On avait imaginé une commémoration planétaire, et c’est une cérémonie à taille humaine que le monde a suivie. Une émotion simple et dépouillée, forte, à la hauteur de ces années d’attente que chacune des familles des victimes du 11 septembre 2001 a vécues. Cette dimension à la fois grave et lumineuse - celle de la vie qui continue - va sans doute permettre à New York d’échapper enfin à l’ombre gigantesque et fantomatique que les Twin Towers continuent de projeter sur la ville dix ans après avoir disparu de sa skyline.
Il fallait ces moments d’intimité pour chasser l’horreur. Ces mains qui caressent doucement l’identité, gravée pour l’éternité, d’un mari disparu, comme si elles le retrouvaient; ces prénoms égrenés un à un, déchirant l’anonymat de l’événement qui les a engloutis; ces visages souriants que des parents, debout, brandissent comme pour repousser l’atrocité de la mort d’un fils; l’hommage, fier et tremblant de ces garçons et de ces filles à un père ou une mère qu’ils n’ont connus que par le récit qu’on leur en a fait... et qui peuvent enfin se l’approprier; ces moments de communion et ces étreintes où l’on s’abandonne, toutes défenses à terre, parce qu’enfin tout est vraiment fini.
«Ground Zero» n’existe plus, et il faudra le rayer de notre vocabulaire. Il n’évoquait que le néant d’une destruction. Depuis hier, le no man’s land où erra trop longtemps un souvenir insaisissable est devenu un lieu où l’avenir peut à nouveau regarder vers le ciel. Un site pensé à travers un dédale de volontés contrariées, mais finalement inspiré. Bien inspiré. Ici, au rythme de l’eau et du recommencement inlassable des cascades qui l’emportent et la ramènent, la mémoire, jamais prisonnière du béton ou du marbre, sera toujours en mouvement. Définitivement libre.
Le 11 septembre de 2011 a vaincu celui de 2001. Si les New-Yorkais veulent maintenant effacer de leurs cauchemars les images des Boeing-suicide, des boules de feu et des gratte-ciel qui s’abattent, ils savent qu’ils n’oublieront jamais dans les trépidations du quotidien l’épisode qui a marqué, pour toujours, leur existence. Les voilà prêts à assumer, collectivement, ces stigmates d’un destin commun.
Discrets et volontairement brefs, Barack Obama et George Bush l’ont bien compris. L’un invoqua Dieu, l’autre Lincoln, les deux références indiscutables partagées par les Etats-Unis tout entiers. Ce jour n’était pas politique. Ni républicain, ni démocrate, ni guerrier, ni pacifiste, il n’appartenait ni à un président, ni à son successeur. Ils ont été seulement les spectateurs d’une Amérique qui s’est rassemblée au sommet au moment où, pourtant, les incertitudes économiques, la dette intérieure et les bouleversements des grands équilibres du monde fragilisent sa suprématie déclinante. Hier, New York, brave, a enterré dix ans de tragédie pour affronter l’angoisse de la décennie qui vient.
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