TOUT EST DIT

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dimanche 11 décembre 2011

Les séries rattrapées par le traumatisme irakien

A quoi ressemble un concert de louanges ? Pour s'en faire une idée, il suffit de jeter un œil aux critiques dithyrambiques qui ont salué la mise à l'antenne des premiers épisodes de "Homeland" cet automne sur la chaîne américaine du câble, Showtime. De Washington à Philadelphie, de Boston à Chicago, cette série d'espionnage déclinant une nouvelle fois la menace terroriste a non seulement accru son audience au fil des douze semaines de sa diffusion – loin, certes, des 6,5 millions de fidèles aux zombies de "The Walking Dead" – mais elle a surtout enthousiasmé la presse, pour une fois unanime. "La meilleure série de la saison", a estimé le Los Angeles Times, "le meilleur thriller de la télévision américaine" a enchéri le New York Post. Idem pour le critique du Boston Globe et celui de Time.
Nerveux, lourd d'ambiguïté, tendu sur le plan psychologique, ce feuilleton s'inscrit dans la veine conspirationniste, chère aux Américains, qu'ont ravivée les attentats du 11-Septembre. Elle marque toutefois un tournant idéologique après une décennie placée sous l'influence de "24 heures chrono" (l'agent de l'unité antiterroriste Jack Bauer y sauvait l'Amérique d'ennemis qui s'apprêtaient à la frapper sur son sol, cela durant huit saisons). Or, ce sont précisément Howard Gordon et Alex Gansa, les producteurs exécutifs de "24" qui, sous le titre "Homeland" ont adapté "Hatufim", une série israélienne qui, en 2009, mettait en scène la difficile réadaptation, après leur libération, de deux prisonniers de guerre.
Dans "Homeland", l'agent de la CIA Carrie Mathison (Claire Danes) est persuadée, pour avoir quelques mois plus tôt recueilli la confidence d'un terroriste condamné à mort à Bagdad, que le soldat américain Nick Brody (Damian Lewis) a été "retourné" : porté disparu en 2003, il a été retrouvé huit ans plus tard lors d'un raid mené par Delta Force dans une planque appartenant au terroriste Abu Nazir.
Cette série donne donc à voir une figure ambivalente de vétéran, un marine hanté par les sévices qu'il a endurés en captivité, répugnant à satisfaire la curiosité des journalistes qui assiègent sa maison et à délivrer un message patriotique pour promouvoir l'engagement militaire en Irak.
Acclamé en héros national, ce rescapé d'une guerre sale est-il le nouveau visage de l'ennemi ? L'homme a-t-il été brisé ou conditionné par les méthodes de torture – peut-être comparables à celles que les Etats-Unis ont pu employer à Guantanamo – afin de servir les desseins d'Al-Qaida ? L'intrigue sème des indices contradictoires en faveur de l'une ou l'autre hypothèse. D'autant qu'en face, le doute subsiste sur la fiabilité de l'agent de la CIA, guidée par un flair hors pair ou, qui sait, par une obsession paranoïaque relevant de troubles bipolaires.
"Homeland", dont Canal+ vient d'acheter les droits de diffusion, est la dernière série en date traitant de la guerre en Irak ou du retour au pays des soldats, et la première qui sera renouvelée pour une deuxième saison. Les précédentes s'étaient arrêtées après une saison, faute d'audience.
Innombrables, cependant, sont les personnages de vétérans d'Irak ou d'Afghanistan dans les séries télévisées, où ils ont succédé à ceux de la guerre du Vietnam, qui tendent à s'effacer en raison de la pyramide des âges.
Avec Apocalypse Now, Full Metal Jacket et Platoon, le cinéma avait pris l'avantage de la représentation de la guerre du Vietnam, la télévision refusant de s'y confronter par frilosité, sinon de biais et sur le ton de la comédie ("M*A*S*H*", "Papa Schultz").
