Ils s’attaquent à des citadelles réputées imprenables. Leurs armes ? Un site Internet qui casse les prix ou les codes. Et une bonne dose de culot.
La crise du disque ? Chez My Major Company, c’est plutôt celle du disque lombaire. «Entre les enregistrements en studio, le tournage des clips, les négociations avec les distributeurs et la gestion de notre site Web, on court dans tous les sens !» souffle Sevan Barsikian, qui semble aussi fourbu que s’il portait lui-même les guitares. Avec ses deux associés cet ancien de BMG a eu l’idée il y a deux ans d’utiliser le Web pour financer l’éclosion de nouveaux artistes, comme Grégoire et son tube «Toi + moi» (700.000 albums vendus).
Les internautes qui se connectent à Mymajorcompany.com peuvent miser jusqu’à 1.000 euros par carte de crédit sur l’un ou plusieurs des 10.000 chanteurs répertoriés. Quand l’un d’entre eux atteint la barre des 100. 000 euros, la start-up produit son CD. Et ça marche. En deux ans, 25 artistes ont déjà récolté la fameuse somme. La Camerounaise Irma y est même parvenue en… quarante-huit heures.
Secouer le cocotier. S’attaquer au bastion des maisons de disques, il fallait être un peu fou, non ? «Exactement le genre de réflexion qui nous a motivés !» répond Sevan Barsikian en riant. Il n’est pas le seul à jouer les bravaches. Comme lui, des dizaines de trublions du Net se frottent à des secteurs pas vraiment propices à la vente en ligne, car trop chers (joaillerie, automobile), trop réglementés (médecine, finance) ou déjà dominés par des mastodontes (meubles, petites annonces).
«On peut aussi voir ces marchés comme des business pérennes avec des acteurs sclérosés, la niche idéale en somme», note Pierre Kosciusko-Morizet, patron de Price Minister et business angel à ses heures. En secouant le cocotier, les nouveaux venus grappillent vite des parts de marché. Pas suffisamment pour déloger Universal Music, Cartier ou Renault, mais assez pour les taquiner. Après tout, dans le livre, le voyage ou la Bourse, Amazon, Expedia et Boursorama ont commencé ainsi.
Qui sont ces empêcheurs de tourner en rond ? Des cadres du métier qui ont démissionné pour mieux l’attaquer de l’extérieur, comme Marc Adamowicz, ancien de chez Krys et fondateur de Happyview.fr, un site de vente de lunettes. Ou de complets étrangers, qui débarquent avec un œil neuf. Quel que soit leur profil, les casseurs de codes s’entourent d’experts du secteur et de spécialistes du changement.
Pour créer Prêt d’union, le premier site français de crédit entre particuliers dont le lancement est prévu en octobre, Charles Egly, un ex-BNP, a recruté dans la banque et chez Poweo, l’opérateur d’électricité alternatif, où l’on sait ce que c’est que de ferrailler contre un monopole. Et d’être tenace. «Sur ces marchés matures, la victoire n’est possible que sur la durée», explique Marc Simoncini, l’inventeur de Meetic, qui investit à titre personnel dans ce type de projets iconoclastes.
Pour créer Prêt d’union, le premier site français de crédit entre particuliers dont le lancement est prévu en octobre, Charles Egly, un ex-BNP, a recruté dans la banque et chez Poweo, l’opérateur d’électricité alternatif, où l’on sait ce que c’est que de ferrailler contre un monopole. Et d’être tenace. «Sur ces marchés matures, la victoire n’est possible que sur la durée», explique Marc Simoncini, l’inventeur de Meetic, qui investit à titre personnel dans ce type de projets iconoclastes.
