jeudi 31 octobre 2013
Culture Histoire Bonnet rouge et Gwenn ha Du
Les troubles récents montrent que les Bretons veulent avoir leur mot à dire dans l'administration de leur territoire. Patrick Mahé remonte l'histoire.
Deux symboles pour une manif sans précédent : le bonnet rouge et le Gwenn ha Du. Ainsi se définit pour Quimper, samedi, le "kit" du Breton en colère. Du bonnet rouge, seuls les Bretons, ou presque, connaissaient l'histoire. Aujourd'hui, par la grâce de la société médiatique, elle a fait la ronde des journaux télévisés toutes chaînes confondues. Bien des dîners, en famille, ont tourné à l'explication de texte.
On est en 1675. Louis XIV rayonne en Roi-Soleil et bataille contre les Provinces-Unies (les Pays-Bas). La Bretagne jouit encore d'une autonomie, concédée par l'Acte d'Union à la France, signé à Vannes en 1532. Seuls les États de Bretagne ont alors le droit de prélever l'impôt. Ses richesses, à l'époque d'un duché florissant, ne sont plus que souvenir ; celui d'un passé qui fut grand... En grand argentier et pionnier du centralisme administratif, Colbert l'assomme de taxes au point de frôler l'inquisition fiscale, n'ayant cure, au passage, de violer l'esprit et la règle du traité d'Union. Chaque époque a sa goutte d'eau. Aujourd'hui "l'écotaxe" ; hier, "le papier timbré". Quand tombe l'édit imposant une nouvelle taxe destinée à authentifier les actes judiciaires, la Bretagne se sent bafouée. L'indignation se fait insoumission. Le jeune Sebastian Ar Balp, notaire en Nord-Finistère, rameute soldats de fortune et paysans pour faire marche sur le château du gouverneur du roi, le duc de Chaulnes.
Le reste est connu de tous désormais : la répression s'abat sur la Bretagne et, notamment, la Basse-Bretagne, dont la tête granitique forme fin de terre (Penn Ar Bed) face à l'océan. Le Léon, au nord (vers Saint-Pol et Carhaix), la Cornouaille au sud (Quimper), le pays Bigouden (de Penmarc'h à Pont-l'Abbé) formant le Finistère des temps modernes, subissent, des mois durant, une impitoyable répression. Versailles envoie six mille hommes, dont trois cent cinquante mousquetaires et les redoutables gardes suisses. On pend les rebelles aux chênes, condamne les prisonniers aux galères, pille hameaux et paroisses et l'on décapite les clochers au canon ! Comme toujours, de révoltes en jacqueries, perdant jusqu'à ses privilèges à la Révolution, la Bretagne saura panser ses blessures. Mais... quand celles-ci se réveillent, Versailles hier, Paris aujourd'hui, s'inquiètent de voir le vent de fronde tourner tempête.
Il a suffi d'une distribution de bonnets de laine pour raviver la mémoire des Bonnets rouges. Une idée insolite de Thierry Merret, leader finistérien de la FDSEA, le syndicat agricole, très érudit, on l'a vu, en matière de culture bretonne. Avec Jean-Guy Le Floc'h (Armor-Lux), il ne pouvait trouver une oreille plus attentive. L'industriel de Quimper aux célèbres marinières, hier vantées par Arnaud Montebourg au nom du "made in France", est connu pour ses sentiments bretons affirmés. Il n'est pas le seul, puisque "produit en Bretagne" (350 entreprises), qui affiche vingt ans d'avance sur le "made in France", avait déjà sonné le tocsin en lançant un vibrant "Appel du 18 juin" contre l'écotaxe.
Du mot de Colbert lui-même : "L'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus de plumes avec le moins de cris possible", Jakez Bernard, président de Produit en Bretagne, plaça le débat au-delà même de l'indignation bretonne : "Puisse le combat servir le bien commun de toutes les régions." Après avoir démontré pourquoi l'écotaxe est injuste : "Plus on est loin, plus c'est cher" (Brest est à 8 ou 9 heures de route de Paris), il renvoya Montebourg à son "made in France" dont les produits peuvent cumuler jusqu'à six fois la pénalité contre une fois seulement pour les produits importés...
Mais au-delà de l'écotaxe, la révolte a pris une autre dimension désormais. En fixant au simple bonnet rouge et au drapeau Gwenn ha Du le fameux "kit" de la manif à Quimper, la Bretagne se mobilise pour un avenir salutaire et solidaire. Et ne renie rien de son passé. Le bonnet rouge, on l'a vu, c'est le symbole de la jacquerie paysanne. Le Gwenn ha Du (blanc et noir, en français), celui de l'identité bretonne.
