La scène se passe le 7 janvier dernier à l’Hôtel Matignon. Dans la nuit, François Fillon a appris la mort brutale – victime d’une crise cardiaque – du colosse qui était son mentor, qui l’avait pris sous son aile et qu’il admirait tant : l’ombrageux, talentueux et parfois imprévisible Philippe Séguin. Devant un drapeau français et un drapeau européen, surmontant son chagrin – qui n’était pas de la comédie – Fillon, qui aura jusqu’au bout partagé tous les combats de Séguin (sauf son anti-balladurisme), a choisi sans attendre de lui rendre publiquement hommage : « Je perds un ami, et la France perd l’un de ses plus grands serviteurs. » Et de saluer, bouleversé, le « patriotisme » d’un homme d’Etat qui avait, dit-il, « la passion dévorante de la France ». Puis le Premier ministre, vite, s’éloigne. Sa voix est nouée et son regard embué. Fillon, qui parfois avance masqué, apparemment impassible, a, dans l’épreuve, fendu l’armure.
Gaulliste de gauche
Oui, ce matin-là de janvier, Fillon a révélé une part de sa vérité. Derrière les apparences d’un homme sage, les yeux volontiers cernés, l’allure parfois couleur muraille, toujours maître de lui et si prompt à avaler, l’air de rien, tant de « couleuvres », se cache non pas le clone de Séguin, mais un politique qui partage avec l’ancien président de l’Assemblée nationale, l’ex-ministre des Affaires sociales, le combattant du « non » à Maastrich, beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît.Énumérons : l’admiration pour de Gaulle, le goût de la France, de La Marseillaise et de l’Etat, une allergie à l’ultra-libéralisme et au communautarisme, une vision « sociale » du gaullisme (qui, du temps du Général, aurait pu en faire un « gaulliste de gauche), le peu d’appétence pour le « bling-bling », la défense d’une stricte séparation entre vie privée et vie publique, la jubilation à piétiner quelques tabous (« Oui, la France va vivre une période de rigueur, et alors ? », lance-t-il en substance au Japon, alors que le mot « rigueur » a été interdit par l’Elysée).
Une grande férocité
Et puis il y a aussi chez Fillon, comme c’était le cas chez le très féroce Séguin, une vraie cruauté, proche de la violence, quand il se lâche (en privé). A propos de Villepin, n’a-t-il pas glissé l’autre jour, avec un grand éclat de rire : « Il me faut penser à mon setter irlandais. Il est beau, il est grand, mais il est complètement fou. Il fait des trous partout !… »Ce qui réunit aussi Séguin, le mentor, et Fillon, le disciple qui monte l’escalier du pouvoir marche après marche, c’est l’ardent désir, tout simplement, d’être pris au sérieux. Malheur à Chirac qui, un jour de 2005, non content de licencier Fillon, son ministre de l’Education nationale, n’a pas pour lui ce jour-là le moindre mot aimable. Réplique de Fillon, ulcéré : « De Chirac, on ne se souviendra de rien, sauf de mes réformes. » Un peu plus tard, invité à s’expliquer sur sa tardive et surprenante conversion au sarkozysme, il enchaînera, sans états d’âme : « Ils ont fait de moi le directeur de campagne de Sarkozy. » Malheur aussi à Sarkozy quand, l’été 2007, le nouveau président de la République le qualifie de « collaborateur ». Comme par hasard, un mois plus tard, en Corse, s’exprimant tel un président, il proclame, martial : « Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier. »
De menues incartades
Aîné de quatre enfants et père de cinq – il est l’époux d’une Galloise prénommée Pénélope – le Sarthois François Fillon, qui sera profondément meurtri par la mort en 1981 dans un accident de la route d’Arnaud, son plus jeune frère, est le fils d’une historienne basque et d’un notaire vendéen. La petite histoire insiste – tant Fillon ressemble à un éternel enfant sage – qu’il a fait au collège de petites incartades. Il a même été, figurez-vous, exclu quelques jours pour avoir réclamé la démission d’un professeur d’anglais qui, à ses yeux, ne faisait pas l’affaire. Il aime le scoutisme, la montagne, et puis aussi, car le circuit du Mans n’est pas loin, la Formule 1.Comme Séguin, Fillon – après un DEA de droit public – sera attiré par le journalisme – il fera même deux stages à l’AFP– mais, très vite, c’est la politique qui le happe : tout jeune, il devient l’assistant parlementaire puis le conseiller ministériel de Joël Le Theule, l’élu RPR anti-chiraquien de la Sarthe, dont Giscard fera son ministre de la Défense. Où ira-t-il ? Personne ne parie sur lui trois sous. Mais Le Theule, foudroyé, meurt d’une crise cardiaque le 14 décembre 1980 dans les bras de Fillon, lequel va devoir assumer brutalement sa succession.
Et il s’en sortira, le faux modeste ! Avec détermination et aussi en souplesse, souvent en surprenant son monde : n’est-il pas, successivement ou alternativement, néo-giscardien, séguiniste, chiraquien, balladurien et enfin sarkozyste. En rêvant d’être, un jour, tout simplement filloniste. Mais, là, l’intéressé se récrie : « Je suis gaulliste. Point. »
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