Structures légères. S’ils doivent s’armer de patience, les petits futés du Web jouissent en revanche d’un vrai avantage face aux gros : ils n’ont pas de lourde structure à gérer et peuvent facilement appliquer les bonnes recettes d’Internet. Myfab.com, un site de vente de meubles sur commande, a installé ses équipes à côté de ses usines chinoises. «Plus besoin d’importateurs, de grossistes, de magasins, ni de publicité : au final, nous faisons économiser à nos clients jusqu’à 80% par rapport au prix habituel !» se réjouit Stéphane Setbon, le PDG, passé par Rothschild.
Seule contrainte : il faut attendre deux mois pour être livré. Tout l’inverse de Toluna, qui utilise l’immédiateté d’Internet pour réinventer les études de marché. «En moins de vingt-quatre heures, le directeur marketing d’une multinationale qui souhaite peaufiner le lancement d’un produit peut recueillir l’avis de nos millions d’internautes qualifiés, dans 34 pays», détaille Frédéric-Charles Petit, le fondateur, un ancien avocat d’affaires.
Force de conviction. Souples et réactives, ces start-up culottées doivent aussi pousser leurs partenaires du monde réel à se mettre au diapason. Pas toujours évident. Pionnier dans la vente de diamants en ligne avec Adamence, Alexandre Murat, un HEC de 38 ans passé par le conseil en marketing, a dû batailler ferme auprès des ateliers de joaillerie pour qu’ils lui livrent plus rapidement des solitaires.
En confiant au même artisan le polissage et le grattage des anneaux bruts, par exemple, il a réduit le temps de production à dix jours, contre trente à quarante dans une boutique de la place Vendôme. Benoît Sineau, le fondateur de Happytime, qui agglomère les offres de milliers de spas, ateliers de cuisine ou circuits de pilotage, demande, lui, à ses prestataires d’ajuster à la seconde leurs disponibilités pour permettre aux internau-tes de réserver à la date de leur choix. De quoi faire trembler les ténors du coffret-cadeau, dont les bénéficiaires se voient rarement proposer un créneau qui leur convient.
As du contre-pied. La bonne idée n’est pas toujours révolutionnaire. Prenez Leboncoin.fr, dirigé par Olivier Aizac. Ce site de petites annonces en ligne, qui a réalisé l’an dernier 18 millions d’euros de chiffre d’affaires, a pris de court le géant eBay (8,7 milliards de dollars de revenus) en jouant la proximité. Design sans fioritures, annonces minimalistes et pour certaines sans photo, recherche par régions en cliquant sur une carte de France…
Contre toute attente, «le bon coin» est l’une des requêtes les plus tapées sur Google en France. Et les visiteurs y passent en moyenne quarante minutes par mois, presque autant que sur eBay.fr. Piqué au vif, l’américain a rajouté récemment à son célèbre service d’enchères une section «petites annonces», bien en évidence sur sa page d’accueil. Devinez quoi ? Il y a même une carte de France…
Posture de victime. C’est que les gros sont chatouilleux. Et s’ils tolèrent un temps qu’on leur mordille les mollets, ils peuvent aussi montrer les crocs. Philippe Koenig, cofondateur avec son frère Thierry d’Auto-IES.com, le premier vendeur de voitures neuves sur Internet, en sait quelque chose : pendant des années, les constructeurs lui ont mis des bâtons dans les roues pour protéger leurs concessionnaires. «Ces ripostes prouvent en général que le business model a fait mouche», note Marc Simoncini.
Elles permettent aussi aux petits de crier aux «vieilles mafias» et aux «rentes de situation». «David contre Goliath, c’est une bonne posture pour se faire connaître du grand public», glisse en souriant l’un de nos témoins. Et pour peu que les pouvoirs publics s’en mêlent… «Les réseaux d’opticiens ont fait courir la rumeur que la vente de lunettes en ligne était illégale», raconte Marc Adamowicz, le patron d’Happyview.fr, qui a fait le siège du ministère de la Santé pour que sa locataire, Roselyne Bachelot, publie un démenti officiel. Ce qu’il a obtenu. En même temps qu’un joli coup de pub.
