TOUT EST DIT

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vendredi 8 novembre 2013

Délinquance financière : "L'État a pris conscience qu'il y avait du pillage"


Au Château des rentiers, dans le 13e arrondissement de Paris, ce sont environ 355 fonctionnaires qui traquent au quotidien les faits de corruption et d'escroquerie les plus divers. Les médias s'attroupent régulièrement devant les portes du bâtiment austère, dès lors qu'un grand patron ou un homme politique y est auditionné. Les affaires Elf, Kerviel, Bettencourt ou encore Tapie sont effectivement traitées ici. Gilles Aubry, patron du Château des rentiers, a accepté pour Le Point.fr d'expliquer les rouages de la sous-direction des affaires économiques et financières. Entretien.
Le Point.fr : Sept brigades, qui traitent d'affaires complètement différentes, dépendent du Château des rentiers. Comment expliquez-vous cela ?
Gilles Aubry : La multiplication des brigades est un moyen de s'adapter à la délinquance de droit commun et aux phénomènes de criminalité organisée qui évoluent sans cesse. La Brigade d'enquêtes sur les fraudes aux technologies de l'information (BEFTI) en est un excellent exemple avec le développement d'Internet. Tout comme la Brigade de recherches et d'investigations financières (Brif), créée pour répondre à un besoin d'enquête et d'initiative en matière de lutte contre le blanchiment. La sous-direction des affaires économiques et financières est extrêmement riche, mais elle souffre d'un certain paradoxe. Si la Brigade financière (BF) ou encore la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) jouissent d'une trop grande notoriété (entendu dans le sens d'un excès de médiatisation, NDLR), les autres brigades accusent un certain déficit d'image. Car elles ne traitent pas d'affaires aussi médiatisées, mais qui sont pourtant tout aussi sensibles. Je pense par exemple à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), qui va prendre en charge toutes les affaires de diffamation par voie de presse. Chacune de ces brigades, dans son domaine, s'inscrit dans un pôle d'excellence. Que ce soit la Brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA, qui s'attaque notamment aux faux et abus de confiance, NDLR) ou la BRDE, qui, pour schématiser, traite de tout ce qui tourne autour des marchés publics. Enfin, la Brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP) est très active, notamment pour lutter contre les escroqueries réalisées sur les sites de e-commerce. 
L'État souhaite particulièrement lutter contre la fraude fiscale. C'est vous, au Château des rentiers, qui traitez ces affaires. Comment travaillez-vous ?
Cela peut être extrêmement compliqué de remonter les sociétés-écrans, les flux financiers, etc. Mais on est extrêmement forts, ou en tout cas extrêmement déterminés (rires) ! On ne recherche pas, comme sur une scène de crime, des traces de sang ou d'ADN. On partira presque toujours de la documentation. Tout est dans le papier, dans l'écrit, ou dans les échanges électroniques que l'on récupère lors de perquisitions. Évidemment, encore faut-il trouver ces documents. Mais nous avons de nombreux moyens à notre disposition. Je peux aller chez vous, et si vous avez détruit vos relevés de compte bancaire, j'irai à la banque, qui, elle, a une obligation de les conserver un certain nombre d'années. On va finir par savoir que, régulièrement, vous versez tant d'euros à une personne, que l'on va aller voir à son tour. Et ainsi de suite. C'est très schématique et réducteur, mais cela fonctionne un peu de cette façon. D'où l'argent est-il parti ? Par qui est-il passé ? Où et comment ? Il faut essayer d'y voir clair dans la nébuleuse des montages complexes de sociétés sous-traitantes, alliées ou qui font partie de holdings installées à l'étranger dans des paradis fiscaux. Ce travail est purement économique et financier. On a également des brigades qui vont faire des surveillances, des planques, des écoutes téléphoniques, des interpellations dans la rue et à domicile, et agir comme on pourrait le faire en matière criminelle. 
La lutte contre les fraudes sociales occupe également une grande partie de vos activités...
