Plébiscité à l'étranger dès sa naissance, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce mouvement fut boudé par les institutions et les milieux intellectuels français. Aujourd'hui, il connaît un retour en grâce, comme en témoignent les diverses expositions organisées ces prochains mois à Paris et en province.
A chaque époque ses idoles. Matisse, Picasso, Gauguin, Cézanne ont, ces derniers temps, occupé le haut de l'affiche. Une fièvre impressionniste saisit à présent le pays. On n'avait jamais connu un tel déferlement. La dernière grande exposition parisienne, organisée à l'occasion du centenaire du mouvement, remonte à 1974. Quelques autres ont pris le relais, mais leur nombre apparaît au final bien modeste au regard des manifestations montées hors de nos frontières. Des Etats-Unis au Japon, elles sont des dizaines à célébrer chaque année Monet et ses amis, devenus de véritables stars. Et l'on ne compte plus les flots d'études publiées, notamment anglo-saxonnes. La France, elle, a délaissé ses impressionnistes.
Le constat était devenu tellement criant, qu'en 2008, à peine nommé à la tête du musée d'Orsay, Guy Cogeval annonçait sa volonté de "les remettre au centre de l'institution". "Plus que Racine ou Poussin, ils sont les ambassadeurs de notre culture, expliquait le tout nouveau directeur. Pour les visiteurs étrangers, 80 % de notre public, Monet est le plus grand peintre français." Significatif : lors du colloque consacré à l'impressionnisme, qui s'est déroulé à Paris en décembre 2009, 12 des 17 intervenants venaient de Grande-Bretagne. "Ce n'est pas le public qui boude ces artistes, mais les institutions et les milieux intellectuels, constate Laurent Salomé, directeur du musée des Beaux-Arts de Rouen. Beaucoup de conservateurs, d'historiens et d'universitaires français se sont désintéressés du sujet."
"La plupart des oeuvres se sont envolées vers l'étranger"
Ce désamour ne date en réalité pas d'aujourd'hui. La France a loupé le coche une première fois au xixe siècle. "L'Etat a tardivement pris conscience de l'importance du mouvement", poursuit Laurent Salomé. Cette peinture de l'instant, en rupture avec la tradition académique, s'est en effet heurtée à l'hostilité. Le terme "impressionnisme", inventé en 1874, au moment de la première exposition du groupe, est d'ailleurs né de la dérision. Sous la plume de Louis Leroy, le journal satirique Le Charivari publie un article virulent, attaquant la toile de Monet Impression, soleil levant.
Conséquence : avant 1900, l'Etat ne s'est porté acquéreur que de trois oeuvres : un Sisley, un Renoir et un Morisot. Il venait heureusement d'accepter, mais non sans polémiques, une partie du legs de Gustave Caillebotte, peintre et ami des impressionnistes, soit une quarantaine de toiles, que conserve aujourd'hui le musée d'Orsay. Les Américains, eux, ne se sont pas perdus en atermoiements. Ils ont été les premiers à constituer des collections, par l'intermédiaire des marchands parisiens, tel Paul Durand-Ruel. "Aux Etats-Unis, alors un pays neuf, cette révolution picturale n'a pas suscité de querelles", commente Jacques-Sylvain Klein, commissaire du festival Normandie impressionniste. "Lorsque la France s'est réveillée, après la Seconde Guerre mondiale, il était trop tard, estime Laurent Salomé. Les tableaux, désormais universellement reconnus, avaient atteint des prix inabordables." Même si l'Hexagone détient aujourd'hui de belles collections (au musée d'Orsay, à Marmottan, à l'Orangerie ou à Rouen), la plupart des oeuvres se sont ainsi envolées vers l'étranger. A l'instar de la fameuse série sur la cathédrale de Rouen : sur les 28 toiles réalisées par Monet, seules 7 sont restées chez nous.