Sevan Barsikian, Michaël Goldman, Anthony Marciano, fondateurs de My Major Company : "Nous signons deux fois plus de jeunes artistes que les majors"
L'industrie du disque n’a plus assez d’argent pour lancer de nouveaux talents ? Il suffit d’en demander aux particuliers. Voilà l’idée des trois fondateurs de My Major Company (dont le fils de Jean-Jacques Goldman, au centre). Sur leur site, les internautes misent sur leur artiste préféré. Et si l’album marche, ils touchent une partie des gains. Cette maison de disques à la sauce 2.0 bouscule les habitudes du métier : les budgets sont publics, les dépenses pour les clips réduites, les contrats plus rémunérateurs pour les artistes. Les internautes sont même consultés pour le choix des titres et le plan de com. Stéphane Courbit, le magnat du jeu en ligne, y a investi 3 millions d’euros l’an dernier. Et le concept vient d’être élargi à l’édition de romans, en partenariat avec la maison XO.
Marc Adamowicz, P-DG de Happyview.fr : "Je veux en finir avec les tarifs opaques des opticiens"
Marc Adamowicz est intarissable sur la «mafia» et les marges «injustifiées» des chaînes d’opticiens. Il parle d’or : c’est un ancien du marketing de Krys. Depuis qu’il vend des lunettes pas chères sur Internet, il assure que ses fournisseurs font l’objet de pressions… Son business model ? Expédier par la poste plusieurs montures avec des verres blancs à ses clients, qui ont une semaine pour choisir celle qu’ils préfèrent. Sans boutique et «avec 20% de marge en moins sur chaque paire». Adamowicz facture l’ensemble monture et verres entre 39 et 169 euros.
Frédéric-Charles Petit, P-DG de Toluna : "Tous les grands instituts de sondage utilisent nos panels en ligne"
Ne lui dites pas qu’il concurrence l’Ifop et Ipsos : ce sont ses clients ! Depuis 2000, l’ex-avocat Frédéric-Charles Petit loue son logiciel de sondage et ses 4 millions de contacts aux grands instituts mais aussi aux entreprises (Shell, M6, SNCF) en mal d’études marketing rapides et pas chères. Avec 77 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’est le leader mondial du panel en ligne.
Olivier Aizac, DG de Leboncoin.fr : "Deux fois plus de pages vues qu’eBay !"
Pour créer «la plus grande braderie sur Internet», cet Essec de 36 ans, ancien professionnel de la petite annonce en ligne (CadresOnline, Bonjour.fr), a développé la version française d’un site norvégien en adoptant un fond jaunâtre («ça fatigue moins les yeux»), un design amateur, une recherche par localités… Bref, en jouant la proximité avec les internautes, quand ses concurrents misent sur l’exhaustivité et l’international. Bien vu : en trois ans, Leboncoin.fr est devenu l’un des sites les plus visités de France, grâce notamment à ses rubriques «immobilier» et «voitures d’occasion». Il totalise 4,5 milliards de pages vues par mois, deux fois plus qu’eBay.fr, pour un chiffre d’affaires de 18 millions d’euros qui a triplé l’an dernier.
Alexandre Murat, P-DG d’Adamence : "Après m’avoir combattu, la place Vendôme me copie !"
Dix carats, 100 000 euros : le plus gros diamant qu’Alexandre Murat a vendu sur son site à ce jour. Depuis 2005, cet HEC de 38 ans, ex-consultant en marketing, propose des pierres entre 20 et 40% moins cher que ses concurrents en dur (les prix commencent à 290 euros). Il se fournit directement à Anvers, personnalise les bagues, livre en dix jours au lieu d’un mois et offre le retour sous trente jours si le modèle ne plaît pas. Résultat : 2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2009. Ses concurrents de la place Vendôme, où il a son siège – «ça rassure les clients» –, se mettent tous à ouvrir leur site.
samedi 21 août 2010
Les petits futés du web n'ont pas peur des gros
Grégoire Silly
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