le système éducatif, à Christiane Taubira la culture de l’excuse dans l’exécution des peines, à Cécile Duflot la lutte des classes dans ses lois sur le logement, etc. Mais après avoir assumé la hausse massive des impôts, on voit mal comment Ayrault pourrait aussi incarner les 50 milliards d’économies qu’on lui demande. Il y aura une question de confiance.
Les seuls premiers ministres qui aient vraiment gouverné depuis trente ans s’appellent Jacques Chirac, Édouard Balladur, Lionel Jospin — trois chefs de gouvernement en cohabitation avec le président de la République. En ramenant de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel en 2001, en plaçant les élections législatives après la présidentielle, on a voulu empêcher toute alternance (sauf accident) durant une présidence. On l’a voulu au nom de la cohérence dans la durée. La conséquence est que l’on en est réduit à changer les têtes pour faire croire que l’on change de politique quand celle-ci a échoué.

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