TOUT EST DIT

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dimanche 31 octobre 2010

Le regard de Philippe Sollers

Le regard de Philippe Sollers

Manifs

Tout le monde le sent: la vague populaire a moins à voir avec une réforme des retraites jugée injuste qu’avec un appel au secours. Le temps est coincé, le passé détruit, l’avenir sans forme. Je vois des visages de lycéens criant qu’ils voudraient vivre plutôt que survivre, ce qui n’est pas précisément un appel à la révolution. Il n’y a que la presse étrangère qui évoque le spectre de Mai 68, en s’étonnant, encore une fois, de ces étranges Français qui font grève, perturbent les transports, bloquent la distribution d’essence, tout cela pendant longtemps avec, malgré les casseurs, le soutien de l’opinion. Qu’est-ce qui leur prend ? Il va falloir les calmer, les anesthésier, leur demander d’attendre l’élection présidentielle, leur faire accentuer la lourde routine de la survie. Il y a eu un temps où la France s’ennuyait et, donc, voulait s’amuser. Cette fois, elle est déprimée, et en colère, sans issue contre la misère.

Dieu

Jamais un candidat à la présidence des Etats-Unis ne pourrait être élu sans croire en Dieu. Obama croit-il en Dieu? Ce n’est pas sûr. La vague populiste réactionnaire qui monte contre lui (celle des "Tea Parties") s’incarne dans de drôles de prophétesses. Billy Tucker, par exemple, une blonde de choc, qui, à quatre heures du matin, a entendu Dieu lui parler. Elle lui répond qu’elle n’est qu’une "maman". Mais Dieu insiste, et elle se met à faire de la politique. Même histoire avec Katy Abram, qui, elle aussi, a des insomnies et entend Dieu lui chuchoter des choses. Les nombreux participants de cette comédie très sérieuse se mettent à scander "Dieu est de retour, Dieu est de retour!". Une autre illuminée locale, une des plus dangereuses, déclare devant les caméras: "Obama a abaissé les chrétiens et élevé l’islam. Il veut la mort de l’Amérique."

Une seule certitude : ce président est noir, et Dieu, par définition, est blanc. Le grand romancier américain Philip Roth nous donne une explication: "Les gens n’ont plus cette “antenne” qui était consacrée à la littérature, elle a été remplacée par une antenne électronique. Ils sont face à des écrans, à des pages qu’ils regardent une par une. Ils ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite." Conclusion: quand plus personne ne lit, Dieu a tendance à parler de plus en plus fort.

Sarkozy a bien capté ce message subliminal, d’où sa visite précipitée au pape, avec un programme dûment orchestré : signes de croix ostensibles, prière murmurée, écoute de conseils donnés par un cardinal français ; pas question, comme la dernière fois, de consulter des SMS devant Sa Sainteté. Patatras ! Benoît XVI lui offre gentiment, pour finir, un chapelet bénit, et que fait le Président? Il lui en demande un autre pour son petit-fils. Qu’à cela ne tienne, le Vatican en a des tonnes en réserve. Voilà, en tout cas, une anecdote qui me rassure: le Président, comme le premier Rom venu, croit en Dieu, et récite maintenant son chapelet pendant le Conseil des ministres. Dieu veille: il sera réélu.

Chine

Une qui ne s’est pas ennuyée dans la vie, tout en flottant sur ses tapis de milliards, c’est la très romanesque Liliane Bettencourt. Match lui demande quel est le chef d’Etat ou de gouvernement qui l’a le plus marquée. Elle répond aussitôt: "Mao! Il m’aimait bien. Peut-être trop. Ça n’allait jamais bien loin mais c’était une merveilleuse blague. C’est énorme pour une femme! Je l’ai vu souvent, là-bas, en Chine." Le journaliste, épaté, lui pose alors une question idiote: "Racontez cela! Est-il venu vous voir?" Et Liliane: "Venir ici? A Neuilly? Non! Cela aurait été fou ! Raconter? Je ne crois pas qu’il faille raconter. C’est du non-dit. De la mémoire. Et puis, vous savez, tous ces voyages… Je ne sais pas si j’étais vraiment satisfaite. Est-ce satisfaisant? Peut-être un moment, mais si rapide. Peut-être un instant…" A-t-elle quand même eu la possibilité de parler de L’Oréal avec Mao? Non, pas de mélange des genres. Mao l’a aimée pour elle-même, pas question qu’il devienne Maoréal!

Je peux révéler maintenant que, dans ma folle jeunesse "maoïste", j’étais parfois chargé, à Pékin, d’introduire de riches et belles étrangères auprès de Mao, la nuit, dans le pavillon des Chrysanthèmes de la Cité interdite. Mao voulait varier ses plaisirs, et ne se contentait pas des dix ou douze jeunes Chinoises, triées sur le volet, qui venaient remplir sa piscine, le samedi soir, avant de passer sur son vaste lit pour des séances taoïstes d’immortalité (ce que le dalaï-lama n’a jamais pu supporter).

Voyez la scène: Liliane, un foulard sur la tête, introduite auprès du monstre amoureux, pour un moment d’ivresse sans paroles, puisque, là, il n’y avait plus d’interprète et que Mao ne parlait pas un mot de français. Mao venant plus tard à Neuilly? Des photos dans Match? Allons donc! Nuits de Chine, nuits câlines…

Ces Chinois exagèrent. "Ils n’en font qu’à leur tête", me dit l’excellent observateur Marcel Gauchet. La preuve: à la surprise générale, la Banque centrale chinoise relève, contre l’inflation, ses taux directeurs. Comme le dit un journaliste du Monde: "Cette annonce illustre une confiance insolente de la Chine en son économie." Le prix Nobel de la paix à un Chinois contestataire? Très bien. Mais je crains que ces Chinois ne demeurent "insolents". Ah, les ombres de Mao et de Liliane dans les nuits de Pékin ! Je note que Liliane déclare par ailleurs ne rien avoir éprouvé pour François Mitterrand, ce qui est une indication érotique.

Homère

Je reçois la merveilleuse traduction de L’Iliade par Philippe Brunet (Le Seuil) et me voici saisi par les dieux et les déesses grecs. Oh oui, du rythme, des surgissements, de la beauté enfin! Vers quatre heures du matin, mais ne le dites à personne, je reçois ainsi la vérité d’Iris, messagère des dieux, notamment de Zeus "aux prunelles splendides". Ecoutez ça: "Alors Iris bondit, messagère pieds-de-tempête, perçant le sombre flot. Un bruit retentit dans les ondes, tout semblable à un plomb, elle plongeait au fond de l’abîme." Quelle joie! Quelle fraîcheur

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