Se tenait ce jeudi 17 octobre la Journée mondiale du refus de la misère, un concept large et d'une rare complexité tant il peut, d'un pays ou d'un continent à l'autre, augmenter ou se résorber sous des formes diverses, reflétant la difficulté d'évaluer celle-ci avec de simples outils statistiques. Bilan de l'évolution de la misère dans le monde depuis le début de la crise économique.
vendredi 18 octobre 2013
Misère et pauvreté : les pays et catégories de population qui en sont sortis, ceux qui y sont restés, ceux qui y sont tombés depuis 2008
Francine Mestrum : Les organisations internationales travaillent avec deux concepts de pauvreté : une pauvreté "extrême" qui, selon les normes de la Banque mondiale concerne les personnes vivant avec moins de 1.25 $ par jour et la pauvreté, que l’on pourrait dire ‘normale’ qui concerne les personnes vivant avec moins de 2 $ par jour. Il s’agit d’une pauvreté "absolue" qui ne tient pas compte de la richesse ou du bien-être des sociétés dans lesquelles elle se manifeste. Ces seuils de pauvreté sont calculés en PPA ou parités de pouvoir d’achat afin de pouvoir comparer les statistiques des différents pays.
Certes, ces seuils sont critiquables, et le calcul des PPA est très aléatoire, mais ce sont les seules statistiques dont nous disposons, et même si on peut avoir des doutes quant à leur pertinence, elles donnent des ordres de grandeur. Il existe encore bien d’autres possibilités de mesurer la pauvreté, par exemple la pauvreté dite "multidimensionnelle", allant au-delà des revenus monétaires, ou les "brèches de pauvreté" pour calculer le montant total qu’il faudrait pour éradiquer totalement la pauvreté. Toutefois, toutes ces mesures n’aident pas nécessairement à mieux lutter contre la pauvreté ou à aider les personnes et les populations pauvres.
Eliane Mosse : La plupart des définitions de la pauvreté reposent sur des critères purement quantitatif : moins de 2$ par jour et par personne pour l'ONU, moins de la moitié du revenu médian pour eurostat. Personnellement, je définirais la pauvreté par trois critère : faibles revenus, précarité, exclusion. De plus, dans des pays où une économie familiale non chiffrable existe, la barre des 2 ou 2,5$ est illusoire
Francine Mestrum : Pour avoir une idée plus correcte de la pauvreté et pour s’approcher de la façon dont les pauvres vivent leur réalité, il est en effet beaucoup plus intéressant de regarder les statistiques nationales ou locales. Par ailleurs, ces statistiques sont souvent fort différentes. Ainsi, en Amérique latine, on utilise des seuils de pauvreté différents, ce qui donne des résultats nettement plus élevés que ceux de la Banque mondiale. En Europe, nous mesurons la pauvreté relative : a "un risque de pauvreté" la personne qui gagne moins de 60 % du revenu médian d’un pays. Ainsi, on tient compte de l’inégalité et on peut se faire une idée de ce qu’il faut pour que les individus puissent vivre dignement et puissent participer à la vie sociale.
Eliane Mosse : Oui, on peut donner une évaluation globale mais plutôt par régions du monde : ainsi, on se rend compte que la pauvreté a beaucoup plus diminué en Asie qu'en Afrique, la Chine tirant vers le haut le niveau de vie moyen. Dans ce pays, la pauvreté selon les critères Banque mondiale a diminué de moitié en 20 ans. Sa localisation a sans doute évolué : une pauvreté urbaine apparaissant, alors que la pauvreté se situait jusqu'au décollage économique de la Chine, en milieu rural
Francine Mestrum : En fait, l’histoire de la pauvreté dans le monde fait l’objet de luttes idéologiques importantes. Il faut savoir que dans les années 1950 ou 1960, quand les théories sur le développement ont émergé, on ne parlait jamais de la pauvreté. On étudiait les "problèmes sociaux" et leur solution était "le développement", économique et social. Au début des années 1970, la Banque mondiale a essayé de mettre la pauvreté à l’ordre du jour international, mais cela n’a pas marché, faute d’enthousiasme des pays pauvres et dû au début de la crise dans les pays du Nord. Ce n’est que dans les années 1990 que la pauvreté a finalement été accepté comme priorité de la coopération au développement. Mais cette nouvelle priorité n’a pas modifié d’un iota les politiques dite du Consensus de Washington et étaient en fait un remplacement des politiques de sécurité sociale que pas mal de pays essayaient de mettre en place. La plupart des services sociaux (santé, éducation, crèches …) ont été démantelés ou privatisés et des politiques assistancielles ont pris le relais.
