La demande de nationalité belge de Bernard Arnault a mis un coup de
projecteur sur la souplesse du régime fiscal de nos voisins et relancé
le débat sur l'exil de certaines fortunes françaises. Maître Manoël Dekeyser, avocat bruxellois spécialiste de la fiscalité du patrimoine,
nous détaille les avantages du système belge et explique pourquoi la
décision du patron de LVMH n'a aucun intérêt sur le plan fiscal.
L'élection de François Hollande a-t-elle incité davantage de grandes fortunes françaises à s'exiler en Belgique ?
Manoël Dekeyser : Les
demandes d'informations auprès de notre cabinet ont commencé à exploser
dès fin 2011. A l'époque, déjà, de nombreux ménages aisés étaient
exaspérés par cette "chasse aux riches", menée aussi bien par la droite
que par la gauche. Après une phase d'attentisme juste après l'élection,
on observe désormais une deuxième vague, les Français s'apercevant que
François Hollande tient ses promesses en matraquant les gens qui créent
de la richesse (contribution exceptionnelle sur la fortune, nouvelle
tranche d'imposition à 45%...). Au total, plusieurs dizaines de familles
et d’entrepreneurs français ont choisi de s'exiler en Belgique depuis
le début de l'année. Et entre 200 et 300 sans doute y songent
sérieusement, un chiffre multiplié par quatre par rapport aux années
précédentes. Contrairement aux idées reçues, il s'agit le plus souvent
d'entrepreneurs, dont le patrimoine se chiffre en moyenne à une dizaine
de millions d'euros, et non pas d'héritiers milliardaires.
Le système fiscal belge est-il vraiment si intéressant pour les riches Français ?
Manoël Dekeyser :
Pas pour tout le monde. Les artistes ou les sportifs, qui vivent de
leurs salaires, primes et autres cachets, n'ont aucun intérêt à choisir
la Belgique. Les revenus d'activité y sont en effet taxés jusqu'à 50%,
contre 41% en France (45% en 2013). En prenant en compte la contribution
à la Sécurité sociale, qui est plus élevée en France, l'imposition de
ces revenus est donc à peu près la même entre les deux pays. Par contre,
la fiscalité sur le patrimoine et les revenus du capital est bien plus
légère en Belgique. Il n'y a pas d'impôt sur la fortune et les
plus-values sont exonérées. En outre, les intérêts de placement et les
dividendes sont taxés entre 21 et 25%, contre 36,5% à 39,5% en France -
en attendant l'alignement sur l'impôt sur le revenu, prévu pour 2013. Le
régime des donations est aussi bien plus attrayant : en ligne directe,
par exemple, les dons sont illimités et sont taxés à seulement 3%,
contre 45% pour la part supérieure à 1,8 million d'euros (après
abattement de 100.000 euros) en France. Mieux, le legs peut se faire en
toute franchise de droit si le donateur ne décède pas dans les 3 années
suivantes. L’intérêt pour l’économie belge est que la génération
montante reçoit beaucoup plus tôt et relance l’argent dans le circuit
avec ses propres projets.
En devenant Belge, Bernard Arnault pourra-t-il profiter de tous ces avantages ?
Manoël Dekeyser :
Non. Sa demande de double nationalité n'a aucun intérêt sur le plan
fiscal. Que ce soit pour l'imposition des donations, des successions, du
patrimoine ou encore des revenus, c'est le lieu de résidence qui prime.
Bien sûr, les choses seraient différentes si Bernard Arnault décidait
de s'installer à Bruxelles. Mais, pour le moment, il a assuré qu'il
resterait à Paris et continuerait de payer ses impôts en France. On a
aussi évoqué la possibilité que cette demande lui serve de tremplin pour
Monaco. Comme les Français ne peuvent pas bénéficier des avantages
fiscaux de la principauté, même s'ils y résident, devenir Belge lui
permettrait donc, en théorie, de contourner cet obstacle. Mais cette
hypothèse ne tient pas debout. S'il voulait s'exiler, il serait plus
simple pour lui de s’arrêter en Belgique, où la fiscalité du patrimoine
est presque aussi avantageuse que sur le Rocher, plutôt que d'élaborer
un tel stratagème.
Pourquoi alors a-t-il fait cette demande ?
Manoël Dekeyser : C'est
probablement le cri du cœur d'un homme libre, le geste d'un citoyen qui
veut montrer que l'on n’est prisonnier d'aucun pays. Tant qu’à poser ce
geste, autant qu’il le fasse auprès d’un pays où la culture et la
langue est la même qu’en France, et où il possède aussi des intérêts. Il
y a en effet créé une fondation privée en 2008, qui a pour objectif
d'assurer la pérennité de son empire. Pour simplifier, cette structure
financière, pour l'instant en sommeil, permettra au milliardaire que son
patrimoine soit géré selon sa volonté après sa mort. Cela évitera toute
dislocation en cas, par exemple, de désaccords entre les héritiers.
Capital.fr : Suite à l'"affaire Arnault", le ministre français de
l'Economie, Pierre Moscovici, a annoncé sa volonté de renégocier les
accords fiscaux franco-belges. Cela peut-il avoir un impact ?
Manoël Dekeyser :
C'est un simple effet d'annonce, comme la fameuse taxation selon la
nationalité, lancée par Nicolas Sarkozy en début d'année. Pour
renégocier un accord bilatéral, il faut être deux ! Et même si la
Belgique acceptait de modifier les termes de la convention fiscale (qui
sont d’ailleurs quasiment les mêmes que ceux des traités avec les autres
pays !), cela n'empêcherait pas les plus aisés, qui ont de plus en plus
de mal à supporter le climat anti-riches qui règne actuellement dans
l'Hexagone, de fuir le pays. On ne garde pas ses citoyens prisonniers,
contribuables à merci, nous sommes au 21ème siècle !
Mais ces critiques viennent aussi du fait que les inégalités entre riches et pauvres ne cessent d'augmenter…
Manoël Dekeyser : C'est
vrai, les riches deviennent de plus en plus riches. Et il est
nécessaire que les inégalités ne progressent pas davantage. Mais,
contrairement à ce que l'on croit, la plupart des grandes fortunes qui
viennent nous demander conseil sont d'accord pour contribuer à l'effort
national. Elles en ont juste assez de cette mentalité typiquement
française, qui consiste à stigmatiser constamment ceux qui ont réussi,
même si ces derniers ont bâti leur empire de leur propre main.
lundi 17 septembre 2012
Pourquoi Bernard Arnault n'a aucun intérêt fiscal à devenir Belge
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