TOUT EST DIT

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samedi 10 août 2013

Toutes ces choses que l'on n'ose pas dire sur le voile et qui nourrissent le rejet massif des Français à son égard


Alors que le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, juge "digne d'intérêt" la proposition du Haut conseil à l'intégration d'interdire le voile dans les universités, selon un sondage Ifop pour Le Figaro publié vendredi 9 août, 78% des Français se disent favorables à cette interdiction.

Dans un sondage Ifop pour Le Figaro, 78% des Français se disent opposés au port du voile à l'université. Ils sont même 84% à être opposés au voile dans les lieux public et 63% a y être opposés dans la rue. Comment expliquez-vous cette défiance des Français à l'égard du voile ?

Jérôme Fourquet : Cette thématique du voile commence à être une vieille histoire en France puisqu'elle date de 1989 avec l'expulsion de deux jeunes filles voilées d'un collège de Creil en Picardie. Depuis, ce sujet n'a jamais cessé de se poser de manière régulière à la société française. S'il a été réglé dans les écoles, ils se pose désormais dans d'autres lieux : dans les entreprises, mais aussi dans certains quartiers et peut se poser à l'université.
La société française dans son ensemble accepte mal cette pratique vestimentaire pour trois raisons principales. Nous sommes dans un pays laïque de tradition catholique. Le port du voile peut donc choquer à la fois les personnes issues d'une tradition catholique et les adeptes de la laïcité à la française. Enfin, il y a aussi des motivations féministes. Cette pratique est souvent jugée dégradante et contraire à l'émancipation des femmes. Elle heurte des tradition différentes qui viennent à la fois de la gauche (laïcité, droit des femmes) et de la droite (valeurs chrétiennes). Il y a une convergence de ces tradition qui explique l'hostilité à la pratique du port du voile.
Guylain Chevrier : Il y a une évidence pour les Français dans ces chiffres, qui n’est pas nécessairement celle des observateurs institutionnels qui laissent trop à penser qu’il n’y aurait ici rien à voir. Il y a bien un problème entre la France et tout du mois une partie des musulmans, ceux précisément qui se reconnaissent dans l’obligation du port du voile. Pourquoi ?

Nous assistons à un mouvement de revoilement d’une partie de nos concitoyens musulmans, qui croît de façon visible sur le fondement du rejet du mélange au-delà de la communauté de croyance, et participe ainsi d’un mouvement de séparation au risque de l’enfermement. Ce qui est ressenti de toute évidence par les Français comme un rejet de l’esprit de nos institutions, d’une forme de lien social qui, avec la laïcité, s’est construit sur le principe du mélange des individus. Un mélange favorisé par le fait de considérer que ce que l’on met en commun est plus important que ce qui nous différencie, étroitement en lien avec un principe d’égalité placé au sommet de nos institutions. Nous sommes avant tout des égaux indépendamment de la couleur, l’origine, la religion, c’est ce que ne semble pas reconnaitre à travers une certaine mise à part ce que l’on pourrait désigner comme étant « l’islam du voile ».

Concernant la place du religieux dans notre société, il a été acquis progressivement qu’on devait se résoudre à une attitude de discrétion. Une attitude qui a autant à voir avec la laïcité qu’une certaine façon de vivre ensemble en respectant les opinions de chacun, une sorte de respect d’autrui, d’attitude civique, par l’absence  d’affichage de ses convictions ou croyances. Une attitude ayant à voir avec un certain savoir-vivre consistant à ne pas heurter la sensibilité d’autrui, dans le sillon d’une société démocratique et républicaine qui voit d’abord dans les individus des citoyens. Il y a derrière cela une pensée sociale pétrie par le temps qui relève de l’affirmation historique de nos grands principes communs comme la liberté, l’égalité et l’idée de fraternité qui en est indissociable.

