TOUT EST DIT

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samedi 2 novembre 2013

Reculades à près de 2 milliards d’euros : mais où le gouvernement va-t-il être tenté d’aller chercher l’argent du manque à gagner fiscal ?


Au sortir d'une séquence de rétropédalage intensif, le gouvernement Hollande a assuré qu'il avait su "écouter" la plainte des Français face à la pression fiscale. Le manque à gagner pour Bercy laisse cependant imaginer que François Hollande et Pierre Moscovici vont revenir à la charge sous peu.

- En choisissant de reculer sur l'écotaxe et la taxation des petits épargnants, le gouvernement se retrouve au pied du mur alors que Bruxelles et le FMI préconisent des économies budgétaires pour la zone euro. A combien le manque à gagner de ces "reculades" s'élève-t-il concrètement ?

Gérard Thoris : L’idée que l’on puisse connaître a priori le rendement d’un nouvel impôt est tout simplement une illusion comptable. Dès que vous taxez un bien ou un service, les agents économiques s’ajustent. Puisque, dans le projet actuel, les autoroutes à péage ne sont pas soumises à l’écotaxe, il est évident que les transporteurs routiers vont s’ajuster à cette nouvelle tarification au coût du kilomètre. Les Bretons constatent en passant comme il est regrettable d’avoir obtenu, en d’autres temps, la gratuité de leurs routes à deux fois deux voies ! Mais ce n’est pas tout : si le surcoût de l’écotaxe (1,15 Mds €) est répercuté sur leur consommateur, son budget comportera moins de biens. Les entreprises évincées du panier de consommation feront moins de profits et paieront moins d’impôts ; elles pourraient bien devoir licencier du personnel… qui paiera moins d’impôt. Bref, avant de dire que l’écotaxe peut rapporter 1,15 Mds d’euros, il vaut mieux savoir qui est censé la payer, quels postes budgétaires vont être impactés par cette taxe et comment les agents économiques vont réagir à cette augmentation des prélèvements.
Il en est de même pour les PEA-PEL (200 Mns €), mais l’effet est beaucoup moins sensible à court terme puisque les intérêts de ces plans n’étaient pas destinés à une consommation immédiate. Mais l’effet de richesse des ménages aurait diminué du fait du prélèvement fiscal, leur capacité à acquérir un bien immobilier aurait supposé d’épargner davantage. De ce fait, les recettes de TVA auraient pu diminuer. Évidemment, personne ne peut modéliser ces comportements dans la situation conjoncturelle et structurelle de la France.
Reste que ces recettes partiellement virtuelles avaient été budgétées. Cependant, il ne s’agit que de l’écume de la vague. Le budget 2014 est fondé sur une croissance de 1% en volume. Une fois de plus, malgré l’aval surprenant du FMI, c’est bien davantage que le consensus des économistes : 0,6 % pour Natixis ou 0,8 % pour la banque BNP Paribas. Or, un dixième de croissance en moins représente un milliard de recettes fiscales perdues.
Philippe Crevel : De cafouillages en reculades fiscales, la facture s'alourdit pour l’État et les régimes sociaux. Aux 1,15 milliards d'euros de l'écotaxe, il faudra ajouter les pénalités à payer à l'entreprise en charge du prélèvement de cet impôts. La facture pourrait être de 130 millions d'euros par an.
En ce qui concerne la suppression partielle de la mesure concernant l'épargne, le coût est de 200 millions d'euros. Sur ce sujet, la question est plutôt de comprendre le mode d'évaluation de la recette, qui demeure très flou.
Avant ces deux affaires médiatiques, d'autres reculs avaient été conduits par le gouvernement. Certains secteurs d'activité ont obtenu de passer au taux de TVA réduit de 5 % pour échapper au relèvement du taux intermédiaire de 7 à 10 %. Ont ainsi bénéficié de cette diminution :  le logement social, les travaux de rénovation des HLM, mais également le cinéma. A la clef, quelques centaines de millions d'euros en moins pour l’État. Il y a aussi l'abandon de la taxe sur l'excédent brut d'exploitation, mais qui a été compensé par l'augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés.

Christian Eckert, rapporteur PS du budget à l'Assemblée nationale, a assuré que tout éventuel manque à gagner serait compensé par des "économies" sur les dépenses gouvernementales. Quand bien même le gouvernement déciderait de faire suivre cette déclaration d'effets, quelles sont les pistes qui pourraient s'offrir à lui ?