Bien des révoltes ont jalonné l'histoire du peuple breton. Il est loin le temps où Alan Al Louarn, premier duc de Bretagne, repoussa les Vikings sur la Loire en 937 et fixa sa capitale à Nantes. Loin celui où le roi Nominoë (IXe siècle) fit l'unité bretonne à Ballon, aux portes de Redon, et y défit les archers francs. Lointaine époque que celle des ducs Jean IV et Jean V qui donnèrent sa prospérité au duché, convoité par les armes entre la cour d'Angleterre et le royaume de France. La défaite de Saint-Aubin du Cormier (1488) eut pour conséquence d'obliger l'héritière du duché à épouser le roi de France. Ainsi Anne de Bretagne devint-elle deux fois reine, tout en sauvegardant son statut de duchesse. L'Acte d'Union signé à Vannes, en 1532, n'était pas acte de soumission. C'est en constatant la violation des privilèges d'autonomie que Sebastian Ar Balp, en 1695, mena sa révolte contre "le papier timbré". En se battant pour la souveraineté bretonne à restaurer que le marquis de Pontcallec fut décapité, en 1720, à Nantes. En rêvant d'une République bretonne, inspirée de la guerre d'indépendance américaine (qu'il avait vécue), que le marquis de La Rouërie rejoignit la chouannerie en Morbihan. Son frère d'armes, le général Cadoudal, est toujours honoré - on vient d'édifier un monument à sa mémoire - 209 ans après son exécution. Des places de village ou des rues portent son nom...
Deux cents ans ici, pour Cadoudal, trois cent trente-huit pour les Bonnets rouges... Et bientôt cinq cents ans pour la duchesse Anne. Oui, cinq cents ans, depuis sa disparition. Le 9 janvier 2014, Nantes et Vannes lanceront le timbre officiel à son effigie... La Bretagne a connu bien des sursauts, soubresauts, drames et tragédies - l'agonie de l'armée de Bretagne au camp de Conlie près du Mans, en 1870, d'éphémères soulèvements (FLB "Front de libération" dans les années 70) - et elle subit toujours l'amputation du pays nantais scellée initialement en 1941 (décret-loi Pétain-Darlan), puis actée par la réforme régionale. Illusions régionalistes, aspirations autonomistes, errements séparatistes, ont jalonné son histoire, sans jamais altérer son esprit.
La Bretagne n'oublie rien de son passé tumultueux ni des espérances trahies. Il n'est que de feuilleter les paroles des airs populaires chantés en Bretagne dans les fêtes de nuit qui portent le joli nom de "Fest-noz" pour comprendre qu'elle y brasse les époques et les genres dans un registre commun. "An Alarc'h" (le cygne) du grand harpiste Alan Stivell n'est autre qu'une ode au duc Jean IV, revenu d'Angleterre, tandis que ses sujets, en liesse, se précipitaient sur les côtes pour guetter sa voile blanche. "Bale Kadoudal" loue la chouannerie en pays d'Auray et fait la joie des sonneurs de cornemuses. "Kan bale an ARB" est hymne à la souveraineté, signée à Glenmor. "La blanche hermine", unissant "marins, ouvriers et paysans", semble préfigurer la manif de Quimper avec... quarante ans d'avance !
Dans une Europe où les peuples minoritaires frappent à la table d'hôte, comme l'Écosse aujourd'hui, l'identité, la langue, la culture, ne sont pas d'innocentes valeurs. Le Gwenn ha Du, frappé des hermines du duché, flotte parmi les Bonnets rouges de la révolte paysanne, supplantant la loi des partis traditionnels. À se moquer de la spécificité bretonne, on joue avec la résistance des Bretons. Pour le peuple breton, vanté pour sa droiture, ses valeurs, son sens du travail bien fait et son esprit civique, la mise en place de l'écotaxe - aujourd'hui ajournée au profit de toutes les régions - sans discernement du caractère géographique de la péninsule armoricaine sonnait comme un nouvel acte de soumission.
Il n'y a pas d'octroi ni de péage sur les routes bretonnes, car l'éloignement coûte (très) cher. Certains font remonter cet usage aux derniers privilèges hérités d'Anne de Bretagne. La réalité repose surtout sur le plan routier décrété par De Gaulle dans les années soixante. La révolte contre l'écotaxe, ajoutée aux drames de l'emploi aujourd'hui en Bretagne, signifie aussi que les Bretons veulent avoir leur mot à dire dans l'administration de leur propre territoire.
Faut-il, ici, finir en chanson ?... Si oui, il en est une qui ramène encore - et toujours - à Anne de Bretagne. Pas une ritournelle, moins encore une berceuse... Elle est de Gilles Servat, qui composa "La blanche hermine", sur la nappe de Ti Jos, pub breton à Montparnasse. Là encore, rien d'innocent sous "le poids des mots" qui se révèlent prémonitoires encore :
"Dans le malheur et la peine
Duchesse Anne devint reine
Croyant que la royauté
Sauverait son beau duché (...)
(...) Bientôt ce fut le pillage
De nos villes et villages
Le Breton avait bon dos
Pour payer deux fois l'impôt (...)
C'est pas ça qu'elle a voulu
Kaoc'h ki gwen ha kaoc'h ki du..."
NDLA : "Kao'ch ki gwen" (merde de chien blanc !)
"Kaoc'h ki du" (merde de chien noir !).
Une autre manière de porter le bonnet rouge...
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