C’est un mouvement que l’on doit au rôle que le nombre, le peuple a joué dans l’histoire de notre pays, en faisant prévaloir l’intérêt collectif d’abord et avant tout, particulièrement contre les conservatismes où la responsabilité de la religion était largement engagée à contre-courant du progrès des libertés. Il ne faut pas oublier cette toile de fond si on veut comprendre ce qu’inconsciemment peuvent exprimer ces chiffres. Ce qui apparait comme un rejet de l’islam est surtout un rejet de ce qui s’affirme de plus en plus comme la volonté d’une minorité religieuse d’imposer aux autres, à la société, une nouvelle forme de lien social fondé sur une séparation selon la religion. La priorité donnée aux différences religieuses et culturelles sur la reconnaissance du bien commun, de l’appartenance  à une même société, est perçue comme un danger, et malheureusement, la montée des revendications communautaires à caractère religieux n’est pas une vue de l’esprit qui alimenterait cette perception des Français. 

L'attachement à la laïcité est souvent mis en avant pour expliquer cette hostilité. Est-ce vraiment une explication suffisante ? Le politiquement correct fait-il peser certains "non-dits" sur le débat ? Lesquels ?

Jérôme Fourquet : Oui, la pratique du port du voile est souvent vécue comme le signe ostentatoire d'une conception politico-religieuse qui cherche à imposer ces règles sur une partie du territoire. A tort ou a raison, elle est souvent interprétée comme une volonté de prosélytisme d'une religion qui serait en développement. Cela est mal accepté par une part importante de nos concitoyens.
Guylain Chevrier : Il est vrai qu’il est bien difficile de s’exprimer publiquement sur le sujet épineux de la place du religieux dans notre société, des problèmes que peut poser l’islam au regard d’un processus d’intégration qui se dégrade à la mesure des affirmations communautaires, sans se voir immédiatement accusé de stigmatisation. On tend ainsi à faire le silence sur les témoignages essentiels qui permettraient de mieux mesurer la réalité de ce qui se passe et restent dans l’obscur. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas parce qu’on en parle pas, le vécu s’en exprime dans les couloirs de l’entreprise ou au café du commerce, mais pas du coup dans la plupart des grands médias. 

Un exemple éloquent que j’ai moi-même recueilli. Dans un service administratif, il y a quelques années, personne ne se différenciait, puis, certains employés musulmans ont commencé à faire la prière dans les vestiaires communs, plusieurs femmes à porter le voile. Ainsi, le vestiaire est devenu régulièrement inaccessible pour les autres employés pendant le temps des cinq prières auxquelles s’adonnaient soudain ceux se revendiquant d’un islam pratiquant et visible. Enfin, ceux-ci mangeant tous dans la même petite cuisine, plusieurs employés musulmans en sont arrivés à demander à leurs collègues s’ils pouvaient ne pas manger de porc devant eux…
On voit ici s’exercer le poids communautaire qui crée cette défiance d’une large majorité de nos concitoyens. Ce n’est pas du tout la liberté religieuse individuelle qui est mise ici en cause, mais le fait qu’une minorité impose à la majorité ses vues en pesant de façon collective contre la règle commune, celle de la neutralité dans le quotidien des relations sociales dans l’entreprise. Une certaine paix sociale qui y régnait vient bien ainsi à être bousculée. Il ne s’agit donc pas de fantasmes sur fond de racisme postcolonial, mais de sentiments fondés s’exprimant dans une défiance que l’on peut comprendre, dont la visibilité est même saine, puisqu’elle met en lumière ce que l’on biaise à force de jeter de l’ombre.

La personne qui a rapporté ce témoignage, si on le rendait public nominativement, se trouverait en très grande difficulté face à ce poids communautaire, risquerait même une plainte pour discrimination. Aussi, il est facile à ceux qui rejettent toute critique de ce côté de dire qu’il n’y a que des cas marginaux et que tout va bien dans ce contexte, aidés en cela par un climat politico-médiatique où l’on a tendance à fermer les yeux et à participer par là d’une certaine intimidation. Ce qui n’est pas sans risques d’ailleurs pour les libertés, dont celle de l’information.  
Le discours de culpabilisation, relatif à l’idée qu’il faudrait accepter ce regain du religieux parce que le fait d’une population issue des pays ayant été colonisés par la France qui leur serait ainsi redevable, est devenu insupportable pour une partie non négligeable de nos concitoyens.  Une démarche idéologique qui fabrique du rejet de l’islam à l’identifier à la religion de l’ex-colonisé. Ceci, d’autant plus, que l’on comprend mal comment on devrait justifier de remettre en cause les institutions et valeurs communes pour céder à une logique de compensation qui mène tout le monde dans l’impasse.

