Les désaccords des ministres sur la réforme pénale témoignent de deux visions de la justice. Mais au-delà de l'idéologie, il faut savoir faire preuve de bon sens.
dimanche 18 août 2013
Les invités du Point Michèle Cotta Michèle Cotta : Valls vs Taubira, une question d'idéologie(s)
La polémique qui oppose la garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur est loin d'être la première du genre : Élisabeth Guigou et Jean-Pierre Chevènement, sous Lionel Jospin, ne se sont fait aucun cadeau. Plus tard, en 2010, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice après avoir occupé elle-même le poste de ministre de l'Intérieur, ne s'est pas privée de lancer quelques phrases très désagréables sur son successeur Brice Hortefeux, notamment pour défendre les juges d'application des peines, mis en cause par l'hôte de la Place Beauvau, ou sur le couvre-feu décidé pour les mineurs. Bref, ces polémiques sont traditionnelles. D'autant qu'elles doivent beaucoup au jeu de rôles entre ministres d'un même gouvernement : le ministre de la Justice se fait le porte-parole des magistrats et de leurs syndicats, auquel il ne veut pas déplaire. Le ministre de l'Intérieur prend la défense des policiers, qui s'indignent lorsqu'ils voient un délinquant appréhendé avec grande difficulté par eux remis dans la nature par les juges.
Dans le conflit actuel sur la réforme pénale, porté au grand jour parLe Monde, il y a cependant autre chose : une remise en cause frontale de la politique de la gauche en matière de sécurité. Une première. Manuel Valls ne fait certes que reprendre des arguments qui sont les siens depuis au moins 2002. Il s'agit d'arguments répondant aux craintes de l'opinion publique sur la récidive, la remise de peines, et plus largement sur l'insécurité. Et c'est là que les convictions de Manuel Valls deviennent presque hérétiques pour une certaine gauche. Pour lui, le laxisme idéologique de la gauche est une des causes, sans doute la plus importante, de la défaite de 2002. Il n'a cessé de le répéter avant la campagne électorale de François Hollande. Pendant la campagne, il s'est employé à ce que, après avoir laissé entendre en janvier qu'il était favorable à la suppression des peines planchers, le candidat socialiste prenne du recul sur le sujet, en lançant sur le plateau de France 2 en mars que les peines planchers ne seraient supprimées que lorsque "l'on aura trouvé un nouveau mécanisme qui permet d'éviter la récidive". Bref, Manuel Valls a toujours partagé et fait sienne en la matière l'orientation, très contestée par le PS déjà en son temps, de Jean-Pierre Chevènement.
C'est que l'idéologie, sur ce sujet, règne de façon absolue, à gauche comme à droite : la droite se veut et s'affirme sécuritaire d'abord, tout en lâchant du lest parfois, comme Dominique Perben sur la remise de peine ou comme d'autres sur le surpeuplement des prisons. La gauche défend les vertus de la prévention, l'homme étant comme on le sait perfectible, et plaide que la répression seule ne suffit à éradiquer ni les crimes ni les délits. La vérité, comme souvent, est bien sûr au milieu : la prévention est nécessaire mais pas suffisante, la répression est indispensable mais ses effets sont limités.
Si l'affrontement, donc, tient aux idées et pas aux réalités, aucune réforme pénale ne passera le cap d'une alternance politique ; au nom des grands principes, ce qui a été fait par un gouvernement ou un président sera forcément défait par le suivant. Et les réalités, quelles sont-elles ? Que l'insécurité, ou le sentiment qu'on en a, fait peur aux citoyens, qui se veulent à l'abri d'incivilités ou d'agressions et attendent de l'État qu'il les protège. Qu'on ne peut pas rendre leur liberté à de jeunes récidivistes comme si l'État prenait son parti de fermer les yeux sur la petite criminalité. Que la prison est la pire des solutions, mais qu'elle s'impose pour ceux qui menacent, de façon durable et prévisible, la sécurité des citoyens. Mais ils savent aussi, les Français, qu'on ne peut pas traiter tous les délinquants de la même façon, qu'on ne peut pas mettre sur le même plan, et notamment en prison, les délinquants de la route qui n'ont pas respecté la limitation de vitesse requise et les délinquants sexuels dont on sait que le taux de récidive est au plus haut. Que mieux vaut, à coup sûr, un délinquant réinséré à la fin de sa peine qu'un homme marqué de façon indélébile par sa condamnation, même après l'avoir purgée. Qu'on peut abréger certaines peines, mais pas toutes. En réalité, dans leur grande majorité, les citoyens sont moins idéologues que leurs dirigeants. Ils comprennent à la fois que la fermeté s'impose et qu'elle puisse s'assouplir selon les cas. Et si, entre la répression et le laxisme, il n'y avait pas, au milieu, tout simplement, le bon sens ?
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