TOUT EST DIT

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lundi 11 octobre 2010

Chine : que va changer le Nobel ?

Avec Liu Xiaobo, pour la première fois, le prix Nobel de la paix a été décerné à un citoyen chinois. Quel impact aura cette distinction à l'intérieur du pays, dans les milieux de la dissidence et au-delà ? Va-t-elle conforter ceux qui, au sein même du PC chinois, oeuvreraient pour une « démocratisation » du régime ?

 
Le 21 août dernier, le Premier ministre chinois prononce un discours à Shenzhen, la ville où ont été menées, dès les années 1980, les premières réformes économiques : « Sans la garantie d'une réforme politique, explique Wen Jiabao, les fruits de la réforme économique risquent d'être perdus et l'objectif de modernisation pourrait ne pas être atteint. » Deux semaines plus tard, le président Hu Jintao se rend à son tour à Shenzhen et annonce dans un autre discours la nécessité de « persister sur la voie du développement politique aux caractéristiques chinoises ». Autant dire, ne rien changer au système actuel.  
Le torchon brûlerait-il entre Wen et Hu ? L'hypothèse semble d'autant plus crédible que Wen a rendu en avril dernier un hommage appuyé à Hu Yaobang, dirigeant réformiste évincé du pouvoir dont le décès, en 1989, lança le mouvement de Tian'anmen. Au sommet du pouvoir, existerait-il une fracture entre « conservateurs » et « progressistes », si tant est que ces mots ont un sens en Chine ?  
Pour le dissident Yu Jie, cette interprétation est une mystification qu'avalent un peu vite les Occidentaux : « Depuis qu'il est en poste, explique-t-il, la fonction [de Wen] est de contrebalancer la sévérité affichée du président Hu Jintao » (1). Selon lui, le rôle du Premier ministre serait de pure façade : il doit donner au régime un visage plus ouvert et humain.  
L'illusion occidentale repose sur l'idée en vogue après l'effondrement du bloc soviétique que l'insertion de la Chine dans la mondialisation provoquerait à terme son évolution démocratique. Pourtant, si l'on met en perspective le régime communiste chinois à travers les décennies, il est possible de dégager des constantes. Parmi celles-ci, la volonté obsessionnelle, commune à Mao Zedong et à ses successeurs, de faire de la Chine une grande puissance. Et la préservation du monopole sur le pouvoir du PC chinois.  
Depuis le début des réformes initiées par Deng Xiaoping, en 1978, le seul moment où le PC a craint sérieusement de voir le pouvoir lui échapper est l'année 1989, lors du mouvement de Tian'anmen. Ce dernier arrive à la fin d'une période qui a vu une divergence idéologique traverser le PC entre réformateurs et partisans d'une ligne dure - une fracture refermée avec l'écrasement sanglant du mouvement et l'éviction du pouvoir des réformateurs. Depuis, la direction du Parti considère l'unité au sommet comme vitale pour la pérennité du régime.  
1989 marque aussi un virage dans la politique des réformes. Dans les années 1980, le décollectivatisation avait permis le décollage économique des régions rurales dans un contexte encore relativement fermé. Après 1989, Pékin accentue l'ouverture (accueil des investissements étrangers, montée en puissance des exportations, adhésion à l'OMC) tout en reprenant son contrôle sur l'économie (recentralisation du système bancaire, réforme des entreprises d'État...).  
Dans les années 1990 puis jusqu'au milieu des années 2000, le PC prend en compte la dépendance économique croissante de la Chine vis-à-vis des pays industrialisés. C'est durant cette période qu'au terme de longues tractations diplomatiques menées par les Occidentaux, des dissidents comme Wei Jingsheng ou Rebiya Kadeer sont libérés de prison. Aujourd'hui, les dirigeants chinois estiment avoir dépassé cette période. Et ils risquent fort de rester imperméables au jugement du comité Nobel, comme en témoigne la vague d'arrestations qui succède à l'annonce de la remise du prix à Liu Xiaobo.  
*« Il ne faut compter sur personne pour lancer des réformes politiques en Chine », entretien avec Yu Jie, Le Monde, 20 août 2010.  

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