Depuis un an, les Français « de la haute » ont le moral au plus bas. sa politique les désole, les obsède. Ils hurlent au « riches bashing », menacent d'aller voir ailleurs si l'impôt est plus doux, et guettent, inquiets, les rumeurs de révolte sociale... Coup de sonde dans les cercles de la grande bourgeoisie.
Un sourire. Christine, très bourgeoise, un brin délurée, s'amuse de son bavardage assassin : « Hollande, vraiment, je le déteste. C'est un tout petit bonhomme. Oh là là, qu'il est mou ! Remarquez, ça n'est pas que je sois très fière de la droite en ce moment, c'est vrai, ses chefs sont nuls. On verra dans quatre ans. Mais voter pour Hollande, ça, non : jamais ! Je le dé-teste. »
Quand Christine reçoit des amis dans son grand appartement du VIIe arrondissement parisien rempli de bibelots et de photos de famille, il ne s'en trouve pas beaucoup pour défendre le président de la République. En fait, aucun. De la gauche caviar à la droite tradi, en passant par les tribus du bling-bling ou les princes du CAC 40, François Hollande fait l'unanimité contre lui !
En un an, il est devenu la cible obsessionnelle des Français d'en haut, leur némésis. De lui, on n'aime rien, on critique tout : sa politique, son tempérament, ses discours, sa cravate, son gouvernement, et même sa compagne, jugée « antipathique ». « Il paraît qu'elle n'a toujours pas divorcé de son dernier mari... »glisse Christine. C'est faux. Mais qu'importe.
La vie sous Hollande déprime les grands bourgeois. L'homme ne serait dramatiquement pas à la hauteur de la crise inédite qui frappe le pays. Non qu'ils étaient tous babas de Sarkozy. Mais le sentiment d'avoir un exécutif en deçà du niveau requis s'est aggravé. « La façon dont ce gouvernement gère le pays, ce n'est pas mal, c'est pire que mal ! » se désole Jean, les bras encore chargés des denrées achetées sur le marché d'Auteuil. « Avec lui, c'est : demain, on rase gratis », râle-t-il encore, incapable de prononcer le nom de François Hollande, comme si ce simple patronyme lui écorchait les lèvres.
Dans les milieux patronaux, l'exaspération le dispute parfois au mépris. Ou au désespoir. « J'ai l'impression qu'on démolit mon pays. Cela tient au gouvernement qui ne prend pas les bonnes décisions, par exemple en refusant le gaz de schiste. Cela tient aussi à l'euro qui nous ruine peu à peu, soupire le célèbre banquier d'affaires Philippe Villin, qui s'est récemment mis à prendre du Mopral pour apaiser de méchants maux d'estomac. N'ayez pas l'air aussi surpris : ça m'affecte vraiment, ce gâchis. J'en pleurerais ! » C'est le blues de la haute...
De lignée aristocrate, Bruno, cadre dirigeant expatrié depuis vingt ans pour une grande entreprise française, a, lui, été hérissé par les mois de débat sur le mariage homo : « Comme prévu, à défaut d'être efficace sur le plan économique, le gouvernement adopte des mesures sociétales pas vraiment nécessaires, voire scandaleuses. » Entraîné par sa famille, lors d'un séjour parisien - « traditionnelle, plutôt catho et très choquée par la méthode » -, à un défilé de La Manif pour tous, Bruno se dit plutôt en faveur d'un Pacs étendu. « Cela a été une vraie erreur de Hollande. Il aurait fallu faire un référendum pour légitimer le mariage homo, alors qu'on a voulu faire passer ça comme un collectif budgétaire. Cela n'est pas normal », s'énerve ce fils de militaire, grand lecteur du Monde.
SE FAIRE LA MALLE
Les pointages officiels - très rares, il est vrai, sur le sujet - n'apportent guère d'eau à ce moulin-là, mais pas besoin de validation de l'Insee : chacun connaît un ami, un cousin, un collègue qui s'est fait la malle (Vuitton). Ça serait l'hémorragie, l'exil dégoûté, le claquage de porte punitif : « Si c'est comme ça, faites sans mon fric que vous détestez tant ! »
« ILS SONT ANXIEUX »
« Nos clients qui s'exilent nous disent que, entre ISF, succession, et maintenant augmentation de l'imposition des dividendes et des plus-values de cession, impossible de rester. On assiste à une vague considérable de départs d'entrepreneurs, alors que, auparavant, c'était plutôt des inactifs ou des gens proches de la retraite qui partaient », indique Charles-Marie Jottras, président de Daniel Féau Conseil immobilier.
