TOUT EST DIT

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dimanche 26 février 2012

Bréviaire pour une jeunesse déboussolée

Il appartient à la génération post-1968 d’avoir soldé les dettes de ses aînés envers les maîtres-penseurs et les idéologies, de quelque mouvance qu’ils fussent. Avoir jeté avec l’eau du bain le marxisme et le maoïsme, Althusser et Lacan, Foucault et Guattari, Barthes et Illich, Marcuse et Reich était un préalable de bon aloi mais ne constituait pas une condition nécessaire et suffisante pour une renaissance.
Dans ce champ de ruines, aucune promesse de moissons ne s’est levée alors qu’a prospéré l’ivraie de l’indifférence, du “je-m’en-foutisme” et du tout-à-l’ego. Aux esprits réfractaires à ce laisser-aller général et qui n’entendaient pas retomber dans les vieux dogmatismes, force était de se bricoler, dans leur coin, une discipline de survie personnelle.
Denis Tillinac qui, à son corps défendant, appartient à la génération 1968, mais qui s’est tenu à l’écart de ses errements, confesse regretter d’avoir dû « caboter tout seul sur des esquifs d’infortune, à contre-courant de [son] époque », sans le réconfort d’une « plume amie qui l’aurait alerté sans le désenchanter ». C’est pourquoi, répondant à l’appel informulé d’une jeunesse en désarroi à qui semble faire écho la fameuse requête du jeune Barrès – « Toi seul, ô mon maître, […] je te supplie que par une suprême tutelle, tu me choisisses le sentier où s’accomplira ma destinée. / Toi seul, ô maître, si tu existes quelque part, axiome, religion ou prince des hommes » – , il a entrepris de lui livrer quelques considérations inactuelles, d’aîné à cadet.
Sans la lourdeur sentencieuse des donneurs de leçons de morale contemporains, dont on se dispensera de citer les noms tant ils abondent, sous un titre nietzschéen et sous la forme de fragments, d’aphorismes, où son sens de la formule et le tranchant de son style font merveille, Tillinac a composé une sorte de vade-mecum à l’usage des jeunes générations, sous la double tutelle de Montherlant et de Bernanos. Du premier il fait sienne la leçon d’altitude, de gratuité, de désintéressement et de jeu. Avec le second il partage le sens de la transcendance et de l’honneur, le goût de la tradition et l’amour ombrageux de la France. De sa personnalité et de son tempérament relèvent un solide bon sens, le dédain des poses et des panoplies, la volonté têtue de ne pas se laisser enfermer dans le carcan des convictions intangibles, le refus de privilégier la sécheresse de la raison au détriment des émotions, qu’elles soient esthétiques ou charnelles. Invitant ses jeunes lecteurs à la méfiance envers les duperies de l’humanisme et des bons sentiments, les encourageant à préférer les risques de l’aventure au confort des situations, et les incertitudes d’un cheminement personnel à la bonne conscience des engagements collectifs, l’auteur en appelle à une insurrection de l’âme contre le matérialisme et le conformisme de l’époque.
La voie qu’il trace est celle des chemins de traverse où ne se récoltent ni prébendes ni honneurs, celle des crêtes, escarpée, ingrate, périlleuse certes, mais « là où croît le danger croît aussi ce qui sauve ». Ce bréviaire antimoderne n’est pas celui d’un extrémiste révolté ou d’un passéiste nostalgique, mais d’un “réac” qui s’assume, sans peur et sans reproche, sans honte et sans complexe. Et qui incite à chevaucher les chimères avec Don Quichotte plutôt qu’à remplir sa gamelle avec Sancho Pança. 

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