TOUT EST DIT

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mardi 25 octobre 2011

De la crise de l’euro à celle de l’Europe politique

Une même crise, mais des mots différents pour la qualifier. En France, on parle sauvetage de la Grèce, recapitalisation des banques, création d'un fonds européen pour voler au secours des Etats en faillite. En Allemagne, les responsables politiques en sont à l'étape suivante, et tentent de tirer les conséquences politiques de cette crise, la plus grave qu'ait jamais connue l'Union européenne.

Ils ont de nouveau le mot "fédéralisme" à la bouche, la ministre de la santé de la chancelière allemande Angela Merkel, Ursula von der Leyen, allant jusqu'à employer le mot "Etats-Unis d'Europe", prononcé par Winston Churchill, à Zurich, en 1946.
Étonnante différence d'approche, à la veille du conseil européen qui doit décider, mercredi 26 octobre, du sauvetage de l'euro. Les Français restent sur le terrain de jeu fixé par les marchés financiers, tandis que les Allemands, à la tête de la première puissance économique du continent, définissent le débat en termes politiques, dans le cadre d'une démocratie parlementaire mature.
Toute la construction européenne depuis 1945 est en jeu. Le sujet est politique. Nicolas Sarkozy s'inquiète de la faible conscience qu'en ont ses concitoyens. "Notre destin se joue dans les dix jours", a-t-il lancé, le 18 octobre, à l'Elysée, parlant de guerre et de paix, comme jadis le chancelier Helmut Kohl (1982-1998). "Ceux qui détruiront l'euro prendront la responsabilité de la résurgence de conflits sur notre continent", a-t-il averti.
"GAGNER DU TEMPS"
Les plus fédéralistes, à l'instar du social-libéral Jean-Pierre Jouyet, retrouvent espoir. "C'est la grande ironie de l'Histoire : ce sont les marchés financiers qui vont imposer l'Europe politique", assure l'ex-secrétaire d'Etat aux affaires européennes. L'intégration européenne a toujours progressé de crise en crise. Elle serait de retour après le coup d'arrêt donné par le non des Français au référendum de 2005 sur la Constitution européenne.
Au contraire, l'eurosceptique UMP Jacques Myard prédit la fin de l'euro, mal conçu. "La maladie du XXe siècle fut de vouloir construire des systèmes dans lesquels on veut faire rentrer la réalité: cela ne marchera pas. Les dirigeants européens ne font que gagner du temps", accuse le député des Yvelines. La monnaie unique devait faire converger les économies européennes. Affranchies de la contrainte des marchés, qui provoquaient la dévaluation des pays mal gérés, les économies les plus faibles ont perdu de leur compétitivité par rapport à l'Allemagne, se croyant protégées par l'euro, avant que les marchés ne leur fassent payer l'addition.
Le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le socialiste Pascal Lamy, résume l'enjeu. "La réalité se rappelle à ceux qui voulaient faire l'euro sans l'union politique. Aujourd'hui, c'est un pas en avant ou trois pas en arrière : si on fait sauter l'union monétaire, on fera ensuite sauter le marché intérieur puis l'union douanière. On se retrouvera chacun chez soi, dans un monde encore plus globalisé."
Le Vieux Continent est sous la menace d'un détricotage d'une Europe fondée sur l'économie, depuis la mise en commun du charbon et de l'acier en 1951, le Marché commun, créé avec le traité de Rome de 1958 et achevé par l'Acte unique de 1986, le tout couronné par l'euro lancé à Maastricht en 1991.
INTÉRÊT VITAL
Le pire n'est pas à exclure. L'étude des années 1930 montre que les dirigeants ne purent empêcher des événements qu'ils virent parfois se profiler. En 2008, l'administration de George Bush n'avait plus le pouvoir politique d'empêcher la faillite de la banque d'affaires Lehman Brothers qu'elle savait destructrice.
Il ne suffit pas de se savoir au bord du gouffre pour ne pas y sombrer. "Je suis vraiment inquiet", met en garde un haut négociateur français. A la veille du sommet de Bruxelles, il craint une attaque des marchés contre l'Italie, si la réponse des Européens est jugée insuffisante: "L'enjeu est de savoir si les marchés jugent que la faillite de la Grèce est un cas unique ou s'ils considèrent que les peuples auront à l'avenir pour option de ne pas payer leurs dettes."