"La guerre du Vietnam a été le conflit le plus montré à la télévision, et à plusieurs reprises quasiment en direct et sans aucune censure des images tournées par les journalistes. C'est aussi, à ce jour, la seule défaite des Etats-Unis, et la durée, l'absurdité et la violence de ce conflit ont traumatisé la population américaine. Les chaînes de télévision ont longtemps hésité à diffuser une série qui revisiterait frontalement cette guerre", rappellent Pierre Sérisier, Marjolaine Boutet et Joël Bassaget, les auteurs de Sériescopie (Ellipse, 688p., 23euros).
Trente plus tard, l'industrie audiovisuelle, plus éclatée, richement diversifiée, n'a pas raté le coche. En 2005, à peine deux ans après le déclenchement de la guerre en Irak, chiche en images d'actualité, apparaissait à la télévision "Over There" retraçant le parcours de sept recrues, dont deux femmes. Les maîtres d'œuvre de cette série, Steven Bochco et Chris Gerolmo, s'étaient défendus, à l'époque, de tout parti pris politique, mettant en avant une volonté de réalisme étayée par de nombreux entretiens conduits avec des officiers.
Atrocités de la guerre et crudité de langage: "On est là pour tuer, bordel ! On veut pas de votre pétrole, on veut votre peau !" Et l'ennemi de répliquer : "Vous m'emmenez à Abou Ghraib ? La tête dans un sac ? A poil ?" Diffusée sur FX Network, cette série avait divisé la presse américaine au nom du patriotisme. Au mieux la trouvait-on inopportune.
En 2008, "Generation Kill" de David Simon et Ed Burns, les créateurs de la saga magistrale "The Wire", n'a pas connu non plus de suite après sept épisodes sur HBO. Ce brillant feuilleton, sobre d'effets, s'inspirait des reportages d'Evan Wright, journaliste à Rolling Stone qui, "embedded", avait suivi un bataillon de reconnaissance figurant parmi les premières troupes sur place. Sur le site Internet Big Think, le journaliste expliquait avoir voulu démystifier l'image du soldat, ni héros ni méchant : "Après la diffusion du premier épisode de "Génération Kill", (…) je crois que certaines personnes ont été choquées que les marines d'aujourd'hui ne parlent pas comme Tom Hanks dans un film sur la seconde guerre mondiale. La vérité, c'est que les marines de 22 ans sont plongés dans la même culture que ceux de 22 ans qui ne sont pas marines. (…) Mon intention était de connecter, d'une manière honnête, les gens aux troupes qui se battent, non de les glorifier ni de les rabaisser, mais juste de les montrer tels qu'ils sont."
Si elles offrent un nuancier d'opinions éthiques, politiques, et multiplient les angles de vue par leur structure chorale, ces séries restent étroitement centrées sur les Américains. La place faite aux Irakiens y est rare, réduite à l'irruption de snipers ou de tortionnaires.
Tel ne fut pas le cas d'"Occupation", mini-série de la BBC multi-primée en 2009, qui tient à la fois du film de guerre et du drame intimiste. Soit le parcours croisé de trois soldats britanniques envoyés à Bassora (au sud de l'Irak) en avril 2003. A la fin de leur période d'engagement, ces amis originaires de Manchester vont rempiler, l'un par amour, le deuxième par appât du gain en cofondant une société privée de sécurité, et le troisième par volonté de reconstruire le pays aux côtés des Irakiens.
La fiction les suit pendant quatre ans au cours desquels l'humanité se mêle au cynisme, la peur à l'héroïsme, la sincérité aux mensonges. Si elle s'attache davantage au coût humain qu'aux retombées politiques de l'invasion de l'Irak, "Occupation" témoigne toutefois des impasses actuelles : manque de perspectives, corruption, règlement de comptes entre chiites et sunnites, montée du fondamentalisme religieux…
Pour l'anecdote, rappelons qu'une nouvelle version télévisée de "Sherlock Holmes", diffusée par la BBC en 2010, s'ouvrait sur la rencontre du célèbre détective et de son futur acolyte, Watson, médecin militaire, souffrant, à la suite de son engagement en Afghanistan, d'une claudication aux origines psychosomatiques. Or rien n'a été inventé. Les auteurs se sont juste montrés fidèles… aux romans de Conan Doyle

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