Philippe Villin, lui, confirme le ras-le-bol généralisé, en commençant par le sien : « Si je n'y travaillais plus, je ne resterais pas en France, car la situation fiscale, déjà mauvaise avant l'élection de François Hollande, est devenue insupportable. » « Les grands bourgeois sont anxieux. Ils ne savent pas ce qui va se passer pour eux, la politique fiscale étant instable », témoigne un connaisseur de ce petit milieu.
L'argent ne se dépense qu'avec parcimonie. « On sent une certaine crainte. Les clients font beaucoup plus attention qu'avant. Ils partent toujours deux mois en vacances, mais dans leur famille », confirme Corinne, boulangère dans le XVIe arrondissement de Paris.
Corollaire du sujet des impôts, l'immobilier est également de toutes les conversations. « Les gens vendent leur propriété, y compris la résidence secondaire familiale, c'est nouveau », souligne Blanche de Kersaint, directrice de la rédaction du Bottin mondain.
A l'écouter, son célèbre inventaire des happy few prendrait aujourd'hui des allures de vulgaire annuaire des PTT : de plus en plus de membres n'y signalent désormais qu'une seule adresse parce qu'ils ont vendu le château en Sologne ou la résidence dans le Bordelais - trop chers à entretenir... « A Paris, en revanche, les gens ont moins envie de se séparer de leur bien, à cause de la crise immobilière. S'ils attendent trois ou quatre ans, ils vendront peut-être 15 % plus cher », poursuit Blanche de Kersaint. Mais certains partent sans se soucier de la moins-value.
UN « PAYS SCLÉROSÉ »
Dans l'Ouest parisien, les parents embauchent une nounou chinoise, inscrivent leurs chères têtes blondes dans des écoles où l'on enseigne le mandarin à peine après avoir appris à lire et à écrire. « Nous voulons le meilleur pour nos enfants. On sait que la seule solution, c'est qu'ils partent à l'étranger », confie une jeune maman des beaux quartiers.
« Dans les milieux des affaires, c'est très simple : les enfants, on se les échange en stage, avant de les envoyer faire carrière à l'étranger », résume un chasseur de têtes. « Je n'ai plus un seul neveu en France,avoue pour sa part Blanche de Kersaint. Les jeunes diplômés de milieu traditionnel bourgeois partent pour des questions professionnelles. Ce n'est pas en France qu'ils vont pouvoir "faire du fric", comme ils disent.Tout ça provoque un éclatement des fratries, il devient de plus en plus compliqué de se retrouver. Cela préoccupe les familles. »
D'indécrottables égoïstes, les bourges français ? Des mercenaires de la sicav, prêts à déserter en masse sitôt leur magot menacé ? La réalité est plus nuancée... D'abord, le caractère hémorragique de cette fuite est en partie le résultat d'un fantasme, l'effet d'un tam-tam dépité qui transforme le départ de quelques-uns en exode. « L'épargnant français est râleur. Mais il est aussi patriotique et chauvin, assure Charles Egly, cofondateur de Prêt d'union, une plate-forme qui permet à des investisseurs-prêteurs aisés de financer directement les besoins en crédit à la consommation des ménages sans le sou. Même dans un contexte difficile à accepter pour eux, ils préfèrent investir dans l'économie réelle plutôt que de déserter.»
Selon un sondage réalisé par Prêt d'union et l'Ifop, 82 % des Français les mieux lotis estiment ainsi que le premier devoir des riches est de payer leurs impôts en France. Seuls 8 % envisagent réellement de quitter le pays pour des raisons fiscales. « Nos prêteurs sont persuadés que les initiatives personnelles sont plus rapides, plus efficaces que l'action publique. Ils sont très concernés par le sort économique de la France, et très souvent en désaccord avec les politiques, de droite ou de gauche. Mais ils veulent aider », poursuit Charles Egly.
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