Pourtant, Paris et Berlin ont un intérêt vital à sauver l'euro. La France a le plus à perdre : depuis soixante ans, elle cherche à faire de l'Europe le levier d'Archimède de son influence et se retrouverait incapable de choisir entre une Europe latine exclue de l'euro et l'Allemagne, son premier partenaire, qui lui sert depuis un demi-siècle de modèle de vertu.
L'Allemagne, elle aussi, a son destin lié à la monnaie unique. Certes, il lui est souvent reproché de vouloir être au choix une petite Chine ou une grande Suisse. Un pays industriel ultra-compétitif, intégré dans la mondialisation, qui n'aurait pas plus besoin de l'Europe que n'en avait la City de Londres sous Gordon Brown. Ou une île au cœur de l'Europe, heureuse de sa richesse et de sa quiétude, soucieuse de ne pas s'impliquer dans les affaires d'autrui.
SAUT FÉDÉRAL ET VIRAGE ÉCONOMIQUE
Tout cela est faux. L'Allemagne réalise la majorité de ses excédents commerciaux avec l'Europe et a intérêt au bien-être de ses voisins, dont l'hostilité lui serait très vite néfaste. C'est une des raisons qui avait conduit Helmut Kohl à renoncer au deutschemark après la chute du mur de Berlin en 1989.
Ainsi fut lancé l'euro à Maastricht. "François Mitterrand avait imposé l'euro à Helmut Kohl, mais l'Allemagne avait imposé ses conditions. Depuis, Nicolas Sarkozy a imposé des réunions des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro dont Angela Merkel ne voulait pas, mais les Allemands veulent imposer leur ligne économique ", résume l'ex-secrétaire général de l'Elysée de François Mitterrand, Hubert Védrine (1991-1995).
Vingt ans après, les deux pays doivent chacun briser leur tabou : les Allemands, qui se jugent trahis par les tricheries comptables des Grecs, doivent accepter ce que les Français appellent gouvernement économique, assorti d'aides financières aux plus faibles et d'une vraie gestion commune des finances publiques ; les Français sont invités à faire à la fois le virage économique de 1983, lorsque François Mitterrand fit le pari de la rigueur et de l'ancrage en Europe deux ans après les désillusions de mai 1981, et le saut fédéral qu'ils ont toujours refusé.
Explication : l'Allemagne réunifiée avait accepté l'euro à condition que la stabilité de la monnaie, qui a fait le miracle économique de l'après-guerre, soit confiée à une banque centrale indépendante. La phobie de l'inflation ne s'explique pas que par la ruine due à l'hyperinflation de 1923, dans la foulée de l'occupation de la Ruhr par l'armée française et des réparations de guerre imposées par Paris. Les Allemands ont été ruinés à deux autres reprises, par l'inflation cachée de la dictature nazie et par la faillite de la RDA.
"TALON D'ACHILLE"
Seconde exigence: marqués par l'éthique protestante, les Allemands voulaient que chacun gère son budget en bon père de famille, et la monnaie serait préservée. "Les Allemands avaient l'illusion qu'on pourrait vivre sur le modèle de l'étalon or et de l'équilibre budgétaire absolu comme c'était le cas jusqu'en 1914", analyse un proche de Nicolas Sarkozy.
Tout a changé avec la Grèce. Angela Merkel a découvert qu'un petit pays, tel un talon d'Achille, pouvait faire sombrer l'Europe entière. La chancelière est prête à prendre ses responsabilités. Ce n'est pas "l'Allemagne paiera" de Georges Clemenceau lors du traité de Versailles en 1919 : elle a déjà payé en étant la première contributrice du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais elle va exiger en contrepartie un droit de regard sur les fonds et la gestion budgétaire des autres pays européens. "Le fédéralisme, cela veut dire de l'argent et des contraintes", résume Jean-Louis Bourlanges, président de la fondation du Centre. Les Français sont-ils prêts à l'accepter? Rien n'est moins sûr.
Depuis le lancement de l'euro, la France a toujours renâclé à équilibrer ses finances. Lionel Jospin ne voulait pas casser la croissance. Jacques Chirac fit voler en éclats le pacte de stabilité. A peine élu, M. Sarkozy fila au conseil des ministres des finances européens pour expliquer qu'il ne tiendrait pas les engagements de la France.
