TOUT EST DIT

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jeudi 29 septembre 2011

Gulliver empêtré

L'envahissement de la crise s'éternise. Nous avons, en 2008, frôlé le gouffre, nous continuons de le longer. Revient en mémoire que la crise dite de 1929 n'imposa ses malheurs qu'au fil des années 30. Pour en sortir, l'expertise tant économique que politique n'a rien de rassurant : sa cacophonie transpire le désarroi.

Les économistes, unis pour n'avoir rien vu venir, se divisent pour dire où aller. Un festival ! Faut-il ou non "sortir" une Grèce insolvable ? Veut-on un euro requinqué ou d'ores et déjà condamné ? Et, chez nous, faut-il le tour de vis pour réduire la dette ou la relance pour réveiller la croissance ? Un peu ou pas d'inflation ? Avec ou sans impôts nouveaux ? Avec ou sans charger la TVA ? Et j'en passe... Comme je suis à la fois moins savant mais moins surpris par ce qui nous accable, je m'en tiens aux convictions inchangées où je jouais les Cassandre,"à l'insu de mon plein gré"...

Mon antique conviction, c'est que le mal originel français tient à la dette, et à son addiction, depuis trente ans, par tous nos pouvoirs de gauche ou de droite. A sa sacralisation par les "avantages acquis" de Mitterrand, bâtardise du Programme commun de la gauche. Et, à droite, à sa perpétuation dans le slogan électoraliste de la "fracture sociale" cher à Chirac.

On vous dira que ce fut un mal de pays riches et, à des degrés divers, général en Occident. Qu'il a installé en Europe, et à l'abri abusif des recettes du docteur Keynes, un emballement général, tant privé que public, des déficits. Et, dans des Etats-providence d'une providence ruineuse, l'euphorie d'un accroissement insensé des dépenses publiques. Oui, et alors ? Un mal partagé reste un mal...

De surcroît, on vous dit moins que l'obésité de l'Etat français est, elle, monstrueuse. Qu'en Europe des pays ont résisté au mal et d'autres non. Que l'Allemagne, avec la réforme magistrale du socialiste Schröder, a remis sa machinerie en marche et que, si son endettement s'est emballé dans la crise, il était et redevient enviable. La Suède a réduit en dix ans, drastiquement, ses dépenses publiques sans pénaliser sa croissance. Laquelle repart en Allemagne, où le chômage baisse quand le nôtre s'enkyste.

Même si l'on simplifie à l'excès, on voit qu'en Europe le Nord se soignait quand le Sud s'enfonçait. La Grèce, dans ses vices, n'est qu'un extrême cas clinique. Mais au tréfonds de maints pays du Sud, France incluse, il y avait une Grèce qui sommeille.

Pour la France des 35 heures, de RTT qui octroient à des millions de Français deux ou trois semaines annuelles de vacances de plus que chez nos pairs, où l'âge légal de la retraite fut à grand-peine porté à seulement 62 ans, bref dans un pays où l'on travaille moins qu'ailleurs et où la pression fiscale sur le travail est accablante, il n'y aura pas de répit à la méfiance des marchés prêteurs sans une sorte de révolution culturelle et sociale. C'est peu dire qu'elle ne sera guère prêchée dans le nouveau Sénat...

Fillon, bouche d'or, avait trouvé un "pays en faillite" et il suggère pour les retraites un nouveau tour de vis. Il a raison ! Mais accrochons nos ceintures ! Quand l'Etat prodigue déversait sa manne sur une France sociale, je lui voyais déjà les dents rentrantes du brochet qui engoule mais ne dégorge pas. Comment désormais l'y contraindre sans lui arracher la tête ?

Voici ma seconde conviction : la vulnérabilité identifiée de la Terre, la pression démographique, la solidarisation planétaire du commerce et des médias, du porte-conteneurs et d'Internet, ont changé la face du monde, mais nous continuons de sous-estimer la mondialisation. Et avec elle l'émergence inexorable des peuples pauvres délivrés de la domination tricentenaire de l'Occident.

Cette lame de fond jette l'Europe au pied du mur. Soit elle affirme sa solidarité pour sauver ses cigales du Sud et parvient à mutualiser la dette grecque. Soit elle enterre un demi-siècle d'idéal communautaire. Les optimistes croient qu'au bord du gouffre l'Europe abandonnera son statu quo intenable. Les pessimistes, voyant que la construction élitaire de l'Europe n'a jamais enflammé les peuples, croient que les fourmis, à commencer par l'Allemagne, ne voudront plus payer pour les cigales. Et que sonnent "le déclin et la chute" du Vieux Continent (1).

Voici bel et bien la grande affaire du siècle : le meilleur ou le pire à notre porte. L'Europe est un géant économique du monde. Mais elle gît encore sur le flanc, comme Gulliver à Lilliput, empêtrée par des nains politiques. Dans cette fable, Swift moquait leurs divisions débiles. Qu'est-ce donc qui alors l'inspirait ? Je vous le donne en mille : un krach. Celui de 1720...
Claude Imbert

1.Time Magazine : "The Decline and Fall of Europe", 22 août 2011.

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