TOUT EST DIT

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dimanche 14 novembre 2010

Les agences de notation en procès

Chargées d’évaluer la solidité de ceux qui empruntent des capitaux, les agences de notation subissent de nombreux reproches, pas toujours bien fondés

Avril 2010. En deux jours, l’agence de notation financière Standard & Poor’s dégrade les notes de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne.

Déjà chahutée sur les marchés financiers depuis cinq mois, Athènes s’enfonce un peu plus dans la crise de confiance, la dette grecque se trouvant reléguée au rang des titres obligataires dits « pourris », car risqués.

Envolée des taux d’intérêt, plongeon de l’euro et des indices boursiers… les retombées des annonces de Standard & Poor’s ont une nouvelle fois conduit à accuser les agences de notation d’attiser, voire de provoquer, l’embrasement des marchés.

Le fameux « triple A », objet de fierté

Moody’s, Fitch, Standard & Poor’s. Les trois sociétés qui se partagent 95 % du marché mondial de la notation font régulièrement parler d’elles dans les médias malgré un jargon obscur : « triple A », « perspectives négatives », « mise sous surveillance avant dégradation »…

« Notre rôle, décrypte Carol Sirou, présidente de S & P France, consiste à apprécier la solvabilité d’un émetteur de dette afin que le prêteur sache quelle est sa probabilité d’être remboursé. » « Les investisseurs, complète l’économiste Norbert Gaillard (1), ont besoin de ces indications extérieures au marché. »

État, entreprise, collectivité locale : tout emprunteur peut solliciter une agence pour être noté. Les mieux classés, c’est-à-dire ceux jugés les plus fiables, peuvent prétendre à des taux moins élevés et aujourd’hui encore, l’obtention du fameux « triple A » est objet de fierté. Inventées au début du XXe siècle, les agences se sont mises à jouer un rôle central sur les marchés. Jusqu’à faire la pluie et le beau temps, dénoncent leurs détracteurs.

Plusieurs dysfonctionnements

« La crise, se défend Carol Sirou, a révélé que l’usage de la notation s’est répandu au détriment de sa compréhension. Certains investisseurs ont agi comme s’il s’agissait d’une garantie ou d’un “label”, au lieu de l’utiliser pour ce qu’elle est : un outil technique, mesurant un type de risque bien spécifique, à compléter par d’autres outils. » Une opinion partagée par Nicolas Véron, chercheur au centre Bruegel, selon lequel « on en demande trop aux agences », placées au rang d’oracle.

La crise de 2007 a, de fait, révélé plusieurs dysfonctionnements. Premier reproche, le conflit d’intérêts. Le coût de l’évaluation réalisée par les agences est payé par les emprunteurs – c’est-à-dire par ceux-là-mêmes qu’elles doivent noter de manière impartiale – et non par ceux qui utilisent cette notation.

« Il y a des risques qu’il nous faut gérer de manière optimale », reconnaît Carol Sirou, en énumérant les moyens pour veiller à l’indépendance de cette activité : rotation régulière des analystes, vote collégial pour chaque note ou encore séparation totale entre les fonctions commerciale et analytique.

Ces « garde-fous » ne garantissent pas une totale étanchéité. Rares sont les entreprises ou les États qui voient d’un bon œil la perspective d’une mauvaise évaluation. « Les pressions sur les analystes qui s’apprêtent à dégrader la note d’un pays sont telles qu’il leur faut presque une escorte armée pour se protéger ! », raconte, un rien emphatique, un ancien analyste.

« Nous avons des débats contradictoires avec les États, mais il n’y a jamais de menaces », rétorque Carol Sirou. Les instructions peuvent venir de la hiérarchie elle-même, d’après la commission d’enquête du Sénat américain.

Des produits labellisés « AAA », aujourd'hui « pourries »

Son rapport publié au printemps reproduit des courriers électroniques dans lesquels des cadres demandent à leurs analystes de surévaluer les notes pour ne pas perdre leurs clients. Accusation là encore balayée par les agences, au motif qu’elles risqueraient de perdre la confiance des investisseurs en cas de surévaluations répétées.

C’est pourtant ce qui semble s’être passé avant 2007 avec les subprimes. D’autres courriers publiés par le Sénat américain révèlent des pressions de la part des banques pour voir leurs produits structurés surnotés.

Quelques jours avant l’effondrement des marchés, les agences assuraient ainsi aux investisseurs que ces titres étaient absolument sans risque ! Aujourd’hui, la très grande majorité de ces produits labellisés « AAA » avant la crise figure parmi les obligations dites « pourries ».

Si ces agences ont un tel poids, cela tient aussi aux pouvoirs publics, souligne Norbert Gaillard. « Dès les années 1930, les États-Unis ont souhaité intégrer les notations dans les réglementations financières. » Les parts de fonds propres exigés d’une banque ou d’un autre investisseur varient selon la note du placement envisagé : plus celle-ci est élevée, moins il faut en mobiliser.

Catherine Gerst, ancienne de chez Moody’s, voit dans ces exigences réglementaires « une manière pour les pouvoirs publics de sous-traiter une partie de leurs fonctions à des sociétés privées ». Du coup, la loi Dodd-Frank sur la régulation financière, votée en juillet aux États-Unis, vient de mettre fin à la référence aux notations dans les normes réglementaires.

De nouvelles règles pour mieux encadrer leur activité

Les agences se sont aussi vu reprocher d’avoir accéléré la crise grecque du printemps. « Nous avions déjà dégradé la Grèce deux fois en 2009, sans que cela ne déclenche une émotion comparable au dernier abaissement en avril, répond la patronne de S & P France. De manière générale, on nous trouve trop pessimistes en haut de cycle et trop optimistes en bas de cycle. »

De nouvelles règles tentent de mieux encadrer leur activité. Désormais, toute agence désireuse d’exercer en Europe doit déposer une demande d’agrément. Mais pour Catherine Gerst, les renforcements réglementaires successifs, depuis 2003, n’ont rien empêché. « Le vrai conflit d’intérêts, c’est d’autoriser ces sociétés à être cotées en Bourse, comme c’est le cas pour Moody’s depuis le début des années 2000. Du coup, l’important devient le cours de l’action, quitte à pressurer les analystes », explique-t-elle, en rappelant que les agences affichent déjà une marge brute de 50 à 70 %.

Créer une agence publique, européenne par exemple, ne ferait que déplacer les problèmes de conflits d’intérêts sans les régler sur le fond, estiment certains experts. Accroître la concurrence ? Catherine Gerst se montre réticente. « Plus il y aura de compétiteurs en ce domaine, plus ce sera insécurisant, car vous trouverez beaucoup d’acteurs complaisants », décernant généreusement du « triple A » afin de conquérir de nouveaux clients.

Les opérateurs historiques, eux, seront tentés de suivre le mouvement pour ne pas se faire doubler. Les agences de notation offriraient-elles à la fois le meilleur et le pire des systèmes ? Le fait est qu’il n’existe pas, pour le moment, de sources alternatives aux agences pour mesurer la qualité des dettes. « Faites le test de suspendre les notations, suggère un spécialiste, et vous verrez la panique sur les marchés. »

(1) Les Agences de notation, Éd. La Découverte, 9,50 €.

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