Sans cesse, la France reste marquée par l'école keynésienne, soucieuse de piloter la croissance. Un conflit lourd se dessine entre les tenants latins d'un recours magique à l'inflation pour laminer les dettes européennes, et les partisans germaniques de l'austérité, afin de restaurer une compétitivité perdue dans la mondialisation, au risque de sombrer dans la déflation.
TUTELLE DES MARCHÉS
Deuxièmement, les Français se sont toujours crus fédéralistes… à condition d'être certains que leur point de vue s'impose. Ils n'ont jamais fait le choix de l'Europe politique. Sous Pierre Mendès France, les députés ont rejeté, en 1954, la Communauté européenne de défense (CED), ouvrant la voie au réarmement de l'Allemagne via la création de l'Alliance atlantique. Rien n'a changé depuis: l'expédition franco-britannique en Libye a révélé l'absence de défense européenne, qui prive l'Union de toute diplomatie sérieuse.
Après Maastricht, le premier ministre Edouard Balladur (1993-1995) a refusé l'idée d'un "noyau dur" en Europe, formé autour de l'Allemagne, la France et le Benelux, et proposé par deux hommes de confiance d'Helmut Kohl, les députés Karl Lamers et Wolfgang Schäuble. Enfin, les Français ont rejeté en mai 2005 la Constitution européenne.
La révolution induite par le sauvetage de la Grèce remet l'Europe politique à l'ordre du jour. Sous des abords très techniques, les peuples européens n'auront plus le loisir de choisir réellement leur budget, enjeu essentiel des campagnes électorales et prérogative fondamentale des Parlements.
La France, qui n'échappera pas à un tour de vis budgétaire, connaît une campagne présidentielle sous la tutelle des marchés, qui surveillent sa notation financière, et l'œil des Européens. "On va retrouver les débats engagés depuis Maastricht", prédit l'essayiste Alain Minc, qui s'empresse d'ajouter: "Mais, cette fois-ci, on va le gagner." Rien n'est moins sûr. Un responsable du Quai d'Orsay estime que le refus des transferts de souveraineté, acté par le référendum de 2005, persiste.
Or, le fonctionnement actuel souffre de légitimité démocratique. Les décisions sont prises à l'unanimité des dirigeants de la zone euro et ratifiées par les Parlements nationaux. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe exige désormais une consultation du Bundestag, qui donnera son aval à Mme Merkel avant le sommet de mercredi. M.Minc fait mine de ne pas s'en inquiéter. "Dieu merci, les Allemands ont un système démocratique qui ne tient pas trop compte de l'opinion publique." En réalité, le système de décision européen octroie un pouvoir jugé exorbitant à une minorité: le Parlement slovaque a failli faire capoter tout le plan de sauvetage grec tandis que les Irlandais, sauvés par leurs partenaires, continuent d'avoir un taux d'impôt sur les sociétés jugé déloyal.
CONTRAINTES BUDGÉTAIRES
La parade consisterait à décider non plus à l'unanimité mais à la majorité. En contrepartie, il faudrait l'aval d'une instance européenne démocratique, pour l'instant introuvable. La Commission s'est tellement appauvrie qu'elle ne peut pas prétendre incarner l'intérêt européen. Les peuples ne reconnaissent pas la légitimité du Parlement européen. Le recours à la Cour de justice européenne, pour valider les budgets nationaux, est jugé impraticable.
Hubert Védrine croit déceler une "tentation post-démocratique". L'idée de soumettre les décisions à un mini-Parlement de la zone euro est envisagée. A court terme, Paris estime qu'il vaut mieux "ruser" en prenant les décisions dans des sommets de la zone euro. Et au lieu de nommer un gendarme européen, l'Elysée suggère d'intégrer dans chaque Constitution nationale des contraintes budgétaires strictes.
A supposer que le cas de la Grèce, mise sous tutelle, reste une exception, les Européens ont deux modèles. Un exemple à ne pas suivre, celui du président du conseil italien Silvio Berlusconi, qui ne passe pas des paroles aux actes, même après s'être fait convoquer par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Face à lui, le premier ministre espagnol, Jose Luis Rodriguez Zapatero, fait figure de pénitent modèle. Il devance l'appel en s'infligeant cure d'austérité et contrainte constitutionnelle. Et accepte de perdre le pouvoir.

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