TOUT EST DIT

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vendredi 9 août 2013

Fed : Janet Yellen, "hautement qualifiée" pour succéder à Ben Bernanke


Le choix du président de la Banque centrale américaine est une affaire prise très au sérieux outre-Atlantique. Paul Volcker, Ben Bernanke,Alan Greespan... Un passage à la tête de la Fed garantit la postérité, pour le meilleur et pour le pire, à l'heureux élu.

Le débat qui agite en ce moment salles de rédaction et analystes tourne autour des deux favoris pour la succession du républicain Ben Bernanke : le démocrate Larry Summers, économiste et ancien secrétaire au Trésor sous Bill Clinton, et Janet Yellen, démocrate également, économiste et vice-présidente du conseil d'administration de la Fed. Si le premier, proche du président, semble très près du but, la seconde bénéficie d'une cote d'amour particulièrement élevée dans les médias
Janet Yellen, "chouchou" du Financial Times, a selon le quotidien britannique largement démontré sa finesse d'analyse et ses capacités à comprendre les évolutions du cycle économique, leurs conséquences et les mesures éventuelles à mettre en œuvre. "Elle a également réussi, plus que tout autre membre du FOMC (Federal Open Market Committee, organe de la Réserve fédérale), à prévoir la trajectoire de court terme d'indicateurs économiques majeurs", écrit un chroniqueur du blog Alphaville, du FT.
Elle a notamment alerté sur le risque de bulle spéculative sur l'immobilier dès 2005, alors qu'elle était présidente de la Federal reserve bank of San Francisco. De plus, ses positions tranchent avec la doctrine anti-inflationniste qui sévit depuis plusieurs années dans les milieux économiques américains, une bonne chose pour le chroniqueur, qui s'étonne aussi des accusations de "mollesse", dont Mme Yellen fait l'objet : "comme si posséder des qualités diplomatiques était une tare, comme si la discrétion était un signe de faiblesse", ironise-t-il.
Même son de cloche du côté du magazine progressiste Mother Jones, qui fournit "Six raisons pour lesquelles Larry Summers ne devrait pas être le prochain président de la Fed". En plus de l'épingler pour son"manque d'expérience au sein d'une banque centrale", ses commentaires à la limite du sexisme sur le leadership féminin, et ses vues sur le rabotage des dépenses publiques, Mother Jones rappelle certains des faits d'armes peu glorieux de Summers. Secrétaire au Trésor dans les années 1990, il avait jugé "non nécessaire de réguler les échanges de produits dérivés", dont le rôle dans la crise des subprimes, en 2008, est largement avéré.
"En 1999, il a également joué un rôle important pour convaincre le Congrès d'abroger le Glass-Steagall Act (qui oblige les banques à séparer leurs activités de détail et d'investissement)", souligne le journal, et plus récemment, il s'est opposé à la règle Volcker (cantonnement des activités spéculatives des banques dans une structure dédiée). Son indépendance fait par ailleurs débat : citant un article du Wall Street JournalMother Jones évoque ses activités de conseil pour la banque Citigroup et le Nasdaq. Enfin, Larry Summers n'est pas non plus un très bon investisseur, se plaît à souligner le magazine, qui rappelle que lorsqu'il était président de l'université Harvard (2001-2006), il a fait perdre 2 milliards de dollars à l'institution par le biais d'"un mélange risqué de titres, actions, fonds spéculatifs et investissements en private equity".   