Il est certain que le voile est aussi ressenti comme le marqueur d’une différence de considération entre les hommes et les femmes, qui souligne la remise en cause du principe d’égalité et d’une certaine façon,  de la liberté qu’il représente. Un sentiment qui n’est pas faux, en reflet d’une religion dont les textes de référence ne le démentent pas. La religion musulmane dans les textes est clairement inégalitaire envers les femmes, elle institue son infériorité juridique: le Coran ne désigne la femme que comme croyante, épouse et mère et affirme la prééminence de l'homme sur elle : Sourate 4 verset 38 -  Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci (…) Les femmes vertueuses sont obéissantes et soumises (…) vous réprimanderez celles dont vous avez à craindre l’inobéissance, vous les relèguerez (…) vous les battrez.  Sourate 2 verset 228 - Le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme. Sourate 2 verset 282 - la femme perçoit la moitié de la part dévolue à l'homme lors d'un héritage. Sourate 4, versets 11-12 - l'homme a droit à la polygamie, à répudier sa femme. 

Bien sûr tous les musulmans pratiquants n’appliquent pas à la lettre cette perception des choses, c’est une évidence, mais ce revoilement qui va avec un retour à la tradition donne à penser qu’il y aurait ici du grain à moudre, d’autant que la répartition des rôles sous ce jour entre hommes et femmes, telle qu’elle est perçue, est comme un retour à un conservatisme réactionnaire. 

Le respect du voile que prône le coran, l’idée selon laquelle une bonne musulmane serait celle qui porte le voile, exprime comme une soumission assumée par ces femmes qui peut être perçue comme une grave régression au regard du combat pour l’émancipation qui dans ce domaine a été long et difficile dans notre pays, pour devenir une des composantes essentielles de notre démocratie. Il y a donc aussi ici un sentiment de crainte qui n’est pas complètement infondé.  Lorsqu’à Trappes (département des Yvelines), parce qu’une femme est contrôlée par la police pour porter un voile intégral interdit bien heureusement par la loi, cela déclenche une émeute avec des musulmans qui se sentent solidaires de cette femme, il n’y a pas de quoi dissuader de ressentir autre chose. Comment effectivement ne pas s’inquiéter, alors qu’une frange de notre société entend bien imposer à l’autre ses vues contre la loi et contre les conventions communes, pour inciter encore à s’éloigner d’un civisme qui est aussi une des composantes de la citoyenneté.
Claude Sicard : Le voile, pour les femmes musulmanes qui dans les sociétés européennes le portent, est avant toute chose l’expression d’une revendication de leur identité. Ces personnes tiennent à s’affirmer comme appartenant à la civilisation musulmane, une civilisation différente de la civilisation occidentale dans laquelle elles se trouvent amenées à évoluer. Il faut bien voir que l’identité est devenue ces dernières années un concept majeur des sciences humaines. C’est ce que nous dit Catherine Halpern dans l’un de ses ouvrages  : l’homme ne vit pas uniquement de raison, et cette notion d’identité rejoint cette composante de l’individu que Platon avait appelée le  « thymos », ou encore « l’esprit de vie ». Chaque individu est prêt à se battre, voire à risquer sa vie, pour faire valoir et défendre son identité. Et Hassan al Turabi nous dit  que « les religions donnent un sens de l’identité et une direction de vie ».