En 2000, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté les "Objectifs du Millénaire", une série de 8 objectifs sociaux à réaliser avant 2015. Le premier objectif était de réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion des personnes extrêmement pauvres dans le monde en développement. Cet objectif a été atteint dès … 2010 mais c’est essentiellement grâce à la Chine et à l’Inde, deux pays qui n’ont pas dû suivre les recettes néolibérales de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. En Amérique latine, la pauvreté extrême a été réduite, mais nettement moins. Là aussi, les politiques néolibérales ont eu un impact extrêmement négatif, mais des gouvernements progressistes ont commencé à mettre en place des politiques sociales avec des transferts monétaires. Le résultat positif a été immédiat ! En Afrique, par contre, la pauvreté n’a presque pas diminué et en nombre de personnes, on voit un quasi-doublement de la pauvreté extrême. Certes, il y a d’autres causes à part les politiques néolibérales, mais leur influence est incontestable. Au niveau mondial, donc, les Objectifs du millénaire ont été atteint, mais en fait, les pays pauvres restent toujours aussi pauvres. Les pays qu’on dit "les moins développés" étaient 25 en 1971. Il sont aujourd’hui à 49 ! C’est pourquoi certains chercheurs parlent de "l’africanisation de la pauvreté" et de l’occidentalisation de la richesse.
Les pays émergents sont quant à eux dans une situation paradoxale. Au Brésil, la pauvreté a diminué, certes, mais le pays reste un des plus inégalitaires au monde. En Chine, la pauvreté a été réduite de façon spectaculaire, mais les inégalités aussi. En Inde, la pauvreté a diminué, mais le plus grand nombre de personnes extrêmement pauvres vivent en Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Pakistan …).
Eliane Mosse : C'est essentiellement en Afrique sub-saharienne que se trouvent les poches les plus importantes de pauvreté, en dépit des ressources potentielles importantes de ces pays : guerres tribales, religieuses, ethniques. Par contre, l'Amérique latine est sortie de l'extrême pauvreté.
Francine Mestrum : Il est évident que la crise économique a une conséquence négative sur l’évolution de la pauvreté. Cependant, n’oublions pas que la crise la plus importante pour le monde en développement a été celle des années 1980 quand la Banque mondiale et le Fonds monétaire internationale ont commencé à imposer leurs "ajustements structurels". Dans plusieurs pays, les salaires sont toujours en deçà de leur niveau des années 1970. Par ailleurs, ce sont ces mêmes politiques qui sont aujourd’hui mises en place dans les pays de l’Union européenne : les protections sociales sont démantelées, les services publics sont privatisés, l’âge de la retraite est reporté, les budgets doivent être en équilibre. Et les effets sont les mêmes que dans le tiers-monde : une augmentation de la pauvreté. Aujourd’hui, un quart de la population de l’Union européenne vit avec "un risque de pauvreté". Le chômage des jeunes atteint des niveaux insoutenables, au-delà de 50 % en Grèce et en Espagne !
Eliane Mosse : La crise a certainement entraîné avec la montée du chômage un appauvrissement de certaines catégories de population (jeunes, essentiellement). Mais le tissu de protection sociale empêche, heureusement, des cas de misère du type de ceux définis par la Banque mondiale. Par contre, si la pauvreté est contenue, la précarité (risque de perdre l'emploi, le logement etc.) et l'exclusion quant à elles se renforcent.
Francine Mestrum : Le constat est inévitable : les politiques dites de "réduction de la pauvreté" ont échoué. Les organisations internationales sont aujourd’hui en train de mettre en place des politiques de protection sociale mais il n’est par certain que cela aille au-delà des politiques de réduction de la pauvreté. Leur concept de la protection sociale est en tout cas fort différent de ce que nous entendons par cela en Europe occidentale. Quant à l’Europe elle-même, elle passe de plus en plus à la charité et à la philanthropie, elle cherche à aider "les plus pauvres parmi les pauvres", les enfants. Au risque d’oublier leurs parents et leur famille. Non, les politiques ne sont pas efficaces.
Ce dont les pauvres ont besoin est une allocation qui leur permette de vivre dignement. C’est essentiel. Ensuite, il faudra un changement de cap politique, avec des politiques de l’emploi, le développement d’une économie sociale et solidaire, une fiscalité juste, etc. Les solutions existent, mais la volonté politique n’y est pas, dans aucun de nos pays. C’est pourquoi certains proposent de faire adopter une loi pour déclarer la pauvreté illégale. Cela pourrait être un levier important pour mieux organiser les actions nécessaires.
Eliane Mosse : La seule et unique véritable solution n'est autre que la croissance. Il n'y a pas de secret puisque c'est comme ça que la Chine a réduit de moitié en 20 ans sa pauvreté ! les aides diverses sont souvent à fonds perdus.
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