Sitôt rentrée d’Iran,
Clothilde Reiss est
conduite le 16 mai à
l’Elysée. Nicolas Sarkozy
la reçoit dans son bureau,
évite de la raccompagner
sur le perron et
publie dans la foulée un
communiqué pour se féliciter
de sa « dignité
exemplaire ». Sobre. Le
président de la République
ne veut en aucun cas
être suspecté de « récupérer
» politiquement
cette libération. Le contraste
est flagrant avec
celle, deux ans auparavant,
d’Ingrid Betancourt,
même si les histoires
n’ont rien à voir.
Nicolas et Carla Sarkozy
s’étaient rendus sur le
tarmac de Villacoublay
pour accueillir la miraculée
sous le regard des
caméras du monde entier.
Deux ans, deux époques.
Depuis ses records d’impopularité et la sévère défaite de
l’UMP aux élections régionales de mars dernier, le chef de
l’Etat s’est amendé. Moins de réformes, moins d’interventions,
moins de petites phrases et de mise en scène de son
action. Ses proches et les enquêtes d’opinion l’interpellaient
depuis longtemps déjà sur l’« usure » de sa parole et
le vertige provoqué par le rythme de son action. Il tente
désormais d’y répondre. Le choix de la France dans l’organisation
de l’Euro 2016 aurait sans doute suscité auparavant
bien plus que ces quelques mots présidentiels de
vendredi : « On est très heureux, très honoré, je voudrais
féliciter toutes les équipes » qui ont permis cette victoire.
Depuis deux mois, aucune émission de télévision de Nicolas
Sarkozy, aucun grand discours. Y compris sur les retraites,
pourtant réformemajeure de la fin du quinquennat : le
chef de l’Etat laisse pour l’instant son ministre du Travail,
EricWoerth, en première ligne, mener les discussions avec
les partenaires sociaux. Même ses succès remportés sur la
scène internationale – le dispositif de défense de la monnaie
unique, notamment – ont été modestement exploités.
L’omniprésident, théoricien d’une exposition permanente,
lorgne désormais du côté de Jacques Pilhan, le conseiller
de ses deux prédécesseurs, défenseur d’une parole rare et
d’un président en retrait, « protecteur ». Le terme revient en
boucle dans la bouche de ses proches.
Depuis deux mois, Nicolas Sarkozy n’a quasiment pas
dérogé à cet exercice d’ascèse, si ce n’est la semaine dernière,
devant des militants UMP, lorsqu’il a fustigé le choix
de François Mitterrand de porter l’âge de la retraite à
60 ans. Il prend soin de mettre en avant son Premier
ministre et ses ministres
de télévision deNicolas Sarkozy,
aucun grand discours. Y compris
sur les retraites, pourtant réforme
majeure de la fin du quinquennat.
dès qu’il se trouve en société.
Trois ans après son arrivée
à l’Elysée, Nicolas
Sarkozy a changé de
posture. A-t-il pour
autant changé de mode
de gouvernance ? A-t-il
infléchi cette ultracentralisation
du pouvoir
qui l’a conduit à décider
de tout à l’Elysée,
avec une équipe d’une
dizaine de conseillers
plus puissants que n’importe
quel ministre ? La
réponse est d’autant plus
importante que ce choix
de Nicolas Sarkozy, imposé
dès son arrivée à
l’Elysée, explique beaucoup
des difficultés qu’il
a subies ces derniers
mois. En centralisant le
pouvoir, le chef de l’Etat
a institué un mode de
management souvent
déresponsabilisant pour lesministres et les directeurs d’administration.
Ministres tétanisés par l’Elysée ; ministres
trop faibles pour défendre – dans l’opinion et chez les
parlementaires – les décisions imposées d’en haut.
La réponse pourtant est négative. Rien ne permet
aujourd’hui de dire que l’équilibre institutionnel voulu par
Nicolas Sarkozy soit, dans les faits, en train de changer. Eric
Woerth reçoit les syndicats et répond aux journalistes,mais
l’Elysée suit à la loupe chacun de ses gestes. Le président
rencontre discrètement les leaders syndicaux, et Raymond
Soubie, son conseiller social, soupèse chaque jour avec
Eric Woerth les mots qu’il convient de donner à l’opinion
sur l’avancement de la réflexion gouvernementale. Le document
demi-parcours, publié le 17mai, a été suggéré par
le ministre, mais piloté et arbitré par l’Elysée.
Impossible non plus de dire que François Fillon dispose
aujourd’hui de plus demarge demanoeuvre qu’il n’en avait
dans le passé. Il a pourtant sur les deux sujets du moment,
les retraites et la lutte contre les déficits, une légitimité sans
pareille. Mais lui, le grand ordonnateur de la réforme des
retraites de 2003, se trouve contraint à distiller ses choix
dans la presse s’il veut espérer peser sur le dossier actuel.
Et, sur les déficits, le président le laisse s’exprimer mais en
aucun cas décider : cela a été le cas sur la progression zéro
en valeur des dépenses de l’Etat. Sans parler de sujets aussi
déterminants que l’avenir de la filière nucléaire, sur lesquels
Matignon est informée au compte-gouttes, juste suffisamment
pour ne pas créer d’incident diplomatique. Le
couple Sarkozy-Fillon s’est assis dans la paysage, au point
que certains le voient perdurer au-delà du remaniement de
l’automne, mais le partage des rôles est immuable. François
Fillon met en musique les décisions de l’Elysée et
démine les sujets délicats, avec la majorité notamment.
Mais cela s’arrête là. Nicolas Sarkozy, d’ailleurs, ne s’en
cache pas, persuadé que les électeurs attendent de lui qu’il
s’implique et rende des comptes. Pour passer à la seconde
phase de son quinquennat, axée sur la reconquête et la
préparation de 2012, le président de la République n’a pas
décidé de réformer autrement : il a choisi de communiquer
autrement.
Cécile Cornudet est grand reporter aux « Echos ».
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