On ne peut passer sous silence le fait que la civilisation occidentale, issue de ce que l’ on a longtemps appelé « la chrétienté », et la civilisation musulmane sont deux civilisations différentes, fondées l’une sur le christianisme, l’autre sur l’islam. Ces deux civilisations sont en conflit ouvert depuis plus de treize siècles, et les musulmans vivent avec un ressenti qui leur fait percevoir la civilisation occidentale comme orgueilleuse, dominatrice et méprisante à leur égard. Or, le Prophète Mahomet leur a dit « Vous êtes la meilleure des communautés suscitée parmi les hommes »(Ismat al Oumma- Coran 3,110). Par surcroît, bon nombre de leaders musulmans entretiennent les communautés musulmanes dans l’idée que c’est finalement, dans le temps, la civilisation musulmane qui va triompher. C’est le cas en Europe du Président de l’Union des Organisations Islamiques Européennes (UOIE) basée à Londres, le fameux Yousouf al Qaradaoui qui leur dit  « L’islam est religion et Etat, foi et loi, Livre et épée, prière et djihad tout à la fois : nous voulons vivre dans une civilisation musulmane complète orientée par la foi musulmane, soumise à la loi de l’islam ». Quant au docteur Othman Altawayri, directeur de l’ISESCO , il affirme avec la plus grande conviction :« La civilisation islamique sera sans aucun doute la civilisation de demain » .

On comprend donc ainsi la signification réelle du port du voile par des musulmanes qui sont noyées dans la civilisation occidentale : c’est autant sinon plus, pour elles, une affaire d’identité que de religion, et les deux sont mêlées. C’est pour elles un acte de bravoure que de se battre contre ceux qui voudraient le leur interdire. Leurs coreligionnaires ne manquent pas de trouver ce combat tout à fait louable, et elles se valorisent ainsi à leurs yeux.

Le collectif de la Gauche populaire, initié par le politologue Laurent Bouvet, explique la montée du vote pour le Front national lors de la dernière élection présidentielle non seulement par "l’économique et le social" mais aussi par le concept d'insécurité culturelle  qui recouvre notamment "la peur de l’immigration, des transformations du 'mode de vie', de l’effacement des frontières nationales". Le port du voile peut-il être considéré comme une manifestation de cette "insécurité culturelle" ?

Guylain Chevrier : Les valeurs communes se trouvent exposées dans ce contexte à une mise à mal, créant une sorte d’insécurité morale, une crainte de voir des libertés inscrites dans notre mode de vie malmenées par les exigences religieuses et communautaires. Les pratiques sociales et culturelles qui font la personnalité de la France laïque et républicaine sont en premières lignes dans cette situation, car des changements s’opèrent qui n’ont pas été désirés, qui sont même largement subis par une large partie de la population.
Il y a tout un discours d’une partie de l’extrême-gauche et de la gauche radicale qui a fait du thème de la fin des frontières un symbole de la lutte en faveur des sans-papiers. La fin de frontières, on le sait, signifierait la fin de toute souveraineté, laissant sans défense nos acquis sociaux qui profitent pourtant à tous. Que cela permette à certains de jouer sur des peurs pour gagner en influence n’a ainsi, et on peut le regretter, rien d’extraordinaire. Il y a des responsabilités qui sont lourdes de conséquences du côté de ceux qui continuent de pratiquer une sorte de terrorisme intellectuel, qui vise à faire taire toute critique sur un retour du poids du religieux sur notre société que l’on doit essentiellement à une communautarisation d’une partie de l’islam de France.
Claude Sicard : Après que dans un premier temps, la montée de l’islam en Europe ait été perçue surtout comme une menace pour la sécurité des personnes, avec les attentats du 11 septembre, puis ensuite ceux de Madrid et de Londres, les opinions publiques en Europe en sont venues, et cela est un phénomène récent, à voir dans le développement des communautés musulmanes dans les différents pays du vieux continent une menace pour leur propre identité. Il s’agit bien, là, d’un choc de civilisation, les populations européennes constatant que les communautés musulmanes sont peu enclines à s’occidentaliser. Elles affichent en effet en permanence leur identité et s’efforcent d’imposer aux sociétés européennes de modifier leurs façons de vivre et de s’organiser : imposition de la viande halal dans les cantines scolaires, revendication de la non mixité dans les piscines municipales, insertion des fêtes religieuses musulmanes dans le calendrier des jours fériés, modification des programmes scolaires pour tenir compte des croyances religieuses des élèves, etc.  

