Nous avons besoin que l’État contrôle d’une main plus ferme
l’audiovisuel, et si l’extension de la redevance aux ordinateurs est une
bonne idée, elle est bien peu de chose au regard des immenses
responsabilités éducatives qu’a le gouvernement envers petits et grands.
Depuis l’édification des enceintes et des routes, la collectivité
bénéficie de biens indispensables et dont chaque individu peut profiter
sans payer, prétendant n’y trouver aucun intérêt pour échapper à la
contribution qu’on lui réclamerait. C’est l’objet du service public que
de prendre en charge ce que le marché peinerait à fournir efficacement
mais qui concourt à l’évidence à l’intérêt général.
Parmi les routes, la défense, la justice et l’école, la télévision
d’État serait-elle intruse ? Alors que le gouvernement s’apprête à
étendre la redevance audiovisuelle aux ordinateurs, on trouvera des
hypocrites – et ils sont nombreux – pour nier l’impérieuse nécessité de
voir l’État se soucier de notre distraction et de notre correcte
compréhension du monde. Comble de mauvaise foi, ils prétendront utiliser
leurs ordinateurs pour lire Contrepoints plutôt qu’écouter la bonne parole de David Pujadas. Ils affirmeront sans rougir préférer jouer en ligne que regarder les Z’amours sur France 2. En vérité chacun sait que ces filous téléchargeront en cachette Plus belle la vie, œuvre dont l’humanité n’aurait eu la jouissance si elle se limitait à ces rapaces individualistes.
Mais ces profiteurs ne constituent pas la pire engeance d’égoïstes
peuplant l’audience télévisuelle française. Croyez-le ou pas, certains
sont si idéologues et bornés, que même contraints de s’acquitter de leur
juste contribution au service public, ils préfèrent continuer à
regarder des chaînes gratuites. Franchement, quel toupet ! Si le secteur
privé pouvait offrir gratuitement ce que l’État facture 125€ l’année,
ce serait un scandale. Or, une fois la chose de meilleure qualité payée,
pourquoi s’entêter à se cantonner à la version gratuite ? Avez-vous
jamais dans un magasin déboursé 125€ pour finalement partir avec un truc
gratuit ? C’est pourtant ce que font les gens qui préfèrent regarder
TF1, une chaîne totalement gratuite, alors qu’ils ont payé 125€ pour
bénéficier des programmes de France télévisions. Qu’attendre d’une
discussion avec pareilles têtes de mules ?
On ne saurait pour autant simplement les oublier tant elles sont
nombreuses. Leur entêtement à regarder d’autres chaînes dégrade la
culture de notre belle nation. Or s’il est clair que le politique dérive
vers l’autoritarisme quand il agite l’épouvantail de l’identité
nationale, il est tout aussi évident qu’attendre de la République
qu’elle ne se préoccupe pas des goûts et des couleurs tient de
l’anarchisme le plus délirant. Heureusement, grâce à la sagesse
paternelle du législateur, dès que l’un d’entre nous s’égare en
regardant Bruce Willis, il doit alors déposer une pièce dans le cochon
du trésor public. Et à chaque fois qu’il regarde un film avec Christian
Clavier, Aurélie Fillipetti casse sa tirelire pour qu’il puisse s’offrir
les popcorns. Songez que sans ce mécanisme, Gérard Depardieu serait
peut-être mort de faim !
Il y a le mécénat des arts, mais aussi la promotion des idées. Et
c’est une vérité établie par l’Histoire que les grandes idées ont
toujours germé de la bienveillance des gouvernants envers les grands
intellectuels. Des témoignages l’attestent au moins depuis l’invention
de la philosophie par Socrate, enfant chéri que la démocratie athénienne
dorlota jusqu’à son dernier souffle. Ce fait historique devrait faire
consensus tant il dépasse les clivages : et Voltaire et Rousseau peuvent
apporter leur témoignage reconnaissant. Dans cet art, notre télévision
publique excelle, faisant d’intellectuels comme Éric Zemmour des leaders
d’opinion. On ne transforme hélas plus l’eau en vin gratuitement. Et si
ce n’était pour les 125€ dont elles devront s’acquitter cette année,
mes concitoyennes n’auraient peut-être jamais connu son opinion sur la
féminisation de la société.
