Rien d'étonnant si le raid sanglant de la marine israélienne contre la flottille en route vers Gaza a suscité les plus vives réactions en Turquie. Le navire Mavi Marmara battait pavillon turc, la plupart des victimes sont de nationalité turque ainsi que la grande majorité des personnes arrêtées. Leur libération, hier soir, serait due à un ultimatum lancé par Ankara au gouvernement israélien, le président Barack Obama ayant joué les bons offices.
Il n'empêche. Les relations turco-israéliennes ne seront plus comme avant, basées sur une coopération économique et militaire depuis 1996. Parce que la Turquie, depuis qu'elle est gouvernée par le parti conservateur AKP d'Erdogan, se rapproche à grands pas du monde arabe, voire de l'Iran ? Avec l'abordage de la flottille servant de prétexte à une rupture définitive ? Dans les sphères gouvernementales d'Ankara comme dans le parti d'opposition « kémaliste » CHP, ce raisonnement est vite balayé. Les politiques assurent que, confronté à des frontières difficiles (Irak, Iran, Syrie), en proie au terrorisme du PKK et face aux ébullitions du Caucase, leur pays voudrait surtout entretenir d'excellentes relations de voisinage... en maintenant aussi le « beau fixe » avec la Russie. Quitte à mettre cette diplomatie au service de l'UE le jour où Ankara sera membre de l'Union. Ou s'agit-il d'une alternative à l'UE, d'un moyen de pression sur les 27 qui lui ferment la porte de l'Europe ?
Le langage diplomatique, surtout oriental, est plein de sous-entendus avec de multiples partitions. La Turquie tire sur toutes les cordes mais n'en casse aucune. Ce réalisme repose aussi sur l'économie. Peu à peu, la Turquie se transforme en « petite Chine » avec une croissance sans doute de l'ordre de 6% cette année. Elle aussi est devenue une « manufacture » pour l'UE avec deux millions de véhicules produits par an, de vastes zones industrielles franches qui fabriquent de tout, haute technologie comprise. Le commerce avec les Etats arabes est particulièrement florissant. Cette année, les échanges avec la Syrie devraient dépasser en volume les échanges avec Israël. Enfin, les entreprises turques du BTP se classent parmi les trois premières du monde. Elles ont, par exemple, réalisé les rêves fous de Dubaï... et rénové Moscou.
Ce dynamisme, qui piétine aussi les plates-bandes chinoises en Afrique, s'accompagne forcément d'influences politiques. Pays constitutionnellement laïc et seul « Etat de droit » (bien qu'avec des lacunes) dans le monde musulman, la Turquie a retrouvé son influence dans ce qui fut l'Empire ottoman et au-delà. Elle n'est plus « l'homme malade de l'Europe », selon l'expression du XIXe siècle. Mais, sans renier ses alliances dont la vitale appartenance à l'OTAN, elle aspire à devenir une puissance régionale pesant de tout son poids en Méditerranée orientale. Aux Européens de le comprendre. Aux Israéliens aussi.
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