INDÉPENDANCE
Les jeux de pouvoir qui sont à l'heure actuelle à l'œuvre à Washington pour soutenir un candidat contre l'autre font l'objet d'une fine analysedans le Huffington Post. Face à Summers, Yellen combine deux avantages qui ne vont pas manquer de se retourner contre elle : "Elle est hautement qualifiée, mais aussi véritablement indépendante, n'ayant jamais travaillé pour Citigroup ou Goldman Sachs." Une candidate idéale pour défendre les intérêts de la classe moyenne, souligne le chroniqueur, comme Barack Obama a affirmé le vouloir.
Ça fait beaucoup d'arguments contre Summers, estime l'auteur, et il se peut même qu'Obama finisse par retenir un troisième candidat pour sesortir de cette situation ; peut-être une autre femme, "plus proche de Wall Street""Le problème n'est pas que Yellen soit une femme,conclut le post de blog, mais qu'elle est immensément talentueuse, a le sens du service public, et est indépendante de Wall Street. Ce serait une honte si les progressistes réussissaient à bloquer Summers pourfinir par perdre Yellen." 
Du côté du New York Timesla prise de position est on ne peut plus claire, ce sera Janet Yellen ou rien. Dans un éditorial publié lundi, la rédaction du quotidien new-yorkais se prononce pour la candidate et s'oppose à la désignation d'un tiers pour désarmorcer la "guérilla" que se livrent les partisans des deux finalistes. Pour le NYT, personne avant Yellen n'est arrivé à ce poste avec "autant d'expérience pratique et théorique en matière de politique monétaire et de réglementation".
Surtout, elle n'appartient pas au cercle habituel du pouvoir qui fait le lien entre Wall Street et Washington, et dont fait partie Larry Summers : "Depuis la crise financière et la mise au point de la loi Dodd-Frank (loi de réforme bancaire issue de la crise), les administrateurs de la Fed sont devenus de plus en plus incontournables dans les décisions concernant l'avenir des banques et de l'économie, par conséquent ils veulent quelqu'un qui a le même 'background' et qui peut donner de l'écho à leurs demandes." "Janet Yellen n'est certainement pas cette personne", se réjouit le quotidien, "au contraire, elle ressemble plutôt à d'autres femmes accomplies avec lesquelles M. Summers, ou ses partisans, ont été en conflit ces dernières années", notamment sur des questions de relance budgétaire et de régulation des marchés. 
CV CONTRE BILAN
Malgré sa prise de position claire, le NYT n'a pas fermé la porte au débat et a invité un certain nombre de contributeurs à s'exprimer sur le sujet dans les pages "Room for debate". Là encore, la balance penche en faveur de Janet Yellen, mais un professeur de Berkeley justifie sa préférence pour Summers en expliquant que si les deux rassemblent les trois critères qu'il estime indispensable de remplir pour ce type de poste – "avoir une expérience dans une fonction similaire, craindrel'inflation comme on craint une tornade, et être capable de ressentirdans sa chair le désarroi d'une personne au chômage" – Larry Summers est le plus "créatif" des deux. "Quand les temps sont bouleversés, penser de façon originale ('thinking outside the box') est un atout", estime-t-il. 
Vu la force des arguments en faveur de Yellen, le blogeur de Reuters Felix Salmon estime de son côté que "si Obama désigne Summers, ce ne sera pas sur la base de ses mérites, mais sur le fait qu'Obama l'aime bien, et est subjugué par son intelligence". Sur un plan plus technique, choisir Summers reviendrait pour Obama à fairecomprendre qu'il a fait ce qu'il fallait contre la crise et que les réformes financières vont désormais être descendues de plusieurs crans dans les priorités de son mandat.  
La liste des soutiens compilée par le Wall Street Journal montre un déséquilibre patent en faveur de Yellen, et le quotidien des affaires, plutôt réputé pour son conservatisme et sa bienveillance envers les milieux d'affaires, a même publié une longue tribune d'Alan Blinder, professeur à Princeton et ancien vice-président du conseil d'administration de la Fed, soutenant la candidate. Il y fait l'éloge de son expérience et de ses capacités de jugement, particulièrement fiables en période de crise : "Plus que son CV, c'est son bilan qui compte."
Yellen fut de ceux qui ont défendu une approche modérée en termes de resserrement budgétaire dans les années 1990 et ont penché pour un objectif d'inflation de 2 %, et non de 0 %, souligne Blinder"Si Washington l'avait écoutée, il se serait attaqué plus tôt aux mauvaises pratiques de crédit, et la crise aurait été moins dévastatrice."
Enfin, Blinder n'a pas peur de mettre les pieds dans le plat en saluant la nomination éventuelle d'une femme à ce poste prestigieux : "Au risque de faire bondir les féministes, je pense que l'opportunité debriser le plafond de verre n'est pas, absolument pas, une bonne raison de lui donner le poste. Mais je pense encore plus fermement que le fait qu'elle soit une femme n'est pas, absolument pas, un inconvénient."  
L'analyse la plus lucide est finalement sans doute celle d'Ezra Klein, journaliste et blogueur star des pages "économie" du Washington Post. Dans un post publié mercredi, il souligne à quel point l'écho médiatique de Janet Yellen est disproportionné par rapport à ses chances de l'emporter : "Les supporters clés de Larry Summers sont concentrés dans et autour du gouvernement de Barack Obama, et ne s'expriment pas dans la presse""la campagne pour Larry Summers se fait derrière des portes fermées", écrit-il. M. Summers est un esprit brillant "comme on n'en rencontre qu'une fois dans sa vie", souligne Klein, et seconfronter à lui est non seulement "excitant, mais addictif". "La loyauté qui lui est accordée va très au-delà de ce que l'on peut observer en politique", conclut-il, en forme d'avertissement.   

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