Les pouvoirs publics, quant à eux, soit par conviction philosophique soit pour des raisons démagogiques, mènent un peu partout des politiques d’ouverture à l’égard des nouveaux arrivants. D’ailleurs l’adhésion de notre pays à la Convention Européenne des droits de l’homme les y contraint.

Les observateurs de notre vie politique passent trop facilement sous silence le rôle que joue dans les politiques d’intégration des communautés musulmanes en Europe le Conseil de l’Europe. Dans sa recommandation n°1162, par exemple, il est dit  ceci: « L’Assemblée est consciente de la précieuse contribution que les valeurs islamiques peuvent apporter à la qualité de la vie en renouvelant l’approche globale européenne dans les domaines culturel, économique, scientifique et social ».La même directive recommande de promouvoir l’enseignement de l’arabe dans les écoles, de développer les lieux d’expression culturelle et intellectuelle qui sont nécessaires aux « immigrés du monde islamique », et dit qu’il faut « promouvoir les itinéraires culturels du monde islamique en Europe ». D’ailleurs, dans une autre recommandation, la Recommandation 1743, il est dit textuellement : « muslims are at home in Europe ». Et dans le document 12266 du 25 mai 2010 on lit : « L’Assemblée invite l’ISESCO et l’ALESCO  à travailler avec le Conseil de l’Europe pour lutter contre l’islamophobie » , à croire que le Conseil de l’Europe ignore tout des thèses du directeur de l’ISESCO, thèses que nous avons rappelées plus haut.

Quant à la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, elle dit dans son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l ‘enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

Lutter contre les manifestation de l’islam en public devient ainsi particulièrement difficile dans les pays ayant adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme. 

Cette question du voile s'inscrit-elle dans un débat plus vaste dont l'enjeu serait la préservation de l'unité et de l'identité nationale ? Est-ce lié à notre héritage historique ? En quoi ?

Guylain Chevrier : Il s’agit surtout de la préservation de la cohésion sociale, de comment on continue de faire un tout, de faire pays et nation, où la notion de peuple ait encore un sens. L’idée du bonheur commun, dont la recherche a été un puissant vecteur du combat social en France, est largement entamée par les divisions créées par le regain du religieux et son poids dans le débat public. Les forces sociales sont mal en point et divisées sur la situation et comment y réagir, particulièrement face à une religion musulmane qui apparait exagérément comme la religion du pauvre. 

L’héritage révolutionnaire est ainsi en mal d’appropriation, où curieusement l’idée que la religion est l’opium des peuples, qui en fait partie, passe dans l’oubli. L’identité de la France est celle d’un pays laïque qui considère que celui qui y est accueilli doit en respecter la personnalité, et faire peuple avec lui. Un peuple issu d’une histoire faite de révolutions et de luttes sociales, de prises de conscience d’une force commune positive, qui ont contribué à le façonner. C’est accepter de se reconnaitre dans des institutions valant pour tous et de participer à l’écriture d’une histoire commune, sans y opposer de préalable, sans rompre avec une évolution morale qui s’inscrit dans le développement de la modernité démocratique. On ne demande pas pour autant à celui qui vient d’ailleurs, d’oublier d’où il vient et ce qu’il apporte avec lui, pour peu qu’il prenne en compte quelques grands principes.
Claude Sicard : Les musulmans en exigeant comme le leur permet la Convention des droits de l’homme de conserver leur identité et leurs coutumes rompent la cohésion des sociétés européennes qui sont des sociétés de culture chrétienne. La cohésion sociale est la nature de l’intensité des relations sociales qui existent entre les membres d’une société. Ce concept a été forgé par Emile Durkheim : la cohésion sociale implique le partage de valeurs et de normes communes, ainsi que le respect de règles de vie adoptées par tous.