La France a failli louper le coche une deuxième fois, à cause de Marcel Duchamp. Sous l'effet de ses théories avant-gardistes, l'odeur de la térébenthine a pris des relents de soufre. L'homme des Ready-made, de l'urinoir et du porte-bouteilles a initié un courant hostile à la manipulation des pinceaux, qui a traversé tout le xxe siècle.
"Des regards sur la vie quotidienne et la société"
Les années 1990 se sont révélées particulièrement radicales. "L'impressionnisme n'était plus moderne", résume Jacques-Sylvain Klein. Pour ceux qui continuaient à apprécier les pigments, Renoir, Monet, Pissaro et les autres semblaient, de toute manière, passés de mode. "On a trop souvent résumé leur peinture aux champs de coquelicots, analyse Laurent Salomé. Dans les milieux intellectuels s'est ainsi développé un mépris à l'égard de leurs tableaux, qui ne se prêtaient pas aux discours savants." Cristallisant cet état d'esprit bien français, Serge Lemoine, prédécesseur de Guy Cogeval, à Orsay avouait sans détour son peu d'inclination. "Je fais partie de ceux qui pensent que l'impressionnisme est surestimé", déclarait-il en 2002, dès sa nomination à la tête du musée d'Orsay. Sur le marché international, le succès de ces artistes ne s'est pourtant jamais démenti. Le patriarche de Giverny n'a jamais cessé d'affoler les collectionneurs, et ceci malgré la crise. En juin 2008, Le Bassin aux nymphéas, toile de 1919, s'est arraché, à Londres, chez Christie's, pour 51 millions d'euros, deux fois le prix de son estimation.
Pourquoi l'impressionnisme connaît-il aujourd'hui un retour en grâce ? D'abord parce que la vision des spécialistes a évolué. "Avant, tout était figé, témoigne Jacques-Sylvain Klein. On étudiait les impressionnistes par monographies, comme si chaque artiste vivait dans un univers clos. Aujourd'hui, on analyse les influences, on remet en perspective. On raconte des histoires de copains, des histoires d'amour entre les peintres et les modèles. Du coup, tout redevient vivant." "On saisit mieux leurs tableaux, considérés comme des instants de vie fugaces, poursuit Laurent Salomé. On comprend qu'il peut y avoir une vraie mystique dans leurs paysages, que certaines toiles, tel Un bar aux Folies-Bergères, sont des regards sur la vie quotidienne et sur la société."
Le principe de réalité joue également. En période économique difficile, les musées ont besoin d'assurer leurs arrières. Leurs responsables savent que l'impressionnisme n'a jamais perdu les faveurs du public. L'idée du festival Normandie impressionniste a ainsi suscité un véritable engouement. Avant même son ouverture, des journalistes anglais, américains, japonais et même australiens ont prévenu de leur venue. Le musée des Beaux-Arts de Rouen attend au moins 150 000 visiteurs. La méga-rétrospective Monet, qui se tiendra à l'automne à Paris, entre les murs du Grand Palais, s'annonce déjà comme un succès. Les réservations, ouvertes dès le mois d'avril, ont été prises d'assaut : en un mois, près de 10 000 billets se sont vendus. L'objectif des 500 000 visiteurs devrait être atteint, et le record de 780 000 visiteurs, enregistré en 2008-2009 par la grande exposition Picasso et les maîtres est à portée de vue. L'événement sera, de toute manière, exceptionnel. Pour réunir les 200 oeuvres, Guy Cogeval, le commissaire général, a contacté 70 institutions, dont une cinquantaine à l'étranger. Aucune n'a refusé de prêt. Sauf le musée Marmottan, à Paris. Jacques Taddei, son directeur, n'a pas jugé opportun de se séparer de ses Monet, et notamment de l'emblématique Impression, soleil levant. Pour voir la toile, il faudra donc traverser la Seine. Monet, money.
jeudi 3 juin 2010
Les impressionnistes retrouvent des couleurs
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