Gérard Thoris : La technique suivie par la plupart des gouvernements en matière de diminution des dépenses publiques consiste généralement à supprimer des dépenses là où c’est le moins visible, ou le moins sensible. Cela peut être une diminution de l’indexation des prestations, une réorganisation des heures de service des fonctionnaires, etc. Cette technique a ses limites, même s’il et bien difficile de savoir où elles sont. En d’autres termes, il est vraisemblable que les efforts de diminution des dépenses devront prendre une forme plus générale. A regarder autour de nous, ce peut être une remise en cause des primes des fonctionnaires, une augmentation des droits d’inscription à l’université, une révision des conditions d’octroi des allocations de chômage. On le voit, ces pistes n’ont pas été préparées et, dans le contexte actuel, elles seraient dangereuses à mettre en place.
On sait par ailleurs que c’est dans le budget de la protection sociale et des collectivités territoriales que les hypothèses de maîtrise des dépenses ont été les plus ambitieuses. Il faudrait déjà s’assurer que ces objectifs soient atteints, ce qui a rarement été le cas dans le passé, avant de proposer de les resserrer encore.
Philippe Crevel : Depuis le début de la discussion budgétaire, que ce soit pour l’État ou la Sécurité sociale, le Gouvernement met en avant d'éventuelles économies que nous ne voyons pas venir. Au mieux, il y a une moindre augmentation de la progression, et encore, il faudra vérifier. De ce fait, la compensation par réduction des dépenses risque d'être une illusion. Certains évoquent une réduction des dépenses d'investissement dans le domaine ferroviaire or, en la matière, les marges de manœuvre sont faibles, surtout après l'accident de train sur la ligne Paris-Limoges du 12 juillet dernier. Il est fort probable que le gouvernement use et abuse des augmentations de taxes de toutes natures. Le recours aux recettes de poche est d'un grand classique durant la discussion budgétaire. Il suffit de relever de quelques centimes les taxes sur les alcools, les boissons énergisantes, ou le tabac. 

En parallèle, M. Moscovici a annoncé une future réforme de l'assurance-vie pour compenser la reculade sur l'épargne. Au-delà de cette mesure, quels impôts Bercy risque t-il de privilégier pour engranger de nouvelles recettes ?

Gérard Thoris : En termes de fiscalité, le gouvernement a renoncé à une augmentation substantielle des impôts à grand rendement (TVA, CSG) en lui préférant la multiplication des ponctions locales ou catégorielles. Il imaginait sans doute que cela lui ferait faire l’économie d’une discussion publique, protégée par l’argument magique de la justice sociale. On sait que cela n’a pas fonctionné. Tout le monde est désormais vent debout contre toute modification marginale du système socio-fiscal. Le plus probable est la paralysie de l’action publique. Il faut donc se préparer à l’annonce d’une modification des objectifs de réduction du déficit budgétaire.
Philippe Crevel : Les épargnants risquent de rester dans l’œil du cyclone. Le gouvernement semble vouloir faire main basse sur les fruits du patrimoine des Français. C'est assez cohérent avec les écrits de Thomas Piketty, économiste qui a sorti un essai sur le capital au 21ème siècle. Pour le moment, la réforme de l'assurance-vie n'est pas connue dans ses détails. Elle risque de s'accompagner d'augmentations. Il a été évoqué de diminuer l'abattement des droits de succession de 152 000 à 100 000 euros et de relever le taux de prélèvement libératoire de 7,5 à 10 %. L'abattement de 4 600 euros dont bénéficie l'assuré au moment du rachat est également dans le collimateur.  

Face au dilemme qui se pose pour le gouvernement (réduction du déficit contre endiguement de la pression fiscale) quelle serait selon vous la marche à suivre ?

Gérard Thoris : Les démocraties ont été fondées sur le principe du contrôle des dépenses du souverain. Il est bien clair que le gouvernement n’avait pas une idée convenable de la situation économique de la France. Il est tout aussi clair qu’il a, en matière fiscale, privilégié le vieux programme Changer l’impôt pour changer la France qui date des années 1980. Ce faisant, il a épuisé la confiance de l’ensemble des contribuables et se trouve paralysé.
Un programme de simplification des règles fiscales ne peut être mené par un gouvernement qui a tellement travaillé à les compliquer. Mais il serait de toute façon difficile à engager dans une période où les revenus des entreprises comme des ménages sont tellement contraints. De plus, son effet sur la croissance serait certainement sensible avec un décalage important. Pourtant, la mise en cale sèche de notre système socio-fiscal est la condition nécessaire du retour de la confiance dans le système démocratique. C’est donc une condition nécessaire du retour de la croissance.
Philippe Crevel : Avec des prélèvements obligatoires qui atteignent 46 % du PIB, avec une instabilité effrénée de la fiscalité, les Français ne sont pas loin de l'overdose fiscale. Il y a saturation de la fiscalité de subordination, la fiscalité adoptée pour changer les comportements : pas fumer, pas boire, pas polluer, pas rouler en voiture... Il faut sortir de la logique de la fiscalité-sanction qui crée des rancœurs. Il faut accepter l'idée que la fiscalité sert à financer les États et non à orienter le comportement des contribuables. Il faut plus de neutralité et moins de pointillisme  fiscal. Supprimer les niches, c'est très bien à condition que l'effort soit général et réel. D'exonérations et dérogations, le système fiscal français est mité. L'instauration de nouveaux impôts ou le relèvement de ceux qui existent génèrent de plus en plus de révolte, conduisant le Gouvernement à créer de nouvelles dérogations. Revenir aux principes de base, une assiette large, des taux faibles... il n'y a pas mieux, avec évidemment en parallèle la réalisation d'économies. Mais sur ce dernier point, les 12 travaux d'Hercule relèventde la plaisanterie.

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