TOUT EST DIT

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samedi 9 juin 2012

Le vertige populiste 


Les admonestations pleuvent sur la France, sommée d'adopter les réformes profondes que lui prescrivent les marchés (et le sens commun). Sur les décisions de Hollande pèseront le vote législatif de ce mois, le cours périlleux de la crise et la machinerie européenne. Mais, pour la suite, ses décisions devront recueillir l'adhésion publique. Et vaincre à cette fin la résistance qui met en France tout exécutif dans la mélasse. Elle empêtra Sarkozy et paralysa Chirac. Hollande n'évitera pas la réaction multiple et confuse du " populisme ". Hors les urnes où il dépérit, le populisme, un jour ou l'autre, choisit la rue.
Contre les choix légitimes de pouvoirs élus le populisme - notion trop vague, trop dépréciative - est à la fois le symptôme d'une détresse populaire et l'expression de chimères alternatives. Tous, loin de là, ne s'embrigadent pas au Front de gauche ou au Front national, mais des millions de Français remâchent le sentiment d'être abandonnés par les " puissants ", caste indistincte où ils fourrent en vrac la classe politique, les médias, l'élite, les riches, la finance et autres boucs émissaires de leurs malheurs.
Ce sentiment de déréliction nourrit depuis longtemps la mélancolie nationale. On y voit les politiques dépossédés de pouvoirs réels par les forces malignes de la mondialisation et de l'Europe défaillante. Incapables de juguler, chez nous, un chômage sempiternel et le déclassement avéré de la nation. Et peut-être aussi qu'au-delà de ces échecs bien des reins et des coeurs vivent, dans la souffrance, le déchirement des grandes mutations. Dans cette souffrance, le populisme trouve sa source.
Le populisme est un fleuve noir qu'alimentent les peurs écologiques, le vieillissement démographique et, bien sûr, les dérangements de l'immigration, de la peur de l'islam. De l'insécurité. Il charrie, comme autant d'épaves, la clochardisation de la rue, la misère des SDF, la paupérisation de l'État. Il se repaît de l'immoralité des " princes " et de la cupidité indécente de quelques patrons. Le fleuve se déverse, pour finir, dans l'océan des nostalgies. On y ressasse la nation de jadis, son passé peu à peu englouti et sa culture agonisante, naufragée par la révolution culturelle qui s'accomplit sous nos yeux. Celle, entre autres, d'Internet, des images et des sons de la modernité.
Dans ce grand chambardement des techniques et des moeurs, le populisme vit un désenchantement démocratique. Contre la caste élitaire, il en appelle au " peuple ". Mais lequel ? Le peuple, entité souveraine qui gouverne la nation ? Ou le peuple plébéien, la foule porteuse de désirs et de droits ? " Ah, le peuple est en haut mais la foule est en bas ", disait Victor Hugo. Et c'est dans cette foule que fermente le populisme.
Pour en cerner les actuels contours - à droite dans sa composante identitaire et nationaliste, à gauche dans son cri social -, Dominique Reynié le peint comme un " vertige social-nationaliste ". Il affecte presque toute l'Europe. Disons qu'en France il ébranle deux orientations communes aux deux grands partis du gouvernement. D'une part, il rejette une Europe communautaire, réconfortée, chez nous, par le Parlement après avoir été malmenée par le " non " référendaire de 2005. Et, d'autre part, il refuse la diète sociale imposée à un État providence ruineux.
Est-ce que Hollande, européen convaincu et plausible réformateur, peut vaincre ce vertige ? L'adhésion européenne bénéficie, en France, d'un soutien électoral encore majoritaire. Mais l'Europe n'a pas franchi le Rubicon d'une gouvernance crédible de sa monnaie. Surtout, elle se révèle fondamentalement libérale. Le socialisme français y apparaît, jusque chez ses pairs sociaux-démocrates, comme le résidu poussif d'un modèle condamné. Dans une économie de marché mondialisée, les Européens valides assument, comme l'Allemagne, d'affronter la compétition. Aux invalides, la voiture balai !
Quant à la capacité pour Hollande de rallier à ces réformes éventuelles une adhésion publique, elle n'ira pas sans déboires. Le populisme dispose, dans la rue, des gros bataillons populaires et ouvriers arrachés au PS. Car le socialisme français semble avoir perdu le " sens du peuple " (1) ou trahi son bon sens. Toujours est-il qu'il aura abandonné à Marine Le Pen les plaies sensibles de la sécurité, de l'immigration et de la laïcité au profit d'un multiculturalisme compassionnel et erratique que le populisme rejette. Les classes moyennes sont ainsi devenues les principaux bastions du Parti socialiste. Or, faute d'attaquer à la hache la réduction des dépenses publiques, Hollande devra les soumettre, elles aussi, à la pression fiscale. D'être tenues pour " riches " ne les consolera pas.
Bref, la plainte des portefeuilles et la colère de la rue promettent à Hollande un horizon fort peu " normal ".
1. Michelet, cité par Laurent Bouvet.

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