En conservant leur identité et leurs coutumes les communautés musulmanes installées en Europe vont parvenir, à terme, à modifier notre civilisation, et ce d’autant plus facilement que la civilisation occidentale européenne a amorcé à présent sa phase de déclin.

Il faut alors s’en référer alors au célèbre anthropologue Claude Levi Strauss qui nous dit que lorsque deux civilisations se trouvent en concurrence sur un même territoire, il va se produire à terme l’un des deux phénomènes suivants :

- ou bien « une désorganisation et un effondrement de l’un des deux groupes » ;
- ou bien  « une synthèse originale qui alors consiste en l’émergence d’un troisième   pattern lequel devient irréductible par rapport aux deux autres ».

Vu que ni la civilisation du vieux continent n’éradiquera la civilisation des nouveaux immigrants, ni cette dernière ne remplacera la vielle civilisation du continent européen, ce sera donc la seconde éventualité qui se produira : l’apparition d’une nouvelle civilisation qui aura une forme « irréductible par rapport aux deux autres ». Ce sera en somme la fin de la civilisation occidentale européenne, aux environs de la fin de ce siècle.

Alors, on ne peut s’empêcher de rappeler cette pensée très forte de Arnold Toynbee qui nous dit, après avoir passé son existence à étudier l’évolution de quelques 23 civilisations différentes ayant existé dans le passé : « Les civilisations ne sont pas assassinées, elles se suicident ».

La pratique du port du voile s'inscrit-elle également dans le débat sur notre modèle d'intégration ? D'une certaine manière, à travers ce sondage, les Français plébiscitent-ils le retour à modèle d'assimilation plus contraignant hérité de la Révolution et de la IIIe République ?

Guylain Chevrier : Je crois que les Français subissent depuis trop longtemps un discours présentant l’intégration comme un processus en panne, ce qui est globalement faux même si elle connait des difficultés, pour en arriver peut-être du coup, effectivement, à vouloir simplifier le problème en revenant à l’assimilation. L’intégration est un beau principe vis-à-vis duquel il ne faudrait pas revenir en arrière. Il s’agit de faire prévaloir ce qui nous rassemble sur les différences mais sans les nier, en leur donnant une place qui leur permette de coexister sans heurts pour peu que soient respecter le droit et la loi. L’intégration pourrait peut-être être mieux comprise, en la reliant dans le discours public et la pratique à la laïcité, comme principe s’imposant à tous et avec lui, le sens d’une neutralité, d’une réserve dans les relations sociales, qui permette à chacun de mieux comprendre sa place, ses droits, ses libertés.   
Claude Sicard : Normalement, le modèle français consiste en une assimilation : cela fut possible dans le passé avec des immigrants issus de pays de même civilisation, c’est à dire d’une civilisation occidentale fondée sur le christianisme : polonais, tchèques, hongrois, italiens, espagnols, portugais, etc. Avec des personnes relevant d’une civilisation fondée sur une autre religion, l’islam en l’occurrence, l’assimilation se révèle impossible, d’autant qu’il s’agit d’une civilisation historiquement en conflit depuis plus de13 siècles avec la nôtre.

Ce refus des nouveaux immigrants de perdre leur identité va donc avoir pour conséquence de modifier en profondeur notre civilisation, pour la faire muter. Il faut en effet raisonner en anthropologues, cette science sociale nous donnant les éclairages nécessaires puisqu’elle est faite pour cela, ce que la quasi totalités des observateurs politiques manquent de faire.

La gauche doit-elle de nouveau légiférer sur la question du voile ? La loi peut-elle vraiment régler tous le problèmes ?

Guylain Chevrier : On peut légiférer et on le doit, que ce soit concernant l’entreprise ou l’université. Ne pas le faire, ce serait rater un rendez-vous politique, un rendez-vous avec l’histoire, qui permettrait de redonner confiance aux citoyens dans la démocratie, dans nos principes et nos valeurs par trop ébranlés.  

