Ecrivain, Christian Signol est l’un des piliers avec Claude Michelet de cette fameuse école de Brive qui regroupe des romanciers populaires, attachés à leurs racines rurales du centre de la France. Sa saga best-seller, La Rivière Espérance, a été adaptée à la télévision par Josée Dayan. Son dernier roman, Une si belle école (Albin Michel), évoque un demi-siècle d’une vie d’instituteurs, bouleversés par la modernité.
D’abord par rapport à la société, où ils ne sont plus considérés comme les "notables" qu’ils étaient encore dans les années 1960. Ensuite par rapport aux enfants, beaucoup moins respectueux vis-à-vis d’eux que les anciennes générations dont l’éducation était beaucoup moins permissive. Par rapport à leur hiérarchie, qui les encadre, les convoque à des réunions pédagogiques souvent inutiles, leur impose des méthodes décidées dans des ministères souvent coupés de la réalité, donne enfin le plus souvent raison aux parents d’élèves en cas de conflit.
Le professeur des écoles n’est donc plus aussi autonome et indiscutable que les maîtres d’école d’il y a quarante ans. Il souffre d’un déficit de considération qui le démobilise. Ce n’est pas une question de salaire. Il veut être considéré à l’aune de ses compétences et de son importance: il éduque des enfants à l’esprit malléable et les engage dans la vie au moins autant que les parents. Est-ce trop demander? Sans doute.
La société française s’est adaptée au monde. Le pouvoir n’est plus moral ou issu du savoir. La position sociale découle de la force financière et non de la culture – fût-elle celle de ses balbutiements destinés aux enfants. Gide soutenait que "le monde sera sauvé par quelques-uns". Peut-être. Mais lesquels?
J’ai vécu cette révolution au quotidien, n’ayant pas quitté définitivement le monde ancien pour la grande ville, au contraire de la majorité de mes camarades d’université. Et je vis aujourd’hui à proximité des décombres fumants de cet ancien monde, où les boutiques ferment, les villages meurent, ruinés par l’exode rural, les grandes surfaces et les autoroutes. La vie a glissé vers les grandes cités.
Dès lors, la question n’est pas de savoir s’il faut s’en réjouir ou pas. La seule solution, c’est de s’y adapter. Or, "les vrais hommes de progrès, écrivait Renan, sont ceux qui ont le plus grand respect du passé. Tout ce que nous faisons, tout ce que nous sommes, est le résultat d’un travail séculaire".
Mais comment conserver ce lien ultime sans tourner le dos au monde nouveau? C’est bien difficile. Peut-être faut-il rappeler sa beauté, ses valeurs – ce que je m’efforce de faire dans mes livres. Peut-être faudrait-il créer de nouveaux univers habitables. Hélas! Ce ne sont pas la morale et les idées qui gouvernent le monde mais les lois économiques. Aujourd’hui, l’histoire du monde est d’abord façonnée par les banques, les Bourses et les agences de notation de la santé financière des Etats. Les politiques, les intellectuels, les savants ont perdu le pouvoir.
Faut-il s’en désoler? Je le pense, mais ce n’est pas une raison pour affirmer que la France n’est pas généreuse: elle a créé l’Aide médicale d’Etat, les allocations familiales, toutes sortes de secours pour les plus démunis. Ce qui nous heurte le plus, en fait, c’est que ces nomades, c’est nous. Car nous avons migré, nous aussi, il y a des millions d’années, pour les mêmes raisons qu’eux aujourd’hui.
J’en ai été circonspect, avant de me souvenir qu’aujourd’hui, à travail égal, elles étaient moins bien payées que les hommes. Tous les sociologues nous disent pourtant qu’elles sont plus motivées au travail, souvent plus compétentes, et pour finir plus efficaces. Pourquoi ce déficit de considération et de rémunération de la part des employeurs? A cause, très probablement, des congés de maternité et des absences indispensables à l’éducation ou à la maladie des enfants.
Voltaire prétendait que "les femmes avaient été créées pour apprivoiser les hommes". Devant l’ampleur de la tâche, elles se découragent parfois. Il ne faut pas. Le travail des femmes leur permet de faire face aux divorces si fréquents aujourd’hui, aux abandons, à la tutelle des maris violents, à tout ce qui les enchaînait jadis à des existences dégradantes. Qui n’a pas vu des femmes faire les poubelles des magasins d’alimentation ne peut savoir ce que représente une misérable retraite de réversion, ou pas de retraite du tout, lorsqu’une vie s’est passée dans un foyer brusquement déserté. Et malheureusement, elles n’attendent ni 60 ni 65 ans pour cela.
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