Les marchés sont électriques. Cette expression, que l'on entend presque chaque jour, nous dit que, sur la planète financière, les transactions s'accélèrent ou ralentissent en fonction des opportunités. D'immenses volumes de capitaux se mettent en mouvement, presque automatiquement : pour se prémunir de ce qui apparaît soudain comme un risque, ou pour ne pas manquer ce qui semble promettre un gain.
Devant les conséquences de cette spéculation ¯ immensité des profits, accroissement faramineux des écarts de richesse, fragilité des entreprises, affaiblissement des États, risque d'effondrement du système bancaire... ¯ on parle de moraliser les marchés. Pourtant, par nature, rien n'est plus insensible à la morale qu'un marché. Parce qu'il ne se détermine pas en fonction de valeurs humaines, mais des intérêts des acteurs. Penser réguler les marchés en termes de morale, c'est se contraindre à arriver toujours en retard, comme les carabiniers, une fois les dégâts constatés. Dans ce sens, vouloir taxer les fruits de la spéculation ne traite pas le problème au fond.
Pour calmer les marchés internationaux, il n'y a que deux moyens. Le premier consiste à réduire les différences de potentiel économique et financier perçues par les opérateurs. Il faut du temps. C'est ce qu'envisage péniblement l'Union européenne en cherchant à harmoniser les politiques budgétaires et fiscales. Elle n'y parviendra pas rapidement : seule la peur du gouffre semble capable de persuader les dirigeants d'aller vers plus de convergence.
Second moyen : ralentir la circulation financière. Dans les pics aigus de crise boursière, il arrive qu'on suspende les cours. C'est ce que l'Allemagne vient de tenter en interdisant le mécanisme des ventes de titres financiers à découvert. Mais de telles décisions ne peuvent être qu'exceptionnelles et temporaires, puisque c'est du tout ou rien. En revanche, si l'on veut ralentir durablement et de manière pondérée les déplacements de capitaux, il faut en augmenter les coûts.
Les opérations se déclenchent, en effet, lorsque l'opportunité du gain l'emporte visiblement sur le risque de perte. Dans ces conditions, les acteurs du marché seraient irresponsables et incompétents s'ils « n'y allaient pas ». Si l'on ajoute un coût supplémentaire (le coût technique est devenu négligeable, avec les progrès des outils) ¯ sous forme d'une taxe sur les transferts financiers, comme les banques imposent à leurs clients des commissions ¯, alors les conditions de l'arbitrage changent puisque l'espérance de gain est affectée. Le marché va nécessairement ralentir.
Si le montant de la taxe était retourné aux États, via une institution comme le FMI, celle-ci ne serait pas une sanction morale mais le prix d'usage des infrastructures de base indispensables à l'existence des marchés, souvent créées et entretenues par les États. En cas de surchauffe, le fait d'augmenter le prix d'usage des marchés internationaux a le double avantage de faire baisser la pression, et d'apporter aux États des ressources pour qu'ils ne deviennent pas les victimes de ceux qu'elles auront aidés la veille, si nécessaire.
La crise offre l'opportunité de rendre les marchés « payants ». Si les États tardent à s'entendre là-dessus, ils n'auront plus la force de l'imposer aux acteurs privés, et la machine deviendra folle.
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