L'État a pris doublement conscience qu'il y avait du pillage. Il a compris que lutter contre la fraude fiscale lui permettrait de faire rentrer des sous dans les caisses. Mais il faut également agir sur le terrain de la fraude sociale. Ce sont des gens qui bénéficient de prestations auxquelles ils n'auraient pas droit et qui profitent un peu des faiblesses de notre système de contrôle. Il s'agit par exemple de remboursements fictifs ou de primes à l'emploi versées sur la base de faux dossiers. C'est une multitude de petits cas qui font de gros dégâts. C'est le pharmacien ou la pharmacienne qui va surfacturer, qui va utiliser la carte du client sans qu'il le sache pour se faire rembourser des médicaments qui n'ont pas été délivrés. Le préjudice peut monter facilement à plusieurs centaines de milliers d'euros. C'est également le médecin qui, quand on regarde ce qu'il a déclaré, aurait dû facturer 48 heures dans la journée pour percevoir ce qu'il a perçu. Pour que nous puissions agir, il nous faut un signalement de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Elle a elle-même mis en place des outils pour détecter ce genre de cas. 
Et concernant les fraudes informatiques, qui permettent notamment de réaliser ces escroqueries en tout genre ?
La BEFTI a été créée pour ça. On a déjà constaté qu'on pouvait voler énormément de données sur Internet, ne serait-ce qu'en allant les recueillir sur les comptes Facebook. Les escrocs prennent le nom, le domicile, la date de naissance de quelqu'un. Et à partir de là, ils tentent de créer de faux dossiers de crédit. Ils reçoivent un premier versement dont ils se servent immédiatement pour passer une grosse commande. Ils se font livrer la marchandise et ils disparaissent parce que, techniquement, ils n'ont aucune existence. C'est pour cela que nous sommes en contact constant avec tous les organismes bancaires. Nous échangeons de l'information, du savoir. Les hackers plus expérimentés peuvent également s'introduire dans les systèmes de traitement automatique de données (STAD) ou s'arrangent pour déclencher des ordres de virement sur un compte constitué ailleurs à l'étranger, sous une fausse identité. 
Et arrivez-vous à les retrouver ?
Il y a en Israël des individus identifiés et localisés. Certains ont la double nationalité. Pour l'instant, on essaie de demander à la justice israélienne de mettre fin à leurs agissements. Sans succès. Cela constitue quelque chose de véritablement insupportable. Imaginez : vous appelez une société et vous vous faites passer pour le P-DG d'une entreprise partenaire. Vous vous arrangez pour tomber sur la deuxième comptable le vendredi soir à 18 heures, quand elle est toute seule et que son supérieur n'est plus là. Vous dites que vous êtes en train de racheter une société étrangère chinoise et qu'il vous faut immédiatement pouvoir dégager un million d'euros à virer immédiatement sur un compte dont vous fournissez les coordonnées. C'est à la fois simple et complexe. Il faut avoir un culot et un bagou assez hallucinant. Il faut connaître le nom du P-DG, son agenda, ses habitudes...
Estimez-vous avoir les moyens nécessaires pour accomplir votre tâche ?
On a toujours la tentation de dire que, si on avait plus, on ferait plus et mieux. C'est évident. Mais la direction de la police judiciaire, en tout cas celle que je connais, c'est-à-dire celle de Christian Flaesch, a toujours eu à coeur de maintenir la capacité opérationnelle de la sous-direction des affaires économiques et financières. Si les moyens ont baissé, ils n'ont pas baissé plus qu'ailleurs. Chaque année, Tracfin (la cellule de Bercy chargée de lutter contre le blanchiment, NDLR) annonce une augmentation du nombre de ses signalements. Mais encore faut-il que, derrière, nous ayons au Château des rentiers les effectifs nécessaires pour traiter ces affaires. C'est la même chose au parquet : s'il n'y a pas assez de substituts pour soutenir les dossiers et l'accusation, on est beaucoup moins efficaces. Soyons clairs : les enquêtes qui doivent aboutir aboutissent. Mais il y a parfois des enquêtes qui nous arrivent avec un certain retard. Nous signaler des faits de travail dissimulé alors que les chantiers ont déjà disparu depuis un an ou deux et que les sociétés mises en cause n'existent plus, cela ne représente qu'un intérêt très limité. On va devoir identifier les sociétés, retrouver les personnes qui pour la plupart étaient en situation irrégulière et étaient payées au noir. Cela prend du temps pour un résultat qui est très incertain.
Et que peut-on faire de plus ?
Selon moi, il faut vraiment prendre l'enquête par les deux bouts. Il faut arrêter les voyous, mais également capter le patrimoine qu'ils ont constitué au fil des années. Nous devons récupérer l'argent qui provient de ces escroqueries et de ces malversations. Quelque part, la peine, la condamnation, ne suffit pas à réparer le préjudice causé à la société

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