A l’entreprise, on ne doit pas céder aux accommodements dits raisonnable sous couvert de tolérance ou nous en paierons logiquement cher le prix politique, car c’est dans les urnes que se règleront alors les ressentiments nés de ces situations de laisser faire. Il faut une loi qui permette d’empêcher qu’au nom d’une logique religieuse on puisse venir contredire les valeurs qui en définissent l’activité jusqu’à la relation sociale qui y règne. L’entreprise doit être protégée des conflits religieux liés aux revendications communautaires susceptibles de diviser, de mettre à mal les personnels, de troubler les conditions de son activité. Le contrat de travail doit rester neutre car l’employeur n‘a pas à connaitre la religion de ses salariés. 

C’est encore plus vrai pour le secteur associatif qui participe de l’activité économique, l’association devant pouvoir faire prévaloir ses buts et les valeurs qui la définissent, sans se voir comme dans le cas de la crèche Baby loup, mise en cause par une seule manifestation religieuse ostensible aux valeurs contraires jusqu’au risque de la faire disparaitre.

A l’Université, les lieux d’enseignement et de recherche devraient se voir soustraits à toute influence religieuse, tel que le port des signes religieux ostensibles, pour laisser toute la place à une transmission des savoirs qui mérite ce statut de neutralité, puisque nous sommes dans le domaine de la raison. C’est faire que chacun soit plus libre dans ce contexte de se construire sa propre liberté, sa propre pensée, en dehors de tout risque d’influence communautaire pour tous.

Il faut que le religieux ait sa place, mais ne puisse empiéter sur le domaine du commun, sur les relations sociales au point de les mettre à la remorque de ses vues et exigences, comme il l’a toujours fait dès que le pouvoir lui en a été laissé. L’islam comme toutes les religions doit trouver sa juste place dans notre modernité qui est celle du respect de droits et libertés individuelles que remettent en cause les logiques communautaires et les divisions sur fondement religieux. 

Si la loi ne règle pas tous les problèmes, elle a l’avantage de poser le principe de l’égal traitement de tous, et donc d’unir parfois jusque par la contrainte, l’ensemble de ceux qu’elle concerne, pour le bien commun. La loi crée de la règle commune et c’est de cela dont nous manquons aujourd’hui si fortement, de clarté dans la définition du lien social sur ce plan. Une fois cela acquis, tous les dialogues sont possibles car ils se posent à partir d’un cadre de référence connu de tous qui lève les ambiguïtés des accommodements à géométrie variable qui mettent la société en miettes. C’est plus de liberté, car c’est renforcer les liens qui nous unissent qui la garantissent pour mieux vivre ensemble, sans craindre notre diversité.
Claude Sicard : Il est tout à fait souhaitable que la majorité actuelle légifère sur le port du voile pour l’interdire: mais au regard de la Convention des droits de l’homme cela est pratiquement impossible en raison de l’article 18 que nous avons rappelé plus haut : seuls des problèmes de sécurité publique peuvent être invoqués, comme ce fut le cas pour la burqa.
Le problème du voile ne constitue en fait qu’un épiphénomène : il faut prendre le problème dans sa réelle dimension : le recours à la naissance d’un « islam européen » qui serait un islam réformé. En effet, il serait hautement souhaitable que puisse être proclamée une « Charte de l’islam en Europe », un islam en somme reformé qui deviendrait compatible avec nos valeurs et nos principes républicains. C’est la seule manière de faire que les musulmans européens s’intègrent parfaitement dans nos sociétés en Europe, l’islam traditionnel étant incompatible avec la démocratie.
Les observateurs politiques ignorent semble -t-il que le seul pays musulman, et c’est le plus important, qui vit en ayant adopté des institutions démocratiques est l’Indonésie, ceci s’expliquant par le fait que ce pays a adopté un islam réformé. Le cas de la Turquie est à mettre à part.
Ce que doivent faire les pouvoirs publics c’est demander au Conseil de l’Europe qu’il s’attèle d’urgence à la tâche consistant à faire que puisse être proclamée en Europe une « Charte de l’islam européen ». Cela est vital pour l’avenir de l’Europe, mais personne aujourd’hui ne s’en préoccupe.

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