Il faut être né sous la benne et avoir eu pour tour Eiffel un chevalement et ses poulies, pour comprendre l'angoisse qui saisit les pays miniers quand la nouvelle de l'incident « au fond » courre entre les petites maisons comme vent mauvais. Le « fond », ce monde peuplé de lampes frontales, où des hommes nus dans la chaleur moite tapent avec leur marteau pneumatique dans les galeries boisées pour extraire le minerai. Ce monde où l'on chiquait le tabac par peur du grisou. Cet univers irréel d'yeux noirs, de muscles brillants de sueur où le courage forge les fraternités et les solidarités, dures comme la silice qui dévore les poumons. Monde de morts en sursis, trop souvent enterrés sous les amas de la richesse des autres.
La leçon d'espoir des trente-trois mineurs chiliens depuis les profondeurs de la mine de San José et la fierté heureuse de ce peuple qui n'a jamais eu que le cuivre pour horizon, nous fait l'effet d'une éclaircie de fraîcheur dans le ciel sombre de nos archaïques replis identitaires. Tous vivants ! Les rescapés des entrailles du désert andin se sont donné un chef pour très vite s'organiser et profiter des savoir-faire de tous avant d'affronter l'épreuve de la longue et terrifiante attente qui suivra l'euphorie. L'autorité quand elle est partagée et juste n'a pas besoin de roulements de tambours pour être efficace.
Au pays de la poésie, sur la terre des Nobel, Pablo Neruda, et Gabriela Mistral, du martyr Victor Jara, de la liberté piétinée par la dictature obscurantiste de Pinochet, on sait la souffrance et l'horreur. À Copiapo, à Atacama, à Chuquicamata, on a connu la guerre du cuivre et du lithium entre le Chili et la Bolivie? De là le bonheur des Chiliens en apprenant le miracle de la Cordillère.
Vous imaginez, un peuple tout entier qui danse dans les rues et qui chante son hymne national pour soutenir les mineurs emmurés ? Vous imaginez un pays à qui la voix de Luis, le leader du groupe, fait entendre la petite musique de l'espoir, un pays qui fond en larmes en écoutant la lettre d'amour du vétéran Mario à sa femme qu'il craignait de ne pas revoir. Non ? Vous avez du mal ? C'est peut-être que les plus emmurés ne sont pas ceux que l'on croît.
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