TOUT EST DIT

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dimanche 18 août 2013

La beauté est dans le regard

Cer­taines expres­sions sont comme les koans de la tra­di­tion zen : il faut beau­coup de temps pour en per­cer le vrai sens. Le dic­ton anglais "Beauty is in the eye of the behol­der" a long­temps fait, pour moi, par­tie de cette caté­go­rie.

"Beauty is in the eye of the behol­der" : lit­té­ra­le­ment, la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Prise à la lettre, l’expression signi­fie "sim­ple­ment" que le beau est un cri­tère sub­jec­tif, qui dépend du spec­ta­teur. Quelle qu’ait été l’intention de l’inventeur de la phrase – sous sa forme actuelle, elle date de la fin du 19e mais son idée remonte aux phi­lo­sophes grecs, j’ai un jour com­pris qu’elle avait un deuxième niveau de lec­ture : ce que nous voyons et com­ment nous l’interprétons dépend du regard que nous por­tons en géné­ral sur le monde.
Per­cep­tion sélective

Ce phé­no­mène est connu en psy­cho­lo­gie sous le nom de per­cep­tion sélec­tive : chaque jour, nous sélec­tion­nons, parmi les événe­ments dont nous avons connais­sance, ceux qui ren­forcent notre vision du monde. J’irais même plus loin : nous leur confé­rons en outre une signi­fi­ca­tion elle aussi conforme à nos opi­nions. La per­cep­tion sélec­tive est bien entendu un phé­no­mène incons­cient. Autre­ment dit, si nous n’y pre­nons pas garde, le monde qui nous entoure devient de plus en plus conforme à l’idée que nous nous en fai­sons. Et si cette idée est plu­tôt noire, et bien nous nous enfon­çons peu à peu dans un enfer que nous avons nous-même créé. L’enfer, ce n’est pas les autres, n’en déplaise à Jean-Paul Sartre. L’enfer, c’est nous-mêmes.
Si tu veux chan­ger le monde…
À la lumière de cette inter­pré­ta­tion construc­ti­viste du monde, la cita­tion "Si tu veux chan­ger le monde, com­mence par te chan­ger toi-même", géné­ra­le­ment attri­buée à Gandhi, prend un tout autre sens. Il ne s’agit pas tant de se chan­ger soi-même que de chan­ger la per­cep­tion que nous avons du monde. Notre vision de la réa­lité, plus ou moins biai­sée dans un sens ou dans l’autre, requiert notre atten­tion avant de nous pen­cher sur la réa­lité elle-même. Dans la tra­di­tion boud­dhiste, le nir­vana n’est d’ailleurs rien d’autre que cela : le pra­ti­quant a enfin repoussé les voiles de l’illusion et de la dua­lité et voit le monde tel qu’il est réellement.
L’idée est que nous devons aban­don­ner tous nos points de réfé­rence, toutes nos idées reçues sur ce qui est ou devrait être. Alors seule­ment il nous sera pos­sible de vivre direc­te­ment l’expérience de l’unicité et de la vita­lité des phénomènes.
Chö­gyam Trungpa

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