dimanche 14 novembre 2010
Complaisance médiatique
L’autre jour, à Lille, Marine Le Pen parlait de l’islam et en disait n’importe quoi. Elle menait la guerre sainte contre une demande de subvention d’une boucherie musulmane du Pas-de-Calais. Les emplois créés, tonnait-elle, seraient des emplois de discrimination, "puisque dans une boucherie halal ne peuvent travailler que des musulmans sous peine de rendre la viande impure à la consommation!" Problème, cela est faux. C’est l’abattage de l’animal qui rend la viande halal. N’importe qui peut la manipuler, la vendre ou la cuisiner. Marine Le Pen l’ignorait, toute à sa hantise, ou le savait et n’en avait cure, toute à sa démagogie.
Pourquoi soulever ce sujet carné? Parce qu’il est doublement politique. On est dans l’éternel discours de peur et de haine inversée du FN. Les musulmans nous détesteraient tant – nous, les impurs infidèles, ne pouvons même pas toucher leur viande –, nous devons donc nous défendre? Et c’est Marine Le Pen qui le dit. La modérée Marine, qui dédiaboliserait le Front, invitée de la presse magazine, moderne jeune femme carburant aux yaourts light… Il progresse, ce cliché, comme si Marine n’était pas Le Pen! En fait, l’héritière est une dure, portant un discours identitaire brutal et insidieux, subvertissant l’égalité et la laïcité. C’est son droit, et aussi le droit au mensonge. Mais les médias devraient l’admettre, au lieu de relayer une narration frelatée.
C’est l’idiotie médiatique, la complaisance si l’on préfère, le piège permanent. Bien au-delà du FN, la question des médias, si souvent posée en lassitude façon Rocard, en colère façon Bayrou, en violence comme Mélenchon, est politique. Elle dépasse les possibles agressions du pouvoir. Elle est en nous, dans nos facilités. On y pensait en regardant le G20, et notre tentation de ramener la régulation du monde à nos petites affaires, comme si la guerre des monnaies, le duel sino-américain, n’étaient que l’avant-goût de 2012, un décor pour le couple Sarkozy-DSK. On y pensait dans cette séquence du remaniement, où les médias ont été complices et victimes, malaxant des rumeurs jusqu’à l’écœurement. On y pensait en voyant les dilemmes socialistes ramenés à l’affrontement convenu des radicaux et des réformistes, comme si la tension entre la crise sociale et la faillite économique n’était qu’une distraction politicienne. On y pense à chaque moment d’écriture, à chaque débat, quand la rapidité nourrit la confusion.
On y pensait en regardant Eva Joly se faire tailler en pièces sur France 2 par une Nadine Morano ne prenant aucun risque, puisqu’elle n’avait d’autre mission que de combattre. "Populisme", scandait Morano, et Eva Joly s’embourbait dans son programme révolutionnaire, conditionnant l’écologie à l’antilibéralisme, impossible à résumer dans le brouhaha. Eva Joly n’est pas incontestable, elle mérite qu’on la dispute, et qu’on l’interroge, comme Aubry, comme Strauss-Kahn, comme Sarkozy ou quiconque veut saisir les Français. Mais souvent les médias interdisent la politique
en prétendant la servir.
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