Cependant, sur la question politique, certains objectent que l’argent
du contribuable est utilisé à des fins propagandistes et profite à des
idéologies particulières. Je pense, par exemple, à ces ultralibéraux à
la solde des loups de Wall Street pour qui tout est toujours trop
socialiste. Pourtant leur analyse ne résiste pas à l’observation
objective des faits. Reprenons le cas Zemmour. Certes d’un côté le
mécénat fiscal rétribuait 1400€ chacune de ces émissions sur France 2,
mais de l’autre côté il subventionne aussi l’amicale des antiracistes
qui poursuit en justice notre philosophe de droite préféré à chaque fois
que les excès de la liberté d’expression menacent la quiétude du
troupeau. Un comptable pourrait donc certifier que le service public est
aussi neutre qu’efficace.
Nous l’avons dit au début de ce billet, ce que le service public
apporte, c’est ce que l’initiative privée ne pourrait fournir
efficacement. Évidemment que si France télévisions était privatisée
aucune chaîne ne retransmettrait plus ni le Tour de France ni Roland
Garros. D’ailleurs si les chaînes capitalistes étaient prêtes à donner
la parole à Audrey Pulvar, le contribuable ne pourrait jamais profiter
de sa docte opinion à aussi bon marché qu’il rétribuait l’éclairage
avant-gardiste d’Éric Zemmour.
Car oui, l’enjeu principal, c’est la qualité. Et l’immense dynamisme
culturel de notre pays dérive aussi de la captation d’un tiers de
l’audience télévisuelle par la Télévision d’État, qui sauve tant d’entre
nous de la télé-réalité. Et tout français instruit et ouvert sur le
monde sait que les pays où l’État abreuve moins l’esprit de ses citoyens
sont peuplés d’abrutis. D’ailleurs si les néo-libéraux américanophiles
regardaient un peu plus France 2, ils sauraient que le français moyen
est bien moins crétin que l’américain moyen convaincu que Dieu a
littéralement chassé Adam et Ève du jardin d’Éden. D’ailleurs,
eussions-nous taxé plus tôt les ordinateurs, davantage de nos têtes
blondes auraient peut-être regardé les frères Bogdanov, éminences
scientifiques au service du téléspectateur contribuable, plutôt que de
lire n’importe quoi sur internet.
À propos des fables subversives qu’on peut y trouver, savez-vous que
l’enquête PISA de l’OCDE voudrait nous faire croire que la culture
scientifique des petits américains est supérieure à celle des petits
français ? Franchement, j’en serais étonné, car si les redevances reçues
par France télévisions et Arte atteignent environ 24€ par habitant en
France, l’effort du contribuable au fonctionnement de PBS, équivalent
américain, reste en deçà de 2€ par citoyen. Privé de Jamie et Fred, le
petit américain est donc nécessairement 10 fois plus bête, c’est
mathématique. L’OCDE ne sait pas compter !
Ce qu’on peut regretter, c’est la nonchalance du législateur qui
laisse une grande partie de nos concitoyens s’abêtir devant les chaînes
réellement gratuites. Nous avons à travers le pays des dizaines de
milliers d’Assurancetourix dont le talent n’est pas justement apprécié
des ignares et barbares que nous sommes. Pour éviter que ces gens ne
doivent travailler dans des commerces, des usines ou des garages comme
leurs concitoyens moins talentueux, la loi oblige les chaînes, publiques
et privées, à consacrer 15% de leur chiffre d’affaires au financement
d’œuvres audiovisuelles françaises. Mais craignant que notre bêtise nous
fasse zapper sur une chaîne proposant un programme étranger inepte, les
grandes chaînes renoncent souvent à diffuser ces chefs-d’œuvre ou
essayent de les refourguer à d’obscures chaînes câblées qui les
diffuseront à trois heures du matin afin de respecter les quotas légaux
de diffusion d’œuvres nationales. C’est du vol ! Qu’on arrête de nous
prendre pour des enfants… Ces chefs-d’œuvre, nous les avons payés, nous
avons donc le droit d’en profiter !
La situation serait évidemment bien pire sans ces quotas
providentiels, mais ne soyons pas naïf. Le CSA a beau jeu de rappeler à
Disney Channel ses obligations de diffusion d’œuvres françaises.
Cependant un simple avertissement n’aura pas raison du sectarisme des
responsables de cette chaîne. Ne soyons pas candides, seule une action
coercitive est susceptible d’obtenir le remplacement de Mickey par
Casimir sur cette chaîne capitaliste.
Donc oui, nous avons besoin que l’État contrôle d’une main plus ferme
l’audiovisuel, et si l’extension de la redevance aux ordinateurs est
une bonne idée, elle est bien peu de chose au regard des immenses
responsabilités éducatives qu’a le gouvernement envers petits et grands.
vendredi 6 juillet 2012
Plaidoyer pour la redevance audiovisuelle
La redevance devrait aussi s'étendre sur les miroirs, on y peut regarder les écrans de TV et des ordinateurs !
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