Nombre d’Alsaciens sont, hélas, bien placés pour comprendre la détresse des familles des victimes du Rio-Paris. La catastrophe aérienne du Mont-Saint-Odile et, dans une moindre mesure, celle d’Habsheim, leur ont infligé la douloureuse lenteur des enquêtes sur de telles affaires. Cette impression que, rapport après rapport, la vérité se dérobe, masquée par les nuages, mouvants, des investigations, évanescente comme le mystère, affreux, d’un avion qui s’écrase.
Pour faire le deuil d’un être cher, il faut pouvoir sonder le néant des conditions de sa disparition. L’acceptation passe par l’explication du drame et aussi par la détermination des responsabilités qui ont conduit à l’accident. Il ne s’agit pas d’un besoin de trouver coûte que coûte le ou les «coupables» sur lesquels faire porter la faute, mais de combler ce vide qui déshumanise l’absence. La visualisation du scénario apaise, comme si les victimes n’étaient tout à coup plus seules dans leur tragédie.
Si on en croit la conclusion du Bureau d’enquêtes et d’analyse, il faudra encore attendre de longs mois avant de pouvoir reconstituer définitivement les trois minutes trente finales du vol AF447. En affirmant que le BEA ne fait qu’«établir les faits», avant que la justice ne fasse ensuite son travail, Nathalie Kosciusko-Morizet ne pouvait pas dire autre chose. Mais c’est évidemment d’autant plus difficile à entendre que les éléments présentés n’établissent pas de hiérarchie claire entre les causes liées aux défaillances de l’avion et les éventuelles erreurs d’appréciation des pilotes.
Ce flou qui, à l’oreille, met tout sur le même plan, choque évidemment les personnels d’Air France, parce qu’il donne le sentiment de protéger les intérêts économiques, phénoménaux, du constructeur. Il n’y a alors qu’un souffle de doute jusqu’à la théorie du complot, qui a enveloppé toute la procédure de l’affaire du Mont-Saint-Odile. Mais il pourrait aussi porter l’injustice tant le BEA, composé d’experts, et pas tous Français, ni même tous Européens, fait prévaloir une analyse froide des circonstances du crash. Les recommandations de ces professionnels ne sont pas de simples suggestions et tentent, en priorité, de combler une zone d’inconnu dans la formation des pilotes au décrochage en haute altitude. La sécurité aérienne ne saurait s’en affranchir...
La raison invite à se résigner à ce diagnostic de prudence. Mais en se soumettant au temps, elle impose aux proches des 228 morts de l’Atlantique-sud une cruauté supplémentaire.
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